Depuis sa prise de parole anti-sexiste lors de l’édition 2021 du Zevent, un marathon caritatif sur la plateforme Twitch auquel participent des dizaines de streamers et qui rassemble des millions d’euros de dons, Ultia est régulièrement cyber-harcelée. Mediapart a révélé jeudi 1er décembre que la streameuse française de 27 ans a finalement décidé de porter plainte après des mois de calvaire.

« Je suis fatiguée, je me dis que ça ne se terminera jamais », a-t-elle confié au journal d’investigation dans un entretien vidéo. Elle dit être attaquée sur ses réseaux sociaux personnels comme dans le tchat de ses lives et avoir versé plus de 4000 messages insultants à son dossier, tous datent de moins de trois semaines avant sa plainte.

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Zevent 2021, le début de l’enfer pour Ultia

Il n’est pas rare de voir le pseudo d’Ultia remonter dans les tendances twitter car celle-ci est moquée par des milliers de tweets misogynes, sans même qu’elle ne s’exprime sur le réseau social. De nombreux internautes lui reprochent en fait, plus d’un an après les faits, de s’être indignée, à raison, du comportement sexiste de l’un des participants au Zevent 2021. Le jeune youtubeur Inoxtag, qui, en direct de l’événement, avait invité une amie mexicaine à ses côtés, enchaînait les « blagues » graveleuses, faisait répéter des termes français insultants échappant clairement à la compréhension de sa convive et entretenait une hypersexualisation de celle qui serait aujourd’hui sa petite-amie.

À quelques tables de là, en direct également, Ultia avait dénoncé cette séquence problématique et avait, déjà, été submergée par une vague de harcèlement violente et instantanée. « J’étais vraiment en colère de cette situation sexiste, sur qu’elle se produise devant plus de 400 000 personnes c’était honteux », a-t-elle déclaré à Mediapart en revenant sur l’incident.

Au moindre incident sexiste sur internet des viewers viennent m’insulter alors que je n’ai rien à voir avec l’affaire.

Au final, Inoxtag était lui-même venu s’excuser auprès de la jeune femme et des spectatrices, assurant qu’il s’agissait d’un jeu entre lui et son amie surnommée La sirène. Ultia lui avait alors rappelé la responsabilité qui lui imputait d’avoir un tel discours sexiste devant des centaines de milliers de téléspectateurs, parfois très jeunes en simultanée.

Cyberharcelée pour avoir dénoncé une situation sexiste

Pour les deux streameurs, l’affaire était close. Mais des fans d’Inoxtag ont continué à harceler la jeune femme, malgré la demande explicite du youtubeur destination de sa communauté de ne pas harceler Ultia. Pourtant, les vagues de messages haineux se sont enchaînées pendant des jours, des semaines et puis des mois. « Au moindre incident sexiste sur internet des viewers viennent m’insulter alors que je n’ai rien à voir avec l’affaire, que je n’ai rien dit. C’est à croire qu’ils ne connaissent qu’une seule femme streameuse », ironise malgré tout Ultia lors de son interview. 

Fin novembre 2022, alors que Ponce, un autre streameur proche d’Ultia, s’est exprimé contre la présence d’un participant à un événement sportif rassemblant les grosses têtes d’affiche du Twitch français,  car il était accusé de sexisme, c’est Ultia qui a été cyberharcelée. Celle que l’on surnomme la reine des ratus, du nom de sa communauté, n’avait même pas évoqué la rencontre de football organisée par un autre streamer, Aminematue, le 19 novembre dernier. Pourtant, il lui a été reproché de critiquer l’événement, justifiant ainsi la haine dont elle a été victime.

Les streameuses françaises brisent le silence

Comme elle l’explique face caméra à Mediapart, dans une prise de parole rare, Ultia fait l’objet de nombreuses insultes, menaces de viol et montages pornographiques à son effigie. Un quotidien éprouvant également signalé par plusieurs autres utilisatrices de Twitch, comme Maghla, AngleDroit, Baghera Jones, ou encore Lixie qui se sont exprimées sur Twitter au mois d’octobre 2022.

Ultia raconte également les difficultés de travailler sur Twitch en tant que femme, notamment lorsque des internautes isolent des extraits dans lesquels les streameuses « portent un débardeur » ou bien se lèvent face caméra, dans le but de les sexualiser. Souvent, dit-elle, ceux-ci s’accompagnent de phrases ignobles telles que « je la violerais bien cette chienne ».

La créatrice de contenus regrette « des coups d’épée dans l’eau » alors que, jusqu’à maintenant, les alertes successives de nombreuses utilisatrices de Twitch, de youtubeuses et même d’influenceuses sont restées lettre morte. « Mais pour une fois, on a vraiment été écoutées, notamment à la suite de la prise de parole de Maghla, qui a une très grosse communauté », remarque-t-elle. Ultia fait ici référence aux membres du gouvernement, la ministre à l’Égalité femmes-hommes, Isabelle Lonvis-Rome, et le ministre du Numérique, Jean-Noël Barrot, qui ont organisé une réunion d’information pour s’emparer du problème.

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Twitch passif face à la haine misogyne ?

Côté plateforme, il y a encore beaucoup de travail à faire, estime-t-elle. « Pour moi Twitch n’a pas du tout réalisé la gravité de la situation, ou alors elle ne veut pas le réaliser », assure la streameuse qui dénonce l’inaction de la plateforme concernant les modérations des commentaires haineux et sexistes. « Tant que ce n’est pas une menace de mort ou de viol, ça reste normal », explique-t-elle, puisque ces messages ne sont pas régulés de façon systématique.

En 2021, révèle Ultia au média d’enquête, elle a déjà porté plainte contre un abonné trop intrusif qui l’a menacée et qui l’espionnait. « Cette plainte a été enregistrée contre X alors que j’avais l’identité de ce garçon. Ce n’est pas normal, elle n’était pas vraiment détaillée en plus, mais je m’en suis rendue compte après. Heureusement, elle n’a pas été classée sans suites, mais je n’ai pas du tout eu une bonne expérience de ce dépôt de plainte là », se souvient-elle.

J’ai l’impression que l’on crie toutes à l’aide mais que personne ne nous écoute.

« Sur 8 collègues streameuses, 7 ont porté plainte et aucune n’a eu de plainte facile. Moi je me suis fait draguer pendant, une autre a vu ses preuves perdues, d’autres ont été culpabilisées par le policier », ajoute Ultia. Lors de sa seconde plainte, l’expérience a été tout autre, raconte-elle. La jeune femme dit avoir été prise très au sérieux par la policière qui l’a accueillie.

Finalement, reconnaît la joueuse en ligne, sa situation est le reflet de la société patriarcale : « Ce que l’on vit dans le milieu c’est symptomatique de ce que vivent les femmes tous les jours. » Elle espère que les choses avancent pour elle et ses consoeurs dans les prochaines années, mais pour l’instant ce n’est pas le cas : « J’ai l’impression que l’on crie toutes à l’aide mais que personne ne nous écoute. C’est vraiment dur. »

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