Difficile de passer à côté du CBD, actif issu du cannabis, à la fois plébiscité et décrié. Et quand il s’invite en cuisine, son intérêt gustatif et supposé relaxant interroge. Écran de fumée ou véritable opportunité gustative et créative ? On fait le point.

Le cannabidiol, ou CBD, s’annonce comme la molécule la plus en vogue de la décennie. Supposé relaxant et dépourvu d’effet stupéfiant, cet actif issu du cannabis fait le buzz en France depuis presque cinq ans, rapporte Lucille Gauthier, directrice de tendance chez Peclers Paris. Exit les ingrédients dopants et les injonctions de la performance, cet engouement s’explique surtout, selon la spécialiste, par «un réel besoin d’échapper à un quotidien devenu trop anxiogène». Aujourd’hui autorisé en Europe, le CBD est commercialisé sous différentes formes et sous certaines conditions (son taux de THC ne doit pas dépasser 0,2%, NDLR). Fleurs séchées, e-liquide, huiles… Le CBD a désormais pignon sur rue en France. Et après avoir envahi les marchés du bien-être et de la cosmétique, ladite molécule s’impose peu à peu dans les cuisines des restaurants, que ce soit dans les pizzas, les pâtisseries ou même le vin. Mais derrière le marketing, quel est son réel intérêt dans notre assiette ? Réponses avec le médecin Pascal Douek, le chef pâtissier Philippe Conticini, Lucille Gauthier, directrice de tendance, Aurélien Bernard et Alexandre Perez, tous deux fondateurs de sociétés spécialisées dans la vente de produits à base de CBD.

Une quantité infime, voire inaperçue

Si vous recherchez un quelconque effet euphorisant, passez votre chemin. Le CBD n’est «ni toxique ni psychoactif et ne modifie donc pas les sensations que l’on peut avoir» en consommant un aliment enrichi avec cette molécule, confirme Pascal Douek, médecin et nutritionniste expert en cannabis médical. En revanche, il possède «des propriétés apaisantes qui permettent de réduire l’anxiété, d’améliorer les troubles du sommeil et d’aider à supporter certaines douleurs», précise l’auteur de l’ouvrage Le cannabis médical, une nouvelle chance, paru à l’automne (1).

Pour préparer un repas à base de CBD, il est d’usage d’utiliser l’actif sous forme d’huile. «La dose intégrée, à un nombre de gouttes près, sera précisément la nôtre et aura pour objectif de répondre à nos besoins spécifiques», explique Alexandre Perez, fondateur de la marque d’huiles de chanvre et d’infusions Divie. Mais au restaurant ou en boutique, lorsque le CBD est incorporé, sans aucune personnalisation, dans un contexte où la clientèle est multiple, les effets ne sont plus les mêmes. «Si on ne connaît pas le produit, ses effets peuvent être difficiles à identifier, voire passer inaperçus», nuance Aurélien Bernard, fondateur de FrenchFarm.ac, société spécialisée dans la vente de produits à base de CBD. En effet, le temps que le cannabidiol soit digéré et métabolisé par le foie, avant de parvenir enfin à la circulation sanguine, seule une infime partie pourra être assimilée à travers une bouchée de pain ou une cuillerée de miel.

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Car, pour ressentir les bénéfices du CBD, le corps a besoin de temps afin que la molécule agisse durablement : «Soit d’une période allant de 5 à 15 jours pour apprendre à reconnaître cette molécule», précise Aurélien Bernard. «Le CBD n’est pas un traitement contre l’anxiété immédiate. C’est très progressif, atteste le docteur Douek. Les personnes souhaitant réduire leur stress, par exemple, consomment de l’huile de CBD en augmentant petit à petit les doses. Et ce rythme va s’étaler sur plusieurs jours avant de trouver la bonne dose et d’obtenir l’effet escompté. Ce n’est donc pas dans les cuisines d’un restaurant que vous allez recevoir un accompagnement personnalisé capable de répondre à vos maux», tranche le médecin. «Soit on ressent le besoin d’en consommer pour ses bienfaits, auquel cas le processus se fait de manière encadrée et conseillée, soit il est question du goût, et dans ce cas-là, le CBD délaisse l’univers du bien-être pour se tourner vers ce que l’ingrédient peut offrir.»

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Un défi culinaire

Pour Alexandre Perez, la puissance aromatique très prononcée de cette «molécule du bien-être » mérite pourtant qu’on y prête attention. «Cette nouvelle saveur, à la fois moderne et précurseur, doit être très excitante à travailler quand ton métier est de créer du goût», avance-t-il. Et il ne croit pas si bien dire. Quand d’autres assaisonnent leur pizza de fleurs séchées de CBD pour remplacer l’origan ou encore diluent du CBD dans un soda à l’hibiscus, le chef pâtissier Philippe Conticini, lui, fait partie des rares gourmets à se saisir réellement de cette opportunité créative pour le transformer. D’autant que, d’après Lucille Gauthier, il s’agirait d’un «super ingrédient riche en omégas et protéines»… Alors lorsque la société FrenchFarm.ac le sollicite pour lui proposer une collaboration qui mettrait à l’honneur le CBD dans ses gâteaux, cette figure majeure de la gastronomie contemporaine est immédiatement conquise par le défi.

Désireux de retrouver le goût de «l’herbe» qui avait marqué son palais lorsqu’il était jeune, le chef s’est ainsi familiarisé avec ce nouvel ingrédient : un liquide sirupeux enrichi en CBD, créé spécialement pour lui. «Dès l’instant où j’ai trempé le bout de mon doigt dans ce produit, j’ai compris toute la puissance et l’intérêt qu’offrait le CBD, raconte Philippe Conticini. Presque aussi instantanément me sont venues les associations de goûts : d’abord les agrumes, puis le poivre du Timut, enfin le chocolat blanc.» Ainsi naît Cirrus, un gâteau en forme de nuage aux notes acidulées, et le succès qui l’accompagne dans la foulée. Mais avant de parvenir à ce dessert alléchant, il fallut moult essais pour réussir à dompter l’amertume herbacée du CBD. «Chaque gâteau contient 0,21 g de CBD, indique le chef pâtissier. On a essayé un peu au-dessus mais le goût en bouche était trop fort, on a essayé un peu en dessous, il ne l’était pas assez.» «On aurait pu intégrer une plus forte dose pour bénéficier d’effets plus intenses mais l’amertume aurait totalement pris le dessus sur le reste du gâteau, confirme Aurélien Bernard. Or c’est avant tout la dégustation qui prime lorsqu’elle est mise à la disposition d’une clientèle.»

Le gâteau Cirrus de Philippe Conticini contient un sabayon mousseux réalisé à base de citron vert et de jus de yuzu, et un insert crémeux confectionné à base de pamplemousse, d’orange sanguine, de citron jaune et de CBD.

Depuis, le gâteau a déjà été décliné pour la Saint-Valentin, et le chef prépare actuellement une nouveauté dans laquelle il compte associer tablette de chocolat et CBD. «Plus j’apprends à connaître ce produit, plus je le comprends et mieux je le maîtrise», confie-t-il. Car ici, tout est à découvrir : les différentes manières de le manipuler, l’associer, le relever, le mettre en scène… Prochain challenge pour l’orfèvre de la pâtisserie ? Les graines de chanvre. «J’aimerais savoir connaître précisément leur texture, assure-t-il. Savoir si ça craque, si ça croque pour voir comment les intégrer dans ma prochaine pâtisserie. Dans un dessert à la passion, par exemple, les graines apportent une véritable mise en scène dans l’évolution de la dégustation, pour finalement gagner en importance à la fin.» Feu vert pour cette belle audace qui émoustillera le palais des gourmets les plus curieux, à défaut de les faire planer.

(1) Le Cannabis médical, une nouvelle chance de Pascal Douek, éditions Solar, 272 pages, 19,40 €.

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