Cigare au miel, un titre doux et tendre pour un premier film prometteur. Lauréate du Screenwriters Lab du Sundance Institute/RAWI et de l’Aide à l’écriture de la Fondation Beaumarchais-SACD, la Franco-algérienne Kamir Aïnouz, qui avait notamment oeuvré en tant que scénariste sur LOL USA, a pu compter sur le soutien des frères Dardenne à la production pour son projet. On a vu pire pour un baptême du feu.
Elle nous plonge au coeur d’une famille berbère de Neuilly-sur-Seine dans les années 90, où pousse la jeune Selma, 17 ans (jouée par la révélation Zoé Adjani, nièce d’Isabelle). Une ado prise en étau entre tradition et modernité, entre la découverte de son désir et ce carcan patriarcal qui l’étreint. Et qui va chercher à s’en émanciper. Un coming of age sensuel et féministe, présenté dans la sélection parallèle de la Mostra de Venise en septembre dernier et aujourd’hui en compétition au festival du cinéma européen des Arcs.
Contactée par mail, Kamir Aïnouz nous livre ses impressions sur sa place de réalisatrice au sein du milieu encore très masculin du cinéma français et sur ses espoirs pour le monde d’après.
Terrafemina : Comment avez-vous vécu cette année 2020 si particulière ?
Kamir Aïnouz : Au jour le jour. Je suis reconnaissante et heureuse d’avoir pu finir Cigare au Miel et d’avoir pu le présenter au festival de Venise en septembre, en passant entre les gouttes des confinements. Mais j’ai aussi vécu 2020 dans l’angoisse d’une menace qui rôde et d’un futur incertain.
Si vous deviez la qualifier en un mot ?
K.A. : Historique.
Votre premier film s’intéresse à l’émancipation de la jeune Selma. Qu’est-ce qui vous a inspiré ce sujet ?
K.A. : Ce sujet m’a été inspiré par une image. On y voyait une jeune fille étendue sur un lit. Je sentais qu’elle souffrait, qu’elle était écartelée intérieurement. J’ai dû creuser pour comprendre pourquoi. C’est devenu Cigare au Miel.
Qu’est-ce qui freine les réalisatrices encore aujourd’hui selon vous ?
K.A. : Je ne peux pas parler au nom de toutes les réalisatrices, chacune d’entre nous est différente. Je constate néanmoins qu’en termes de financements, les manettes sont encore largement tenues par des humains qui ont encore des difficultés à adhérer et à porter de nouveaux points de vue. Mais les temps changent, je suis confiante.
A quelles formes de sexisme avez-vous déjà été confrontée dans ce milieu du cinéma ?
K.A. : À part le sentiment diffus de ne pas être comprise parfois pendant les étapes du financement, je ne peux pas dire que le sexisme se soit exprimé de manière flagrante pour moi. En revanche, je l’ai vécu au quotidien pendant toute la genèse et le développement de ce film à travers mon propre doute à me réaliser. C’est grâce à l’éducation de mes parents et aux exemples de ma mère, de mes tantes et de mes grands-mères que j’ai pu m’accomplir. Sinon, autour de moi, dans ce milieu, je n’avais quasiment aucun exemple à suivre.
Il ne s’agit pas simplement de pouvoir s’identifier à une réalisatrice parce qu’elle est femme. Le genre ne suffit pas en lui-même. Il faut une multitude de points de vue de réalisatrices pour commencer à se sentir représentée. C’est en cela que le milieu du cinéma reste encore sexiste : les points de vue de plus de la moitié de la population sont très peu représentés.
#MeToo commence à faire une timide irruption dans le milieu du cinéma français. Enfin ?
K.A. : Oui, enfin et ce n’est pas encore assez… Pour nous faire entendre, nous avons besoin des hommes. Nous n’y arriverons pas seules. De la même façon que pour lutter contre le racisme, les Noirs ont été publiquement soutenus et défendus par des Blancs. Quand Adèle Haenel quitte la cérémonie des César en claquant la porte, il faudrait qu’elle soit également suivie par des hommes.
Que faudrait-il faire pour booster les représentations féminines devant et derrière la caméra ?
K.A. : Il faut que nous nous financions aussi nous-mêmes. De la même façon, par exemple, que des actrices américaines comme Reese Witherspoon initient et portent financièrement des projets qui leur tiennent à coeur. Il ne faut pas attendre qu’on nous accorde des financements, il faut agir et les trouver nous-mêmes.
Quel est votre film « female gaze » préféré ?
K.A. : Je n’aime pas la notion du « female gaze », de la même façon que je n’aime pas la notion du « male gaze ». Même si je comprends l’origine de cette distinction, nécessaire pour faire apparaître l’une des formes du sexisme à l’écran, je pense que nous distinguer de cette manière revient à mettre les femmes et les hommes dos à dos, sur la base du genre.
J’espère que les hommes peuvent maintenant faire des films qui parlent mieux aux femmes, en les objectifiant moins, pour commencer. Et que les femmes peuvent faire des films qui parlent à des hommes autant qu’à des femmes. Je préfère l’idée que nous nous inspirions les un·e·s et les autres de manière fluide, chacun·e avec ses particularités, plutôt que de nous dire que nous devons développer des points de vue qui s’opposent sur la base du genre.
Quelle actrice rêveriez-vous de diriger ?
K.A. : Marylin Monroe.
Quelle femme vous a le plus inspirée en 2020 ?
K.A. : Jacinda Ardern, la très inspirante Première ministre de Nouvelle-Zélande.
Quels sont vos voeux pour 2021 ?
K.A. : Amour, gloire, santé et beauté !
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