Impossible de compter le nombre d’adaptations cinématographiques ou télévisées inspirées de faits divers. Rien qu’en ce mois de septembre 2020, deux affaires judiciaires sont portées sur le petit écran : l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès, sur M6, et l’affaire Laëtitia Perrais, sur France 2, toutes deux survenues en 2011.

Une rentrée TV chargée en faits divers

Les 15 et 22 septembre, M6 diffusé une mini-série de quatre épisodes, Un homme ordinaire, inspirée de l’affaire Dupont de Ligonnès.

Le personnage principal, joué par Arnaud Ducret, ne porte pas le même nom, mais celui de Christophe de Salin. L’histoire ne se passe pas à Nantes, mais à Lyon. Et pourtant, tout y est : le quintuple meurtre familial, dans un cadre de croyances catholiques strictes et de dettes énormes.

Depuis 2011, l’affaire n’a cessé d’interpeller les Français. Et cet été 2020 plus que jamais encore, avec la sortie d’une enquête en deux volets du bimensuel Society, et d’un épisode de la série-documentaire Les enquêtes extraordinaires, sur Netflix, qui l’a révélée au public américain. 

À partir du 21 septembre, France 2 diffusera de son côté une mini-série de six épisodes inspirée de l’affaire Laëtitia Perrais, jeune serveuse de 18 ans, violée et assassinée à Pornic en 2011. Cette mini-série réalisée Jean-Xavier de Lestrade est basée sur le livre d’Ivan Jablonka, Laëtitia ou la Fin des hommes (2016). L’affaire a, elle, été résolue. L’assassin de Laëtitia, Tony Meilhon, a été condamné à la réclusion criminelle a perpétuité. 

D’autres faits divers non-résolus, plus anciens encore, n’échappent pas non plus au petit écran. La mini-série documentaire Grégory (Netflix), sortie à l’automne 2019, retrace l’enquête commencée le 16 octobre 1984, après le meurtre de la Vologne. Début 2020, TF1 a encore annoncé la préparation d’une mini-série sur l’affaire. 

Des faits divers entrés dans la pop culture

Mais les temps sont-ils en train de changer ? Début septembre, le tournage d’un téléfilm de TF1 consacré à Michel Fourniret, dit l’Ogre des Ardennes, et actuellement soupçonné dans la disparition d’Estelle Mouzin, a provoqué un petit rassemblement de protestation, à Sedan (Ardennes). 

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Pour savoir pourquoi ces faits divers passionnent la télévision française, Marie Claire a interrogé Élise Costa, journaliste, chroniqueuse judiciaire pour Slate, et créatrice du podcast Fenêtre sur cour, produit par ARTE.

Marie Claire : Comment expliquez-vous l’explosion de films, séries, téléfilms basés sur des faits divers ?

Élise Costa : Déjà, Faites entrez l’accusé a re-popularisé le genre. Au départ ça vient d’un soucis documentaire. Ce qui est nouveau, c’est le téléfilm. Personnellement, ça m’interpelle.
Ce que je trouve nouveau, mais pas novateur, c’est le côté divertissement. Rien qu’en voyant l’affiche d’Un homme ordinaire, ça m’a interpellée.

Le cas Xavier Dupont de Ligonnès, c’est comme le petit Grégory, maintenant ils sont entrés dans la pop culture.

Justement, on voit que cette affaire Dupont de Ligonnès intéresse au point de créer des fictions qui essaient d’imaginer ce qui s’est vraiment passé. Pourquoi ?

Je pense qu’on aimerait tous savoir. Il faut se rappeler la fois où on a cru qu’on l’avait retrouvé. En tant qu’être humain, on a toujours envie de comprendre pourquoi. Et le fait de pas savoir ce qu’il est devenu, ce vide-là est, je pense, insupportable. Xavier Dupont de Ligonnès est vraiment devenu une figure courante.

Ce qui m’avait marquée, c’était l’homme retrouvé dans un monastère, où le matin même, tout un arsenal avait été déployé pour vérifier si c’était bien lui. Régulièrement il y a quelque chose de nouveau, et encore, on est pas au courant de tout… Les fausses pistes sont quand même très troublantes à chaque fois. Tout est toujours question de coïncidences. C’est pas comme si on l’avait retrouvé dans un autre pays, mort. Au moins, il y aurait eu un point final. Là, on ne sait même pas s’il est mort ou vivant. Chacun va développer un avis. Et c’est d’ailleurs très intéressant en discutant avec les gens d’avoir leurs avis sur une affaire non-résolue.

En tant que chroniqueuse judiciaire, quel regard portez-vous sur ces adaptations et fictions ?

Je préfère 1000 fois l’épisode de Netflix [Les enquêtes extraordinaires, ndlr], même s’il n’est pas très bon, à un téléfilm où on a inventé quelque chose. Je me demande quel est l’intérêt, et je n’en vois pas d’autre que l’intérêt financier. On va miser sur le nom pour faire de l’audience. Mais ça n’apporte pas de nouveaux éléments.

L’affaire Dupont de Ligonnès a tous les éléments : le mystère, le rebondissement… Donc je trouve que c’est paresseux. C’est prendre une histoire qui existe déjà et la mettre à sa sauce. Quand j’ai vu l’affiche je me suis dit que par rapport aux gens qui l’ont connu, qui sont concernés par l’affaire, c’est dur. Il y a un temps à respecter, je pense, et là on l’a pas du tout fait. C’était en 2011. Il y a encore beaucoup de gens vivants concernés par cette affaire, comme les anciens copains des enfants. Quand c’est arrivé, ça a dû être très très dur. Et là, on est en train de faire une sorte de produit autour de Xavier Dupont de Ligonnès. Bientôt il va y avoir la marque Xavier Dupont de Ligonnès. Je trouve que ça n’a pas du tout été réfléchi.

Les faits divers dépassent-ils finalement la case qui leur est attribuée ?

Le but premier du fait divers n’est pas de nous divertir. C’est de comprendre quelque chose. Le fait divers, c’est comprendre qui nous sommes. Généralement, les gens pensent que c’est du voyeurisme. Je pense que c’est l’analyse facile et que ça nous parle aussi, pas seulement du point de vue de la victime, mais de l’accusé.

Le but premier du fait divers n’est pas de nous divertir. C’est de comprendre quelque chose.

On va prendre une histoire individuelle pour raconter l’histoire d’une société. C’est ce qu’a très bien fait Ivan Jablonka dans Laëtitia. D’ailleurs, tout son propos tourne autour de ça. Il parle des manquements des services sociaux, du politique, avec Nicolas Sarkozy qui reprend l’affaire à son compte…

Mais le téléfilm sur l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès, je ne vois pas à quoi ça sert. Le cas Xavier Dupont de Ligonnès, c’est comme le petit Grégory, maintenant ils sont entrés dans la pop culture. On en parle avec des blagues. Combien de fois j’ai entendu la blague « Coucou les cochons » [propos tenu par Xavier Dupont de Ligonnès et mentionné dans l’enquête de Society sur l’affaire, publiée pendant l’été 2020, NDLR] cet été ? C’est aussi une manière de tourner l’homme en dérision. Pourquoi pas. Mais ça montre à quel point ça a une importance dans notre imaginaire. Au nom de l’audience, on traite les choses n’importe comment sans se soucier de si ça peut marquer ou non.

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