Retrouver l’estime de soi par le dialogue. C’est ce que propose la justice restaurative en organisant des rencontres entre victimes et auteurs d’infractions sur la base du volontariat. Un face-à-face destiné à réparer les victimes en quête de réponses pour regagner confiance en elles. Un échange qui facilite, aussi, la réinsertion des détenus, en leur offrant la possibilité d’expliquer leur geste et de comprendre les conséquences de leurs actes.

Le dispositif existe au Canada depuis une vingtaine d’anne´es et a de´ja` fait ses preuves. Il a e´te´ officiellement reconnu en France par une loi du 15 août 2014 pour re´tablir le lien social et pre´venir au mieux la re´cidive. Toute infraction peut faire l’objet d’une mesure de justice restaurative et ce, quelle que soit sa gravité. Mais cette mesure ne remplace pas la réponse pénale et n’a d’ailleurs aucune incidence sur celle-ci.

Un dialogue salvateur entre auteurs de crimes et victimes

En 2020, selon une enquête nationale sur la justice restaurative, 14 procédures ont été mises en œuvre et 43 personnes ont pu en bénéficier. Encadrées par des animateurs, les plus courantes sont les rencontres entre victimes et auteurs et les médiations restauratives. L’une s’organise autour de cinq rencontres plénières et une rencontre bilan entre un groupe de détenus et de victimes qui ne sont pas concernés par la même affaire. L’autre est un processus de dialogue entre la victime d’une infraction et la personne qui en a été l’auteur.

C’est une méthode imparable pour reprendre confiance en soi et pour faire de nouveau confiance aux autres.

Sans fioriture, Je verrai toujours vos visages nous plonge au coeur de cette machine encore méconnue du grand public. Là où, la parole se libe`re et le dialogue re´pare des parcours de vie brise´e. Avec son nouveau long métrage en salle ce mercredi 29 mars, Jeanne Herry, la réalisatrice de Pupille, raconte la justice restaurative avec une sensibilité et un regard dont elle seule a le secret. Rencontre.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans le dispositif de justice restaurative ?

Son efficacité. J’ai trouvé que c’était incroyablement et spectaculairement efficace, parce que c’est bien pensé et bien préparé. Tout concourt à faire que des liens se tissent autour du cercle de parole. C’est une méthode imparable pour reprendre confiance en soi et pour faire de nouveau confiance aux autres. Aussi bien pour les victimes que pour les auteurs.

J’ai trouvé ça puissant. D’ailleurs, les animateurs le disent eux-mêmes. C’est dynamique et puissant, alors que c’est statique dans les corps. Et ça, c’est très intéressant d’un point de vue du cinéma.

Comment est née l’idée de ce film ?

Je suis tombée sur un podcast de France Culture sur la justice restaurative, dans une phase où je me documentais sur le monde judiciaire. L’idée du film m’est venue lorsque j’ai commencé à me renseigner sur ce dispositif et que j’ai compris qu’il proposait des situations aussi fortes et intenses que de se faire rencontrer des auteurs d’infraction et des victimes. Tout était inspirant pour faire du cinéma.

Vous semblez dépeindre avec justesse les échanges lors des rencontres entre victimes et auteurs. Pourtant vous n’avez pas pu participer à celles-ci.

C’est interdit et heureusement ! C’est ça qui protège aussi le dispositif. Il y a tellement d’émotions, de partage d’intimité… Et puis pour les auteurs condamnés, leur parole est aussi protégée par la confidentialité.

Mais j’ai rencontré beaucoup d’animateurs et d’animatrices et aussi quelques victimes et quelques auteurs. J’ai également suivi des formations. En tout, j’ai consacré trois ou quatre mois à la documentation et puis, ensuite, une année et demi à l’écriture du film.

Vous êtes-vous directement inspirée de l’histoire de victimes ou d’auteurs d’infractions que vous avez pu rencontrer ?

Ce film est un mélange d’inspiration et d’imaginaire. La documentation libère beaucoup mon imaginaire. Par exemple le personnage de Leila Bekhti est basé sur l’expérience d’une femme que j’ai rencontrée. J’ai aussi fait des recherches sur les homejacking [cambriolage en présence des habitants décrit par l’une des victimes du film, ndlr] et j’ai rencontré quelqu’un qui a bien voulu me renseigner sur ses protocoles, à lui, quand il va braquer chez les gens.

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Préparer les interlocuteurs pour éviter de réveiller les traumatismes

Votre travail de documentation en amont, votre regard sur le sujet, la manière dont il est filmé, le jeu des acteurs… On en oublierait presque que c’est une fiction. La proximité de votre oeuvre avec le documentaire était-elle souhaitée ?

À partir du moment où on a des acteurs aussi connus, on voit bien que ce n’est pas du documentaire. Par contre, je revendique le fait que ce soit rigoureusement documenté. J’adore les documentaires, mais il y manque deux choses que j’aime par-dessus tout : le scénario et les acteurs.

Dans un documentaire, on ne pourrait pas autant s’approcher des visages, comme je le fais, être au milieu du cercle ou avoir trois caméras. Tout ça, ce sont des dispositifs de cinéma. Mais si on pointe une dimension documentaire, ça veut dire qu’il y a une vérité, donc ça me fait plaisir.

Après Pupille, votre précédent film sur la naissance et l’adoption d’un nourrisson né sous X, vous vous êtes intéressée à la justice restaurative. Mettre en lumière des sujets de société dont on parle peu vous aurait poussé à devenir réalisatrice ?

Non. Par contre, comme je prends le parti de ne pas raconter ma vie et que j’aime bien proposer aux acteurs des partitions très intenses, riches ou fortes, j’essaye de trouver des terrains de jeux qui sont propices à ça et qui vont proposer des situations intéressantes et intenses de tout point de vue : à filmer et à jouer. C’est pour cela que par deux fois, je me suis retrouvée à aller étudier des sujets sociétaux qui, selon moi, regorgent de cinéma.

Et puis en tant que citoyenne, c’est aussi super intéressant d’aller éclairer ce genre de sujet.

Deux histoires très différentes se suivent en parallèle. Pourquoi avez-vous choisi d’aborder d’une part l’inceste et puis de l’autre le vol avec violence ?

Ça m’intéressait d’avoir deux problématiques. Une qui soit plus sociétale et qui est assez banale ou, du moins, banalisée par la société. Les vols avec violence c’est un peu le bas de l’échelle des agressions dans l’inconscient collectif. Et en même temps, quand on les étudie, on s’aperçoit que ça peut avoir des répercussions terribles sur les victimes et qu’il y a un degré de violence énorme.

Les médiateurs et des animateurs évaluent si les personnes concernées peuvent se rencontrer.

En parallèle je voulais parler d’un sujet plus intime. Les drames intrafamiliaux, c’est ce qu’il se passe derrière le mur des maisons. Cela me permettait de développer des situations différentes, notamment « le cercle » [cinq rencontres plénières et une rencontre bilan entre un groupe de détenus et de victimes qui ne sont pas concernés par la même affaire, ndlr] et « les médiations » [un processus de dialogue entre la victime d’une infraction et la personne qui en a été l’auteur, ndlr]. Ce sont les deux mesures les plus régulièrement mises en place en France.

Chloé, le personnage victime de viols incestueux joué par Adèle Exarchopoulos, met justement en lumière le travail d’équilibristes des médiateurs, qui préparent les victimes souhaitant rencontrer leur agresseur. Entre réparation et aggravation des souffrances la frontière semble mince.

Que ce soit pour les cercles ou la médiation, l’essentiel du dispositif repose sur les entretiens de préparation, s’en est même la clef. Bien sûr, c’est incroyablement délicat, car tout l’objectif est de réparer les victimes et de ne pas les victimiser à nouveau.

Grâce à la qualité d’écoute des médiateurs et des animateurs, ces derniers peuvent évaluer si les personnes concernées peuvent se rencontrer. D’ailleurs la plupart du temps, les victimes et les agresseurs directs ne se rencontrent pas vraiment, mais ce n’est pas grave. Ce qui compte ce n’est pas la rencontre, mais c’est le processus.

Les enjeux des médiateurs sont très élevés.

Il y a d’autres façons de se réparer ou de créer du lien que de pardonner ou de demander pardon.

Les victimes marquées à vie par les visages de leur agresseur

En plus de la quête de pardon, c’est aussi le besoin de réponses qui intéresse les victimes et les auteurs.

Je n’avais pas envie de résumer la justice restaurative au fait que ce soit des gens qui demandent pardon. Il y a d’autres façons de se réparer ou de créer du lien que de pardonner ou de demander pardon : s’intéresser au point de vue de l’autre, comprendre les passages à l’acte, comprendre la souffrance côté victime.

Être entendu, être compris, c’est ça qui est vraiment important je trouve.

Les références aux visages des agresseurs et des agressés sont omniprésentes dans le film. Est-ce ce qui vous a inspiré son titre ?

Oui. Dans Je verrai toujours vos visages, il y a vraiment le versant traumatique de cette phrase des victimes qui disent souvent qu’elles sont marquées et qu’elles seront marquées à vie par le visage et les yeux de leur agresseur. Il existe un vrai décalage entre ce que reçoit et perçoit la victime. À quel point elle va être marquée par le visage de son agresseur, alors que dans le type de crimes décrit dans le film, lui, il ne s’en souviendra pas. Il ne les voit pas.

Il y aussi le versant très réparateur de cette justice restaurative qui consiste à faire se rencontrer physiquement les gens. Qu’est-ce que c’est qu’une belle rencontre ? C’est quelqu’un qui marque avec son corps, avec son visage.

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