C’est l’un des films les plus attendus de ce début d’année, à cause de son sujet, Judy Garland, l’une des plus grandes stars de l’âge d’or du cinéma hollywoodien, et parce que celle qui la joue, Renée Zellweger, a remporté l’Oscar et le Golden Globes de la Meilleure actrice pour ce rôle. Celle qui s’est faite connaître sous les traits de Bridget Jones trouve là le meilleur rôle de sa carrière. 

Sorti en salles début 2020, Judy est diffusé sur Canal Plus ce mardi 23 février.

Le film se concentre sur la dernière année de vie de la chanteuse américaine, lorsqu’elle doit laisser derrière elle ses deux derniers enfants pour se renflouer à Londres, où on lui propose une résidence chantée dans un théâtre : sa célèbre résidence au Talk of the Town en 1968. Elle était présentée comme un retour flamboyant, après des années de déchéance. 

Un pari compliqué, alors que l’actrice, popularisée dans sa jeunesse par Le Magicien d’Oz et un programme télévisé qui la mettait en scène, était tombée en désuétude, et dans les addictions. 

L’amour-haine pour la scène

Judy fait le pari de l’extrême intimité. Montrer, avec plus ou moins d’exactitude, qui était l’actrice derrière son image de petite fille modèle devenue chanteuse au timbre hors-pair, dont le talent fou tranchait avec la délectation des tabloïds à raconter ses déboires.

Et pour retracer cette chute, le film la montre à travers son rapport à ce, et ceux, qui la regarde(nt),et dont elle dépend : la caméra, son producteur, des inconnus. Judy montre ainsi très bien en quoi Judy Garland subit son métier, autant qu’elle ne peut s’en passer, ne sachant qui elle est sans l’amour de son public. Son déchirement intérieur est flagrant, s’exprime dans le contraste entre sa maigreur et ses tenues flamboyantes, sa voix exceptionnelle qu’elle ternit à coup d’alcool. 

À mesure que la première représentation au Talk of the Town approche, le côté autodestructeur de la star reprend le dessus. De plus en plus stressée, elle se saoule et se sur-médicamente, comme pour reculer le moment fatidique, dans une chambre d’hôtel colorée, moelleuse et silencieuse. Le film prend son temps, succède les plans amenant inéluctablement au malaise, dans cette chambre où elle semble se sentir enfermée. « The show must go on », mais à quel prix ?

Les flashbacks de son enfance difficile à Hollywood montrent sa désillusion face à la méchanceté d’adultes la prenant pour leur petite chose, alors qu’elle travaille dur pour être à la hauteur. La bascule s’opère à mesure que la jeune Judy, interprétée avec force par Darci Shaw, sent l’étau se resserrer, et qu’elle se débat pour rien. 

Délicate Renée Zellweger

Le montage du film vise à expliquer les addictions et le côté autodestructeur de Judy Garland par les sévices qu’elle a subis dès son plus jeune âge. Pour autant, Judy ne fait pas passer la performeuse pour une femme-enfant. Et heureusement. C’est bien une femme adulte, alcoolique, accro à ses cachets, que l’on voit se détruire à petit feu, impuissants. C’est une mère de famille aimante, maniaco-dépressive, imprévisible, colérique, incapable d’être dans une relation saine, que l’on nous montre. 

Dopée dès l’enfance aux mirages hollywoodiens et aux pilules, Judy Garland ne voit la vie que façon pays d’Oz magique, ou en noir et blanc. Sans juste milieu. Le film de Rupert Goold relate avec force ces montées trop hautes, annonçant forcément des chutes vertigineuses.

J’ai tenté quatre mariages. Bien sûr, ça a raté.

Des changements radicaux d’ambiance que Renée Zellweger saisit avec aisance. L’actrice américaine fait rire lorsqu’elle sort avec naturel les réparties cinglantes de Judy Garland, et colle des frissons lors des nombreux moments de chant, où sa tristesse transparaît, mêlée à une profonde colère. Le micro dans une main, dont le fil est enroulé autour de son autre bras, Judy Garland s’y cramponne comme une béquille, en même temps qu’elle se défait parfois de son long fil, comme pour le rejeter. Les inspirations sont profondes, et son corps qui tremble fait penser à une noyade. On est scotché par la prestation, autant qu’on a peur pour elle.

Sa démarche cassée, en zigzag, quand elle a consommé trop d’alcool et de médicaments, la montre en bête de scène blessée, qui traîne son corps à cran devant le public. Sa maigreur est suggérée, plus que fétichisée. On la comprend quand elle lutte pour manger une part de gâteau, et quand un médecin inquiet lui dit qu’elle est en sous-poids, préconise des vitamines et beaucoup de repos. Judy Garland sourit, et glisse, l’air de rien, qu’elle a subi une trachéotomie quand elle a tenté de se suicider quatre ans plus tôt. Quand il lui demande si elle est suivie, elle répond : « J’ai tenté quatre mariages. Bien sûr, ça a raté », un rictus à la bouche.  

Judy derrière Judy Garland

Comment une artiste, qui s’est fait connaître par un film fantastique resté culte, a-t-elle pu chuter à ce point ? Judy pointe des coupables : ceux qui étaient censés la protéger, alors qu’elle n’était qu’une enfant. 

Privée de nourriture pour rester maigre, mise en rivalité avec les autres prodiges de sa génération, contrôlée au millimètre, sans cesse rabrouée et rabaissée dès qu’elle essayait de faire valoir ses droits, menacée avec la peur de l’oubli, la jeune artiste a été maltraitée physiquement et moralement. Le film montre bien la perversité de cette enfance malheureuse dans un pays magique factice aux coulisses ignobles, fait de plastique et de carton-pâte. 

Darci Shaw, qui interprète Judy Garland à ce jeune âge, est troublante et fend le coeur. On voit peu à peu que si son entourage n’est pas prêt à lui donner de l’amour, elle ira le chercher auprès du public, quitte à en devenir dépendante et se rendre davantage vulnérable.

Judy est aussi juste lorsqu’il rappelle que Judy Garland était une icône LGBT+, par sa grande gueule, ses tenues extravagantes, ses costumes d’hommes colorés, sa voix puissante et ses chansons sur l’affirmation de soi, et la résilience. À cette époque, l’homosexualité était encore pénalisée au Royaume-Uni. Judy Garland avait donné de l’élan à tant de personnes, et ce film le lui rend bien.

Judy, de Rupert Goold, avec Renée Zellweger, Jessie Buckley, Finn Wittrock 

 

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