- Jordan Mechner, le créateur de Prince of Persia, raconte dans la bande dessinée Replay, Mémoires d’une famille, son histoire et celle de sa famille.
- Il détaille comment il a développé son hit, mais aussi le destin de son grand-père, un médecin juif autrichien, qui fut soldat, pendant la Première Guerre mondiale, avant de fuir son pays, pendant la Seconde Guerre mondiale.
- En travaillant sur cette bande dessinée, Jordan Mechner a constaté à quel point il y avait d’étonnantes coïncidences entre son parcours et celui de sa famille.
« Si Papi avait eu moins de chance, vous ne seriez pas nés. » Ces quelques mots de son père, Jordan Mechner s’en souvient encore, trente ans plus tard. Il les a même couchés dans une bulle, dans sa bande dessinée Replay, Mémoires d’une famille, qui sort ce mercredi. Son grand-père, un médecin juif autrichien, fut soldat, pendant la Première Guerre mondiale. Puis il dut fuir son pays, menacé par les Nazis, pendant la Seconde Guerre mondiale. Alors oui, si l’histoire avait été différente, si cet homme n’avait pas survécu aux combats ou s’il avait fait de mauvaises rencontres durant son exil, son petit-fils, Jordan Mechner, ne serait pas là pour la raconter. Et Prince of Persia n’existerait pas.
Car Jordan Mechner fut le jeune prodige qui a programmé seul, à la fin des années 1980, alors qu’il n’avait pas encore 25 ans, ce jeu vidéo culte, traduit en six langues et porté sur une bonne vingtaine de supports différents pendant plus de vingt ans. Dans Replay, Mémoires d’une famille, il raconte comment il a conçu ce titre envoûtant et mêle son histoire à celles de son grand-père et de son père, déracinés de leur pays. « Ce projet-là, je pense que ça aurait été impossible de le faire autrement qu’en bande dessinée, confie Jordan Mechner à 20 Minutes. La bande dessinée permet, plus facilement que les autres supports, de sauter, constamment, comme je l’ai fait, à travers le temps. »
« Lorsqu’on est enfant, on ne s’intéresse pas aux expériences des parents »
En utilisant des couleurs, des formes de cases et des polices de caractères différentes, l’auteur et dessinateur parvient à merveille à nous trimballer, presque simultanément, en Europe centrale, au début du XXe siècle, sur les traces de son grand-père et de son père, à New-York, où il a grandi, en Californie, où il a créé Prince of Persia… Ou près de Montpellier, au bord de la mer, où il s’est installé, il y a quelques années, pour poursuivre ses rêves vidéoludiques. « Lorsqu’on est enfant, on ne s’intéresse pas aux expériences des parents ou des grands-parents, poursuit Jordan Mechner. C’est ainsi, c’est universel. Quand j’ai passé 50 ans, c’est devenu un cadeau, pour moi, de poser des questions à mon père, et de m’intéresser à son passé. Mais plus jeune, on a nos propres préoccupations. Moi, enfant, c’était le dessin. Puis, ce fut la création de jeux vidéo. »
Dans sa bande dessinée, Jordan Mechner raconte d’ailleurs que lorsque son grand-père a écrit ses mémoires, un millier de pages tapées à la machine racontant la guerre et son exil, il était adolescent. C’était en 1978. Et cette année-là, on lui avait offert un Apple II, l’ordinateur sur lequel il programmera Karateka, son tout premier jeu vidéo, pionnier du beat them all, puis Prince of Persia. Alors bien sûr, les histoires du grand-père ne l’ont pas passionné, à cette époque-là. « Il est arrivé, un jour, à la maison, avec tous ces cahiers, se souvient Jordan Mechner. Et moi, j’étais penché sur mon ordinateur. »
« Moi, enfant, c’était « Star Wars ou Star Trek ? » »
Mais ses heures à pianoter devant sa machine ne seront pas vaines. Dans Replay, Mémoires d’une famille, Jordan Mechner détaille comment il a développé le hit qui l’a fait connaître, en filmant son frère escaladant un mur et en numérisant ses mouvements, ou en observant de vieux films de cape et d’épée, pour donner davantage de réalisme aux mouvements du héros. « A l’époque, on était forcément autodidacte, confie le créateur de Prince of Persia. Il n’y avait pas, encore, d’écoles de jeux vidéo. Dans mon lycée, il y avait bien un ordinateur, mais absolument aucun des professeurs ne savait pas s’en servir… Il n’y avait que moi et quelques copains qui savaient comment il fonctionnait. »
Pourtant, malgré la précocité de son talent, Jordan Mechner ne peut s’empêcher de comparer son existence à celui de son grand-père, et de son père. Il se dessine, à 21 ans, sur le quai d’une gare, son ordinateur sous le bras, la vie belle, alors qu’eux ont connu des périodes troubles, et ont dû changer de pays et de langues. « C’est sans doute quelque chose qui n’est pas rare chez les descendants d’immigrés ou de personnes qui ont vécu une guerre, s’interroge l’auteur. On a l’impression que nos problèmes ne sont pas grand-chose, à côté de ce qu’ils ont vécu, eux. Moi, enfant, mes problèmes, c’était « Tu préfères Star Wars ou Star Trek ? ». Au même âge, mon grand-père et mon père étaient en danger. J’avais l’impression que quoi que je fasse, cela n’aurait jamais la même importance. »
L’histoire de « Prince of Persia » a marqué plusieurs générations de joueurs
Jordan Mechner aura, lui, marqué l’histoire des jeux vidéo. Les techniques qu’il a utilisées pour Prince of Persia, bien avant la motion capture, son ambiance et sa sobriété (pas de fioritures à l’écran, dans ce jeu) ont inspiré bon nombre de développeurs. L’histoire qu’il raconte, celle d’un aventurier tentant d’échapper aux gardes d’un méchant vizir, a, elle aussi, marqué plusieurs générations de joueurs. Était-ce une façon d’évoquer le destin de son courageux grand-père ? « C’est quelque chose dont je ne me suis absolument pas rendu compte, à l’époque, explique Jordan Mechner. C’est en travaillant sur cette bande dessinée que j’ai réalisé qu’il y avait peut-être un lien entre l’histoire racontée par le jeu, et celle de ma famille. Le héros est un réfugié, prisonnier d’un donjon, qui doit se sauver. Le lien avec le destin de mon grand-père, je m’en rends compte, aujourd’hui… »
Ce n’est pas la seule coïncidence, chez les Mechner-Ziegler. Sur son Apple II, en développant Prince of Persia, Jordan Mechner a, sans le savoir, codé un petit quelque chose qui a marqué, quelques décennies plus tôt, la vie de son aïeul. On ne spoilera rien, bien sûr. Mais la fin de cette histoire vous laissera, à coup sûr, sans voix.
Replay, Mémoires d’une famille, par Jordan Mechner (Editions Delcourt/Shampooing), 29 euros (19 euros en numérique). Plus d’informations ici.
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