En Chine, les jeux vidéo ne sont plus considérés comme des divertissements, mais plutôt comme une forme d’art devant se soumettre à des règles très strictes. Les développeurs doivent désormais respecter une longue liste de mesures s’ils souhaitent obtenir des autorisations pour publier leurs jeux à l’avenir…

Récemment, un communiqué a révélé pourquoi il n’y avait pas eu de nouvelles autorisations accordées aux jeux vidéo ces derniers mois en Chine. Les développeurs du monde entier ont l’habitude de voir leurs jeux se faire examiner à la loupe avant d’être acceptés pour une commercialisation sur le marché chinois. Petit problème : cela ne s’est pas produit en août et en septembre. Le mémo interne publié sur le site Web de l’Administration nationale de la presse et des publications (NPPA), organisme de surveillance des jeux, indique alors que les entreprises doivent faire attention à de nombreuses nouvelles règles strictes si elles souhaitent avoir une chance de diffuser leurs jeux sur le marché. En attendant que les règles soient respectées, toute nouvelle diffusion a été suspendue. La priorité en Chine est désormais de faire face à l’addiction des jeunes quoi qu’il en coûte, quitte à ne plus faire de profits. Limités à 3 heures de jeu en ligne par semaine, les mineurs ne sont pas les seuls affectés par de telles décisions et cela va bien plus loin. Pas de violence, pas de personnages efféminés, pas de réécriture de l’Histoire… Les règles sont nombreuses et les entreprises chinoises ne les respectant pas risquent gros. Le jeu vidéo est-il en train de devenir une forme d’expression à censurer ?

Si les règles tu ne respectes pas, censuré tu seras

Pour le gouvernement chinois, les jeux vidéo ne sont plus des divertissements et doivent répondre “à un certain nombre de valeurs appropriées”. Entièrement redéfinis, les critères d’acceptation pour la diffusion d’un jeu vidéo n’ont alors jamais été aussi stricts. La liste fournie par les instances de régulation est très longue et même plutôt alarmante. Sous peine d’être censurés, les développeurs n’ont désormais plus le droit de créer des personnages dont le genre ne se distingue pas bien. Les personnages “efféminés” et même les romances homosexuelles auront de fortes chances d’annuler une autorisation.

« Si les régulateurs ne peuvent pas dire immédiatement le sexe du personnage, la mise en scène des personnages pourrait être considérée comme problématique et les drapeaux rouges seront levés ». – Régulation des jeux en Chine

De la même manière, il est interdit de changer le cours de l’Histoire, notamment si le Japon ou l’Allemagne nazie sont impliqués. Une grande surveillance est également effectuée sur la religion : la réglementation est encore plus stricte concernant l’apparition de crucifix à l’écran. La superstition, les jeux de hasard, l’encouragement au viol ou au meurtre, et tout simplement la violence sont bannis. Même les jeux de zombies dans des univers post-apocalyptiques sont proscrits car prônant le meurtre. Il n’est pas non plus autorisé de proposer des histoires à la morale floue où les joueurs peuvent choisir entre le bien et le mal. Mais au final, que reste-t-il ? La plupart des jeux que nous connaissons aujourd’hui proposent à minima au moins l’une des interdictions citées. Où se situent les limites du possible ?

Le personnage de Genshin Impact, Venti, est d’ailleurs cité par l’autorité de régulation et considéré comme trop efféminé par exemple. MiHoYo, une entreprise chinoise de Tencent, va-t-elle devoir modifier son apparence et ce dans le monde entier ? Car oui, si le marché chinois est principalement impacté, nul doute que les répercussions se feront sentir dans l’industrie mondiale du jeu vidéo. Genshin Impact a beau être l’un des plus rentables en Chine, le gouvernement de Pékin ne veut plus prioriser le profit, à tel point que les actions en Bourse des acteurs principaux du secteur ont fortement chuté. Le jeudi 9 septembre, les actions de Tencent ont perdu 8,48% à la Bourse de Hong Kong, NetEase 11% et le site Bilibili près de 9%. La Chine est donc prête à perdre des milliards pour la “sécurité de ses joueurs”.

La sécurité des joueurs et des créateurs est-elle en train de les priver de leur liberté ?

On pourrait croire que les nouvelles réglementations sont un coup dur pour les entreprises chinoises (et cela est probablement vrai) mais plus de 200 sociétés (dont Tencent) ont déjà affirmé leur soutien au gouvernement de Pékin. Elles se conforment strictement aux règles sur les jeux et proposent des logiciels de reconnaissance faciale pour limiter le temps de jeu. Pour contrôler pleinement les joueurs de moins de 18 ans, leur nom réel est désormais demandé lors de l’inscription avec carte d’identité. Le Parti communiste chinois affirme alors son contrôle sur le secteur en imposant de nouvelles règles directement sur le contenu des jeux vidéo. Le gouvernement déclare fièrement que « Les contenus obscènes et violents et ceux qui engendrent des tendances malsaines, comme le culte de l’argent et l’effémination, doivent être supprimés. » Les 213 sociétés ont signé une déclaration indiquant qu’elles doivent supprimer tout contenu qui déforme l’Histoire ou encourage les comportements efféminés.

« Les entreprises doivent respecter strictement la ligne de fond de la sécurité du contenu, et interdire résolument les contenus politiquement nuisibles, nihilistes, dégoûtants, pornographiques, gores, terroristes et autres contenus illégaux ; résister résolument au culte de l’argent et autres mauvaises cultures”. – Régulation des jeux vidéo en Chine.

Tout cela ne semble d’ailleurs n’être que le début d’une longue descente aux enfers pour le secteur du jeu vidéo en Chine. Dans un régime autoritaire comme celui-ci, les entreprises n’ont d’autres choix que d’accepter sans broncher. N’allez pas croire que Tencent ou NetEase font cela de bon cœur, surtout lorsqu’on sait que des jeux comme Genshin Impact sont très populaires mais comprennent de nombreuses “infractions” aux nouvelles règles. Le titre phare de MiHoYo va-t-il être complètement remodelé même en occident ? Pour le gouvernement, tout est question de promouvoir “l’excellente culture traditionnelle chinoise” et de maintenir la sécurité des joueurs. Mais à quel prix ? Si le jeu vidéo est considéré comme une forme d’art désormais, la liberté d’expression des développeurs ne devrait-elle pas être au centre de la question ? Pour ce qui est de la féminité dans les jeux vidéo, la Chine indique clairement sa peur que les hommes se transforment en “mauviettes” si trop de personnages efféminés sont montrés à l’écran. Alors que dans la plupart des pays on tend de plus en plus vers l’élimination de l’homophobie et de la transphobie, la Chine fait un terrible bond en arrière et soulève de nouvelles questions sur la liberté d’expression. Est-il si simple de bien différencier la sécurité des joueurs et leur liberté ? Comment distinguer un jeu qui est une satire de la vie d’un autre qui ne l’est pas ? Le gouvernement doit-il choisir à la place des consommateurs ce qui est bon pour eux ou non ? Les fameuses réglementations PEGI et autres indications ne suffisent-elles pas ?

C’est uniquement par peur que les jeux rendent les citoyens violents, toxiques ou même “gays”, que la Chine est en train de censurer et de contrôler à outrance un secteur qui devrait plutôt permettre de s’évader. Pire encore, le régime communiste est en train d’enlever le choix aux joueurs et censure notamment les notions de choix entre le bien et le mal. Et sans choix, ne devenons-nous pas des machines ? En censurant les joueurs et les créateurs, et en imposant sa vision de ce qui est moralement juste, la Chine ne risque-t-elle pas de créer bien plus de mal que de bien au final ? Bien plus qu’un contrôle sur les jeux vidéo, cela implique aussi un contrôle sur la société en général et l’économie du pays. L’ampleur de la situation est bien plus grande qu’il n’y paraît et la Chine est en train de faire son possible pour que tous les secteurs soient plus conformes à ce qu’elle perçoit comme des valeurs socialistes. Le secteur du jeu vidéo est au centre de l’attention actuellement car ce sont plus de 700 millions de joueurs actifs qui ont été référencés, inquiétant alors le gouvernement sur leur santé mentale et physique.

“Le choix n’est rien qu’une illusion, créé pour séparer ceux qui ont le pouvoir, de ceux qui ne l’ont pas.” Le Mérovingien dans Matrix.

Réel “modèle pour la jeunesse”, le jeu vidéo doit donc respecter ces tonnes de nouvelles règles afin d’être diffusé en Chine. La plus importante d’entre elles : l’ordre de “véhiculer une image plus masculine des hommes”. Si cela paraît évidemment discriminant, Pékin se justifie en pointant du doigt la baisse de la natalité d’un pays qui vieillit. Cette prérogative n’affecte d’ailleurs pas que le jeu vidéo mais aussi les émissions de télé-réalité. La seconde plus importante est sans aucun doute la quête de rompre avec le profit. Les développeurs en dehors de la Chine vont-ils se plier à une telle censure ou simplement ignorer le marché chinois à l’avenir ? Cela n’est pas aussi simple quand on sait à quel point ce marché est lucratif. Rien qu’au premier semestre 2021, les jeux vidéo ont généré 17 milliards d’euros de chiffre d’affaires en Chine.

À quoi va ressembler le marché chinois du jeu vidéo dans les mois à venir ?

Que cela concerne le contenu du jeu ou sa consommation, le gouvernement chinois a toujours été strict mais ce dernier resserre la vis de plus en plus. Trois heures de jeu en ligne par semaine pour les mineurs chinois, interdiction de diffuser les parties en ligne pour les moins de 16 ans et autres horaires à respecter : l’encadrement vise à supprimer l’addiction aux jeux vidéo mais tend dangereusement vers la censure et, pire encore, vers une surveillance de masse. En effet, plusieurs éditeurs mettent déjà en place le contrôle d’identité par reconnaissance faciale comme Tencent par exemple sur son jeu populaire Honor of Kings, qui compte plus de 100 millions d’utilisateurs actifs quotidiens.

Bien sûr, si les joueurs chinois sont activement concernés par toutes ces mesures, ce sont les développeurs les plus touchés. Ces nouveaux termes semblent mettre fin à l’imagination des créateurs et il se pourrait bien que les grands noms occidentaux ne s’y plient pas et abandonnent tout espoir de s’installer sur le marché chinois. Ce dernier ne pourra alors profiter que de quelques jeux aux “valeurs correctes” et probablement faire face à une forte augmentation du marché gris voire même à une recrudescence de criminalité si les citoyens sont privés de mondes dans lesquels s’évader.

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