« J’ai toujours voulu créer mon entreprise. Et surtout rester indépendante. Ado, je ne veux pas me marier. Et pas plus avoir des enfants. Rien que le mot « maman » m’est insupportable. Je le trouve ringard. Je suis l’aînée de trois frères parfaits et hyper-brillants à l’école. Moi je suis le cancre. Je fais toutes les conneries. Je m’habille en jean troué mais, dans mon petit film intérieur, je me vois bien plus tard diriger ma petite équipe. Mon père répète que je ne suis pas comme les autres. Ma mère, universitaire, docteure en sciences de l’éducation, veille à ne pas employer certains mots qui pourraient me dévaloriser. Ils s’adorent.
Mais, justement, je les trouve trop gentils. Je n’aime pas voir mon père se faire « bouffer » par des collègues qui veulent prendre sa place. Mes trois frères ont beau être têtes de classe, ils sont comme lui. En réaction, je me sens une vocation de « défenseure des opprimés ». Dans ma vie personnelle, j’aime aussi les amoureux sans trop de bagages, qui n’ont pas encore une véritable vie derrière eux, j’aime les conseiller, les aider, les diriger. Un peu comme je mène ma vie professionnelle.
Priorité à ma carrière
Aujourd’hui, à 43 ans, j’ai trois salariés. Je viens de racheter les locaux de mon agence à Biarritz. Et je ne compte pas en rester là. Après un BTS dans les assurances, à 21 ans, j’ai tout de suite commencé à travailler. Puis j’ai gravi tous les échelons. Très vite j’ai géré une grosse agence à Bordeaux. Des inspecteurs de la compagnie me repèrent et me disent : « Toi tu vas passer les tests pour être agent général.«
Pendant ces années je bosse beaucoup. Priorité à ma carrière. Mais je sors quand même pas mal.
Un jour, mon gynéco m’annonce : « Vous ne pourrez pas avoir d’enfants. » Je réponds du tac au tac : « En voilà une bonne nouvelle ! » J’arrête la pilule. Deux ans plus tard, je me retrouve enceinte. Je n’y crois pas. Test. Et re-test. C’est pourtant vrai. Et tellement incroyable que je décide de garder le bébé. C’est une fille. On l’appelle Océane. Le père est aussi heureux que moi. Il veut qu’on se marie. Un an après la naissance, je dis oui. Ce n’était pas une bonne idée.
Nous nous séparons. Ma fille, je l’adore. Je l’élève seule. J’ai des amoureux qui passent. Mais aucun ne s’installe. Je ne veux pas d’autre enfant. Avec mon agence, je cours toute la journée. Entre la crèche, les clients, les relances… je suis un peu débordée.
Le premier jour, il arrive en costume-cravate
On me propose de prendre en stage un étudiant bac + 5 en finances. Je me dis : « Pourquoi pas ? il va nous aider dans l’organisation. » Le premier jour, Stéphane arrive en costume-cravate. Il est très beau. Un peu grande gueule. Très efficace. Tout de suite, le courant passe. Lorsqu’on déjeune ensemble, avec l’équipe, je suis surprise par sa maturité. Il n’a que la vingtaine, et pourtant, il a des idées originales sur tout. Je sens à certains signes que, sexuellement, je ne lui suis pas indifférente.
Il est intimidé quand il me parle, il rougit… Depuis trois mois, je ne sors avec personne. Mais j’arrête vite mon cinéma. Je me dis qu’à mon âge je suis ridicule, qu’il pourrait passer une soirée avec moi – le fantasme de coucher avec la chef -, mais que cela ne durerait pas.
Les deux mois passent comme un éclair. Le dernier jour, je dois faire un aller-retour à Paris. Je vais rentrer tard et j’ai peur de ne plus avoir de taxi à la gare. Tout à coup, il lance : « Vous en faites pas, patronne, je viendrai vous chercher ! » C’est une magnifique soirée d’été, je l’invite à prendre un verre. Puis on se promène sur la plage. Et comme je le taquine, il me prend dans ses bras et me jette dans les vagues. Cela finit en bagarre amoureuse. On passe ensemble une nuit extraordinaire.
Une famille, ou rien
Son stage est fini. Pendant six mois, il poursuit ses études, et très vite il trouve un poste dans une banque. On se voit les week-ends. Je profite de ces moments merveilleux. Le futur, je n’y pense pas. A l’agence, j’ai un employé qui adore tirer les cartes. Un matin, je lui lance : « Tiens, je suis avec un petit jeune ! » Il étale son jeu : « Ça va être l’homme de ta vie. Vous allez avoir des enfants ensemble. Gilles, c’est pas possible. Qu’est-ce que tu me racontes ? »
A 37 ans, je ne me vois pas de nouveau enceinte. Ma fille grandit. Elle me suffit. Mais je sais que pour Stéphane, les enfants c’est très important. Ils jouent ensemble. Il lui parle, l’écoute, il est patient. Et très doux. A l’appart, il bricole. Et chez moi il y a du boulot ! Justement, je veux déménager. Au printemps, je commence à regarder les annonces et lui demande de m’accompagner pour les visites. Mais aucun appart ne lui plaît.
Je le soupçonne d’avoir envie d’une maison pour qu’on y emménage tous ensemble. Je fais l’autruche. Un soir, il me lance un ultimatum : « Je suis très bien avec toi, mais je veux construire une famille. Si tu ne veux pas d’enfant avec moi, je ne vais pas rester. »
Il n’a que faire du regard des autres
Je tombe enceinte, on se cherche une maison. Pour la financer, il vend son appart. Il veut aussi voir grandir sa fille. Le calcul est vite fait. Il gagne beaucoup moins que moi. A la banque, son boulot ne le passionne pas. Il demande un congé parental de trois ans. Avec le prix de la nounou, on est largement gagnants. Moi, cela ne me déplaît pas.
Le matin, je pars à 8 heures, lui, il donne les biberons, fait les courses… En même temps, il retape entièrement la maison. La plomberie, l’électricité, il apprend tout sur Internet. Il m’épate.
Rebelote avec notre deuxième enfant, Jules. Nouveau congé parental de trois ans. On revend la maison pour une autre, plus grande. Il est heureux, et ce que pensent les autres il s’en contrefout. Tous les deux, nous avons eu des parents soixante-huitards, engagés en politique, très bobos, qui nous ont appris à casser les codes. D’ailleurs, je trouve que tout a changé, même en province. Et ses copains l’envient plutôt.
En fait, nous avons trouvé l’équilibre.
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