Pour plusieurs dizaines de milliers de Françaises, le confinement coïncide avec le début de la lutte contre une autre maladie : le cancer. Opérations repoussées, difficultés d’accès aux soins de support… Face à ces contraintes, le corps médical et associatif s’efforce de maintenir la qualité du suivi de ces patientes nouvellement diagnostiquées.
«C’était la panique dans la clinique. Il y avait très peu de patients car certains avaient eu peur de venir et beaucoup de rendez-vous avaient été annulés, les médecins ne prenaient que les urgences, le téléphone n’arrêtait pas de sonner… C’était horrible de vivre ça», se souvient Charlotte (1). Lundi 16 mars, jour de l’annonce du confinement en France, la jeune infirmière de 28 ans est à la clinique Tivoli-Ducos, de Bordeaux. Elle a rendez-vous avec son chirurgien suite à l’annonce de son cancer du sein, trois jours plus tôt. Une mauvaise nouvelle comme tant d’autres l’apprennent chaque jour en France. Ainsi, selon les dernières données de l’Institut National du Cancer, 382.000 nouveaux cas de cancer ont été diagnostiqués en 2018 en France, soit environ 32.000 par mois. Mais cette année, le contexte de la pandémie du Covid-19 est venu plomber un peu plus l’annonce de la maladie aux patients et perturber leur prise en charge.
Les traitements à l’épreuve du confinement
Les experts médicaux et les représentants associatifs avaient d’ailleurs alerté très tôt sur le risque d’une dégradation des soins apportés aux malades du cancer. Le 15 mars déjà, Axel Khan, président de la Ligue contre le cancer, signalait au micro d’Europe 1 : «Il faut tout faire pour qu’ils puissent poursuivre leur traitement, en minimisant les risques de surinfection par le coronavirus». Dans le cas de Charlotte, «le confinement n’a pas du tout retardé les choses, assure-t-elle. J’ai été opérée le 24 mars et j’ai eu ma première chimio le lendemain. Le jour de l’opération, l’ambiance à la clinique était redevenue normale. Les médecins avaient plus de temps pour les patients et je me souviens de mon chirurgien qui faisait des blagues. Pour éviter l’aplasie (la chimiothérapie présente un risque d’immunodéficience, NDLR), on m’a fait une injection. Mon oncologue a insisté : elle ne prendra aucun risque et fera tout ce qu’elle pourra.»
En revanche, faute de gynécologues disponibles, le prélèvement d’ovocytes – pour anticiper les risques sur la fertilité liés au traitement – n’a pas pu être réalisé. Une injection lui a été administrée pour stopper ses cycles et préserver ses ovaires, mais sans succès. Un deuxième essai est prévu pour plus tard. Mais si le cancer de la jeune femme, considéré comme très agressif, a justifié une prise en charge rapide, d’autres patients ont dû se résoudre à un parcours de soins modifié, voire différé : opérations repoussées ou annulées, traitements modifiés…
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La chirurgie mise à la peine par le Covid-19
Dans les établissements hospitaliers, le dispositif de protection contre le coronavirus s’opère dès l’entrée : contrôle de la température, mesures barrières, accès interdit aux visiteurs et aux accompagnants – sauf cas exceptionnels, notamment en pédiatrie. Principal service impacté par les mesures de précaution : la chirurgie. «Lorsque l’opération est nécessaire mais que la maladie est peu agressive, on peut la reporter, explique François Barlesi, directeur médical de l’Institut Gustave Roussy (IGR) à Villejuif, premier centre européen de lutte contre le cancer. S’il est possible de le faire avant ou après l’opération, on mène d’abord le traitement. Dans d’autres cas, les chirurgies sont remplacées par la radiothérapie. Mais on essaie de maintenir l’activité chirurgicale pour conserver les chances de guérison des malades.»
Des précautions éprouvantes
À Draguignan, Stéphanie, 42 ans, est inquiète. Le 27 mars, son généraliste lui a annoncé un cancer de la peau. «Mon gastro-entérologue et mon médecin optent pour une chirurgie, mais la dermatologue, qui doit décider des soins à mettre en place, refuse tant que le confinement dure», confie-t-elle. Un rendez-vous est fixé au 18 mai. En attendant, Stéphanie redoute que la maladie évolue et que rien ne soit fait pour en déterminer la gravité.
Garantir les mêmes protocoles de guérison qu’avant le Covid-19
Le 15 mars dernier, le Haut Conseil de la Santé Publique a présenté au ministère des Solidarités et de la Santé ses recommandations relatives à la prise en charge des malades du cancer pendant la pandémie de Covid-19. Face à l’urgence, elles visent à sanctuariser les services d’oncologie. Des mesures efficaces et «suffisamment bien appliquées», selon Benoît You, oncologue et coordonnateur de ces recommandations.
Si les mesures de précaution modifient le suivi des malades, elles diminuent aussi la présence de leur entourage, pourtant précieuse. À Evian, Elouane, 15 ans, va devoir choisir qui, de son père ou de sa mère l’accompagnera lors de ses cures. Diagnostiqué début avril d’un lymphome hodgkinien, il est suivi au centre Léon Bérard, à Lyon. «Ma mère viendra avec moi pour la première cure, et mon père a négocié une semaine de congé en mai pour la deuxième», prévoit l’adolescent.
Cette permanence dans la qualité des soins, c’est aussi ce que relève Lydiane, 44 ans, admise à l’IGR pour son cancer du sein. Même si tout ne se passe pas comme prévu. «Mon rendez-vous avec l’infirmière de coordination, pour m’expliquer la procédure de la chimiothérapie, a été repoussé au jour même du premier traitement, raconte-t-elle. J’ai donc débarqué sans trop savoir comment les choses allaient se passer.» Affectés par l’annonce récente de la maladie et le contexte anxiogène de l’épidémie, le moral des malades est mis à rude épreuve. Alors pour les aider à tenir, les psychologues se mobilisent.
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“Les nouveaux patients ont plus d’occasions de peur que les autres”
«Le cancer plus la pandémie, ça fait beaucoup», confie Marianne, atteinte d’un cancer du sein. Pour cette Nîmoise, la distanciation sociale est très difficile à vivre : «J’ai peur de mourir sans avoir revue ma mère, soupire-t-elle émue. Mais c’est dans mes jours les plus noirs.» L’idée de consulter un psychologue ne lui dit rien. «Je préfère parler avec mes copines, elles me font rire.» Pourtant, le suivi psycho-oncologique ne faiblit pas, et s’adapte aux contraintes actuelles.
Un numéro dédié aux nouveaux malades du cancer
«C’est pour ne pas les laisser sans réponse que nous avons mis en place cette ligne», explique le Professeur Barlesi. Preuve que l’accueil des nouveaux malades se poursuit, au mois de mars, l’IGR en a reçu environ 700. Une baisse de 20% par rapport à la moyenne mensuelle.
À l’Institut Gustave Roussy, le circuit a été simplifié pour que les patients qui le souhaitent soient mis en contact rapidement avec un psychologue. Les malades venus bénéficier de leur traitement peuvent encore consulter leur psychologue sur place. Pour les autres, les séances se font par téléphone ou visioconférence. «Mais pour les nouveaux patients c’est plus dur, reconnaît Sarah Dauchy, psychiatre et cheffe adjointe du département interdisciplinaire d’organisation des parcours patients à l’IGR. Il est difficile de commencer un suivi psychologique sans pouvoir se voir, alors on profite de leur venue à l’hôpital pour établir un premier contact.»
Pour renforcer ce soutien, des vidéos sont postées sur le site de l’IGR et sur son compte Youtube. Pour le Dr Dauchy, il est impératif que tous les patients, même ceux qui ne sont pas suivis à l’IGR, n’hésitent pas à faire une demande de suivi. Mais quand la consigne est de rester chez soi pour le bien de tous, sortir, même pour vaincre son cancer, pourrait donner l’impression désagréable d’un traitement d’exception. Or la psychiatre insiste : «Ce n’est pas parce qu’on se bat contre une menace collective que la menace individuelle n’est plus légitime !» C’est aussi ce que démontre la mobilisation des associations, dont l’accompagnement ne faiblit pas.
Les associations plus mobilisées que jamais
L’espoir d’une reprise rapide des chirurgies contre le cancer
«On a gagné la première bataille en évitant au maximum la contagion chez nos patients, se félicite Benoît You, coordonnateur des recommandations émises par le HCSP. Mais on entre dans la deuxième, qui n’est pas la plus simple : réorganiser l’offre de soins pour que nos patients ne perdent pas leurs chances de guérison. L’offre chirurgicale s’est très légèrement améliorée récemment, mais il faut réfléchir dès maintenant à des solutions pour rendre de nouveau disponible la prise en charge chirurgicale des cancers à un niveau suffisant pour répondre aux besoins.»
Membres associatifs et personnels hospitaliers travaillent de façon complémentaire au suivi des patients. Mais à cause du confinement, de nombreux lieux dédiés aux soins de support ont fermé. Espaces d’activité physique, de détente, de conseils esthétiques ou simplement de partage, leur fermeture affecte le bien-être physique et moral des malades. «L’annonce du confinement a été brutale et les patients n’ont pas pu anticiper leurs besoins, comme les perruques, explique Aurélie Benoit-Grange, directrice de la Maison Rose de Paris. Notre mission est donc aussi de les aider dans ce genre de recherches.»
Depuis leur fermeture, les Maisons Rose de Paris et de Bordeaux, lieux d’accueil de l’association RoseUp pour les femmes malades du cancer, assurent une permanence téléphonique. La communauté RoseUp organise aussi un séminaire hebdomadaire en ligne et des ateliers gratuits deux fois par jour. Initiative similaire pour la Ligue contre le cancer, qui a mis en place un numéro de soutien dès le 8 mars, assuré tous les jours par des oncologues. «La Ligue s’est totalement réorganisée pour assurer la continuité de l’offre de soutien, déclare sa vice-présidente, Catherine Simonin-Benazet. Nous avons pu dégager les remarques et inquiétudes principales des malades et les avons présentées au ministère de la Santé, pour l’aider à prendre les mesures adéquates.»
Si les mesures instaurées ont permis de répondre à l’urgence, les experts alertent désormais sur la nécessité d’en prendre de nouvelles, pour préserver les chances de guérison des patients en oncologie dès la première phase de déconfinement. «Les structures de soins seront obligées de garder des capacités de gestion pour des nouvelles vagues éventuelles de Covid, explique le professeur Benoît You. Donc, si on attend une amélioration progressive de l’offre de soins, chirurgicale notamment, il n’y aura en revanche pas de retour à la normale dès le 11 mai.»
(1) Certains prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat de certains des témoins.
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