Son accent marshmallow, sa voix frêle et son allure moderne ont fait de Jane Birkin une idole. Poupée de son de Gainsbourg, égérie populaire, l’actrice et chanteuse exhale une discrétion inversement proportionnelle à l’éclat de son palmarès serti, en autres chefs–d’oeuvre, des affolants « Je t’aime…moi non plus », « La Piscine », « La Pirate » ou « Les Dessous chics ». Souvenirs exclusifs.

Jane Birkin a débarqué en France au moment où l’Angleterre électrisait le monde de sa révolution culturelle, dans le sillage des Beatles, des Rolling Stones, de Mary Quant, David Bailey, Twiggy, David Hemmings et autre Terence Stamp. Silhouette androgyne, grands yeux de faon ébahi, candeur à fleur de peau corsée d’un accent irrésistible, l’innocente baby doll deviendra en un battement de cils la sulfureuse poupée de Serge Gainsbourg. Leur flamboyante liberté, leur classieux panache et leurs tubes hautement érogènes et suggestivement susurrés, de Je t’aime moi non plus à La Décadanse en passant par Sea, Sex and Sun en feront le couple mythique du show – biz des brûlantes années 1970.

Tatouée Gainsbourg à vie, Jane Birkin n’en a pas moins tracé sa route toute personnelle, derrière le micro et sur grand écran sous les regards bienveillants et fascinés de Doillon, Rivette, Godard, Wargnier ou Chéreau. Sa voix tendue à un fil, sa spontanéité sans filtre, et quelques comédies populaires dans lesquelles elle pétille (La moutarde me monte au nez, La Course à l’échalote…) l’ont définitivement sacrée trésor national. À soixante – dix ans, l’actrice et chanteuse au capital sympathie en béton reste une figure de légende ( les photos d’elle, inoxydable objet d’inspiration, envahissent Instagram ) et continue à faire vivre sur scène les émouvantes partitions de son mentor. Rencontre à l’heure du thé, jean et pieds nus, dans sa petite maison du 5e arrondissement de Paris avec en bruit de fond les ronflements pas très symphoniques de son bouledogue Dolly.

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Le style Gainsbourg

« Tout est de moi, il m’écoutait beaucoup. Pour commencer, il a mis du temps à avoir de la barbe, il faisait plus jeune que son âge, et ça le complexait. Je le trouvais plus beau avec une barbe de huit jours, donc il s’est acheté une tondeuse et l’a entretenue. Ça ressemblait à un maquillage naturel, ça faisait des ombres, ça sculptait son visage. On a envie de s’occuper des hommes qui ont de la barbe, on a l’impression qu’ils n’ont pas su où dormir la nuit passée. Je trouvais très distingué en revanche qu’il n’ait aucun poil ni sur le torse, ni sur les bras. Je lui avais offert des bracelets de vieille comtesse qu’il portait aux poignets et un diams au creux du cou. Il se l’est fait voler un soir de nouvel an à Pigalle et je l’ai remplacé par un saphir. Je suis allergique aux chaussettes, on imagine tout de suite le mec tout nu avec ses chaussettes, c’est misérable. Un jour, j’étais chez Repetto et, dans un panier de soldes, j’ai trouvé un modèle homme en cuir blanc souple comme un gant. Je l’ai offert à Serge. Il avait les pieds plats et les chaussures le blessaient. Il a porté ces pompes blanches sans chaussettes toute sa vie. Pareil pour les sous – vêtements, je trouve beaucoup plus érotique d’être nu sous son jean. Là encore, j’ai passé le message. »

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Son accent

« Sans lui, j’aurais fait une autre carrière. Les Français m’ont fait le cadeau de m’accepter très vite. Ils me trouvaient marrante, en grande partie grâce à mon accent et mes fautes de français. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles je n’ai pas cherché à l’améliorer. Je m’en veux parfois de ne pas avoir fait plus d’efforts … Sur le tournage de La Piscine, Deray me faisait parler avec un crayon dans la bouche pour que j’articule. C’était humiliant et ça n’a pas fait une grande différence. Quand Téchiné tournait Les Soeurs Brontë, je lui avais demandé de jouer dans le film. Il m’a dit qu’il y avait déjà Isabelle Adjani, Isabelle Huppert et Marie – France Pisier, qu’il ne voyait pas de rôle pour moi. Je voulais jouer le frère et les Brontë étaient anglais. Ce à quoi il m’a répondu :“Certes, mais je fais un film français.” Voilà, je n’ai pas toujours collé, je n’ai pas pu tout jouer. »

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Gainsbourg–Birkin, couple mythique

« Il ne faut pas exagérer tout de même, on n’était pas les Kennedy ! On a dû incarner une forme de liberté. Nos vingt ans de différence d’âge, notre mode de vie, on sortait la nuit, on rentrait pour réveiller Kate et Charlotte avant l’école et on dormait la journée, ma fantaisie à moi, notre absence de tabous … Serge disait : “On n’est pas un couple immoral, on est un couple amoral.” »

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Icône de style

« Je ne suis absolument pas consciente de ça, mais Lou m’a souvent dit que sur Instagram notamment j’étais abondamment référencée. C’est compliqué d’expliquer ça. Je suis anglaise et je viens d’un milieu où j’étais toujours à l’aise. Ça compte beaucoup. Je pouvais dîner avec n’importe qui et manger ma salade avec les doigts. Je n’ai jamais été préoccupée par la question de savoir si les choses se faisaient ou pas. Quand je suis arrivée en France, j’étais une copie de Jean Shrimpton. Les Françaises étaient très groomed à l’époque, certes il y avait Françoise Hardy et sa robe Paco Rabanne, mais elle la portait longueur genoux. Moi, j’avais fait enlever des rangs de mailles pour qu’elle ressemble à un long t – shirt. Quand je vois les photos … Je ne réalisais pas qu’elle était si transparente. C’est l’effet flash des photographes. Si j’avais su, je n’aurais pas mis de culotte ! Serge m’avait aussi acheté de très jolies robes chez Saint Laurent, il m’avait même fait faire un modèle haute couture en dentelle blanche pour un bal chez les Rothschild. Je me souviens aussi avoir monté les marches à Cannes avec une robe que je portais à l’envers, dos devant. Et puis il y a ce fameux panier portugais que j’avais acheté sur un marché de Londres et qui ne me quittait pas. Si on me refusait l’entrée de Maxim’s à cause de mon panier, je m’en foutais. J’avais cette assurance. Quand je revois des photos de moi de 1968, mes grands yeux de poupée soulignés d’eye – liner, la bouche exagérée, la frange, je trouve ça horrible. Je me suis trouvée la plus intéressante à quarante ans. J’ai commencé à porter des marcels en coton d’Écosse, des chemises d’homme agnès b. sur des pantalons trois fois trop grands ponctués d’une fine ceinture en cuir rouge avec des baskets sans lacets. Les vêtements de garçon trop grands, c’est bien quand on vieillit. On a l’air fragile. À un moment, il faut savoir renoncer aux robes de dames. Tu prends dix ans dans la vue. C’est comme le maquillage. À un certain âge, il faut arrêter de jouer avec les faux cils. Sinon, on devient terrifiante. »

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Serge intime

« Il avait l’air sombre, “mad and dangerous”, comme on disait de Byron, mais c’était un clown. Je ne connais pas de poète écrivain de sa qualité doté d’une telle fantaisie. Il adorait amuser les enfants et le faisait comme personne. Il n’était pas un artiste ténébreux qui se faisait chier dans son coin. Il avait envie que les gens sonnent à sa porte, il était très accessible. Et, en même temps, très sarcastique, brillant, parfois cruel pour le simple plaisir d’un jeu de mot. Je lui avais fait la gueule plusieurs jours après qu’il avait écrit sur une pochette “prendre les femmes pour ce qu’elles ne sont pas et les quitter pour ce qu’elles sont”. Je trouvais ça moche et blessant, et il m’avait dit : “Que veux – tu Janette, c’est un mot d’esprit.” Il avait évidemment raison. J’ai le souvenir d’histoires tellement drôles avec lui. Lors d’un dîner, j’étais assise à côté d’Arthur Rubinstein. Tout à coup je dis : “Serge, il est en train de me tripoter sous la table.” Ce à quoi il m’a répondu : “Laisse – toi faire Janette, c’est un génie.” Rien n’est plus séduisant que la drôlerie. Et puis, je n’ai jamais rencontré une personne plus généreuse, capable de sortir des biftons de cinq cents francs de son attaché – case pour les offrir à un chauffeur de taxi qu’il ne reverrait jamais afin qu’il se fasse refaire les dents. C’était un prince. À la fin, on était comme des vieux potes, j’ai adoré être sa confidente et ça m’allait tout à fait. »

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“La Piscine”, Delon, Schneider

« C’est le film qui m’a sauvée et donné la chance de rester en France. Je venais de terminer Slogan et je devais rentrer en Angleterre. Serge était détruit, il avait pleuré toute une nuit en s’éclairant à la bougie pour que je vois ses larmes. Peu de temps après, alors que nous dînions Serge et moi avec Pierre Grimblat, Jacques Deray est passé. C’est Grimblat qui lui avait soufflé qu’il avait pour lui une fille qu’on n’avait jamais vue. Fallait – il encore que Delon et Romy approuvent. Ils m’ont approuvée. On a débarqué à Ramatuelle comme des romanichels, les couches de Kate ficelées sur le toit de la voiture et la poussette sur la banquette arrière. Serge avait loué une énorme bagnole américaine pour en foutre plein la gueule à Delon. Elle ne passait pas dans les ruelles tellement elle était large. Romy était un ange. Deray m’avait passé un savon parce que j’avais débarqué sur le tournage avec ma fille. Il y avait Anthony, le fils de Delon, et David, le fils de Romy, à peu près du même âge, ça me semblait joyeux comme idée. Deray était furieux. Comme dans le film, j’avais dix – sept ans et que je n’étais pas censée avoir été touchée, si les journalistes voyaient Kate, ça foutait tout en l’air. Après l’engueulade, je me suis enfermée pour pleurer dans les toilettes de la villa. Romy m’a retrouvée et m’a dit qu’elle allait demander à Deray de s’excuser. Et il est venu. Elle était comme ça … Il y avait tout de même une ambiance très érotique sur le tournage. Même si je ne connaissais pas grand – chose à propos de leur histoire, on ressentait une tension. C’est sur La Piscine que j’ai compris ce qu’était une équipe. Comme le film tournait essentiellement autour de Romy et Delon, il y avait une photo de moi dans les caméras pour me booster le moral. Les techniciens sont souvent vos meilleurs amis sur un tournage. Plus que les acteurs.»

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« Je t’aime… moi non plus »

« Je l’ai interprétée par jalousie. Je me souviens que Serge faisait écouter la version avec Bardot qu’il n’avait jamais sortie à une équipe de télévision et il y avait une très jolie fille en jupe écossaise allongée sur le divan. Quand j’ai vu sa fierté de faire écouter ça aux journalistes et la fille sur le canapé, j’ai compris qu’il fallait que ce soit moi qui la chante. D’autant que d’autres comédiennes rôdaient, Mireille Darc lui demandait : “Alors Sergeou, elle devient quoi cette petite chanson ?” Je ne voulais pas qu’il se retrouve avec une beauté dans une cabine téléphonique à enregistrer à nouveau “Je t’aime… moi non plus” comme il l’avait fait avec Bardot. Quand il me l’a proposée, j’ai immédiatement accepté. On s’est retrouvé dans un énorme studio à Marbella, deux prises et l’affaire était pliée. Quand on est rentré à Paris, nous sommes allés dîner dans les caves à vins de l’hôtel des beaux-arts. Serge, sans rien dire, a joué le morceau sur le pick – up et tout à coup tous les couples se sont arrêtés de parler, fourchettes et couteaux suspendus en l’air. Serge m’a pincé en me disant : “I think we’ve got a hit record.” On n’imaginait pas une seconde que cette chanson allait représenter un tel symbole de liberté, et ce dans le monde entier. De l’Espagne à l’Argentine on l’écoutait en cachette, le pape l’a bannie, la BBC aussi, le patron de Phonogram Records a été jeté en prison en Italie. Je tournais encore un mauvais film à Oxford et tous les jours on voyait “Je t’aime… moi non plus” grimper dans les charts. C’était fou. »

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Serge, première image

« J’ai rencontré Serge en France pour les essais de Slogan de Pierre Grimblat. Il était très brun, avait un visage exquis et inattendu, et portait une chemise mauve. Il était caustique, sarcastique, pas antipathique mais je voyais bien qu’il s’en foutait pas mal. Il aurait pu imposer une autre fille comme le seigneur du village puisque le film reposait sur son nom. D’autant que Marisa Berenson, qui venait de passer l’audition, avait été sublime. Il a été plutôt bienveillant. Il m’a dit que lui n’aurait jamais eu le culot de passer des essais dans une langue qui n’était pas la sienne. J’avais tout appris en phonétique sans rien comprendre à ce que je disais. J’ai revu les tests depuis et j’étais bien mauvaise. Lui qui aimait les femmes sophistiquées, érotiques, mystérieuses se trouvait face à un bébé qui pleurait et qui mélangeait cinéma et vie privée. Il trouvait ça dégoûtant. Ma vie venait de basculer. Et, contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, mes parents étaient ravis. Après m’avoir vue tellement triste avec John Barry, ilsme voyaient enfin joyeuse. Serge a séduit ma mère parce qu’il lui rappelait Eric Maschwitz qui lui avait écrit le standard “A Nightingale Sang in Berkeley Square”. Quant à mon père, il le trouvait follement drôle. Ils prenaient leurs somnifères ensemble comme deux hiboux. L’un et l’autre savaient qu’ils devaient passer par l’un et par l’autre pour être acceptés par moi. Il fallait qu’ils s’aiment. Serge aurait dit à ma soeur : “Le jour où je mourrai, je passerai prendre ton père.” Papa est mort quatre jours après Serge. »

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« Blow–Up »

« Je me souviens essentiellement du jour de l’audition. Je ne savais même pas qui était Antonioni. On m’avait demandé d’écrire mon nom sur un mur et, toutes les trois lettres, de me tourner de profil pour voir si j’étais photogénique. Un Italien s’acharnait sur moi, j’ai fondu en larmes. Antonioni est sorti du décor et a crié : “ Arrêtez, ça suffit. J’ai vu ce que je voulais voir.” Il voulait voir l’émotion, il a été servi. John Barry, mon mari à l’époque, m’a dit que je n’aurais pas l’audace de me montrer nue sur le plateau parce que j’éteignais systématiquement les lumières chez nous. J’avais dix – sept ans … Juste parce qu’il m’a dit ça, j’ai osé le faire. »

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Good bye Londres

« John Barry venait de me quitter et de partir pour les États–Unis, j’avais mon bébé, Kate, et je me retrouvais chez mes parents. Tout avait “collapsé”. Je ne voulais plus rester à la maison à attendre. J’étais dans un restaurant sur Kings Road avec ma copine Gabrielle et on a eu vent d’un casting pour un film français où toutes les plus jolies filles de Londres accouraient. Je crois que Pierre Grimblat m’a trouvé marrante. Je l’ai béni de m’avoir prise. Je ne sais pas ce que j’aurais donné en Angleterre. Est – ce que j’aurais osé faire du théâtre alors que ma mère, Judy Campbell, muse de Noël Coward, plus belle femme d’Angleterre selon Cecil Beaton, était une telle vedette ? Est – ce que j’aurais osé faire une carrière aussi libre que celle que j’ai faite en France vis – à – vis de la famille de mon père ? Pas sûr. Je pensequ’on s’échappe toujours de quelque chose. »

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Mes défauts, des qualités

« J’ai beaucoup souffert de mon physique, surtout au pensionnat. Les autres disaient que j’étais moitié garçon moitié fille. Je n’avais pas de seins, pas le commencement de rien. Un calvaire. Ça a été une chance folle de tomber sur Serge. Quand il étudiait aux beaux – arts, il avait fait le dessin d’une fille qui ressemblait à un garçon sauf que ses seins étaient exactement comme les miens. Il m’a embarquée au Louvre pour me montrer les Cranach, pour m’expliquer que j’étais un Cranach et que les grosses poitrines lui faisaient peur. Il exagérait tout de même, il sortait d’une histoire avec Bardot… Mais son esthétique, c’était ça. Après les misères de l’internat, du mariage, c’était incroyable de tomber sur quelqu’un qui me trouvait belle et carrément érotique. Il m’a réconciliée avec moi – même. Quand un homme vous aime, ça change tout. »

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« La Fille prodigue », Jacques Doillon

« C’est la première fois que j’ai eu de telles critiques, qu’on m’a trouvée bonne à l’écran, je crois. Ça m’a considérablement touchée d’être prise au sérieux. Je ne connaissais pas le cinéma de Doillon, j’ignorais la densité des problèmes psychologiques, la quantité impressionnante de dialogues. Personne ne m’avait proposé un rôle pareil, demandé d’avoir une dépression nerveuse, de vouloir être enfermée avec mon père afin de savoir si j’étais sa fille préférée. Je me suis complètement lâchée, on m’a permis tout à coup de péter les plombs dans un cadre. C’est sans doute ce que Charlotte adore quand elle travaille avec Lars Von Trier. Ce n’est pas si dangereux que ça en a l’air … À travers moi, Jacques parlait de sa relation à son propre père. Les hommes m’ont souvent vue comme leur face B, Serge le premier. C’est assez commun chez les cinéastes d’ailleurs, Bergman et les autres … Malgré les apparences, j’avais quelque chose d’infiniment triste en moi, ce terrible sens de la culpabilité qui ne me quitte pas depuis l’enfance. Jacques a deviné ça en moi. Plus tard nous avons fait La Pirate. Je me suis encore plus lâchée. La projection du film à Cannes a fait scandale et c’est à ce moment – là que Patrice Chéreau a pensé à moi pour jouer La Fausse Suivante de Marivaux. Ma première expérience au théâtre qui m’a, dans la foulée, enfin permis d’oser monter sur scène pour chanter au Bataclan. J’ai revu La Fille prodigue à la Cinémathèque, Piccoli et moi on est vraiment bien. Si je claque, je veux ce film à la télévision, même à minuit. Et La Pirate s’il vous plaît ! La rencontre avec Jacques a été un vrai virage dans ma carrière. Et dans ma vie personnelle puisque j’ai quitté Serge, que nous avons vécu treize ans ensemble avec Jacques, et que nous avons eu Lou. »

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« Don Juan 73 », Bardot

« On tournait une scène dans une voiture avec Bardot et elle était en larmes, elle n’arrivait pas à faire la prise. Je pense que Vadim avait dû lui dire des choses dans la nuit qui l’avaient beaucoup blessée. Quand elle est sortie de la voiture, j’ai vu que les gens étaient ravis de la voir défaite. Elle inspirait la jalousie alors que moi j’inspirais la sympathie. Je n’étais pas dangereuse, les femmes n’avaient pas l’impression que j’allais leur piquer leurs maris. Bardot a été d’une générosité dingue avec moi. Et compte tenu de ce que nous avions en commun, ce n’était pas évident. On avait une scène de lit ensemble, on ne savait pas quoi faire et on s’est dit qu’on devrait chanter une chanson. Bardot a dit : “Pourquoi on ne chanterait pas ‘Je t’aime … moi non plus’ ?” J’ai refusé. On a fini par chanter “My Bonnie Lies over the Ocean”. J’ai observé Bardot dans le moindre détail pour trouver la faille. Sa bouche, son nez, sa peau, ses pieds, ses cheveux … Elle était fabuleuse de beauté. »

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Michel Piccoli

« Michel est ma plus belle rencontre amicale dans ce métier. J’aime ses qualités d’homme, son engagement politique, social, culturel. Je l’estime moralement. Sans parler de l’acteur. C’est le rêve de jouer face à lui. Parfois, quand j’avais des répliques sur lesquelles je butais, il les collait sur son chapeau. Michel ne se prend pas au sérieux, il a beaucoup d’humour. Il est comme j’imagine que Mastroianni était. »

Patrice Chéreau

« Je tournais Leave all Fair en Normandie, un film assezgrave avec John Gielgud, et Chéreau a débarqué sur le plateau pour me proposer de jouer la comtesse dans La Fausse Suivante à Nanterre. J’étais vraiment la dernière des imbéciles parce que je ne savais pas qui était Chéreau et je croyais qu’il voulait faire un film de la pièce de Marivaux. Il était tellement beau, tellement séduisant, que je ne voulais pas le laisser filer. Gielgud lui a demandé ce qu’il faisait là et Chéreau lui a dit qu’il venait me proposer de jouer la comtesse dans La Fausse Suivante. Gielgud lui aurait répondu “ambitious”, ce qui n’est pas très gentil … Mais ça, Chéreau me l’a raconté beaucoup plus tard. Je suis allée aux Amandiers avec maman voir sa mise en scène de Combat de nègre et de chiens, puis de l’opéra Lucio Silla. Ça a été un choc, comme être témoin d’un crash. Patrice a été le metteur en scène le plus merveilleux de ma vie. »

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Les remords, les regrets …

« Ça ne sert à rien, ça vous bouffe. Sans parler de la culpabilité. Elle me ronge depuis que j’ai douze ans. C’est une sacrée installation dans la tête de se dire que tout est de votre faute. Je n’ose même pas avouer à mes rideaux que je suis heureuse parce que je pense que je serais punie le lendemain. Quand je racontais ça à Kate et que je lui demandais s’il lui arrivait de ressentir la même chose, elle me répondait : “Non, moi je ne prends pas pour dieu.” »

Les actrices

« J’aime les drôles, les comiques, Marilyn évidemment, irrésistible. Mais aussi Shirley MacLaine dans La Garçonnière, tous les films de Billy Wilder. Audrey Hepburn et Leslie Caron, une autre “jolie laide”, comme on disait à l’époque, que vous n’avez pas su utiliser en France. Sa petite moue dans Gigi est à craquer, tellement plus intéressantes que les beautés fatales. J’étais tellement triste quand Marilyn est morte. Je me disais ce n’est pas possible, pas elle qui nous faisait rire. Garbo d’accord, mais pas elle ! »

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« Baby alone in Babylone »

« C’est l’album de la rupture, où tout a changé. Tout à coup, Serge me donnait à chanter ses blessures, son côté féminin. C’est très déstabilisant de chanter les blessures que vous avez inspirées. Avant ça, il m’écrivait des chansons légères et demandait parfois à d’autres auteurs d’écrire pour moi sur ses musiques quand il n’avait pas le temps. C’est ainsi que Philipe Labro m’a écrit “Lolita go home”. Je dois dire que j’étais fatiguée de chanter la petite fille qui excite les messieurs dans les trains. Il me semblait que j’étais devenue autre chose. On a enregistré Baby alone in Babylone en huit jours. Serge écrivait deux chansons par nuit et carburait à la clope et au café noir. Il était crevé. Il écrivait en majuscule sur des feuilles parce que je n’arrivais pas à le lire. On a jeté ça à la poubelle, vous imaginez ? Je chantais le plus haut possible pour ne pas le décevoir, je savais qu’il aimait ça. C’était bouleversant de le voir derrière la vitre. Il se foutait qu’on me comprenne ou pas, ce qu’il traquait c’était l’émotion. L’autre soir, j’ai osé regarder sur YouTube une vieille interview de lui dans laquelle il disait que j’étais celle qui chantait le mieux l’émotion. Je n’avais pas de contrat avec une maison de disques, rien ne pressait et je voyais bien qu’il était épuisé. Je lui ai dit : “Serge, il n’y a pas le feu, on a le temps d’enregistrer.” Il y tenait absolument. Il m’a dit : “Je te dois ça.” »

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Le destin

« Je n’y crois pas. Je pense qu’on peut tout changer à tout moment. Les accidents sont les meilleures choses de l’existence. Ils vous forcent à quitter une route qui semblait toute tracée, et c’est souvent en bifurquant qu’on tombe sur le type incroyable qui vous change la vie ou sur le projet insolite qui bouleverse votre carrière. C’est souvent quand ça se passe mal, qu’on est obligé de faire autrement, que ça devient tout à coup intéressant. »

La mort

« Avant, quand on me demandait comment je souhaitais mourir, je répondais : “la première”. Hélas, la vie en a décidé autrement. On a tous un peu peur de la mort quand on sent qu’elle approche. L’idée est tellement distante, abstraite. On a du mal à imaginer. Au cours des trois dernières années, elle m’a frôlée deux fois et, étonnamment, je n’ai pas paniqué. J’ai davantage eu peur de ne pas avoir le temps de dire ce que j’avais à dire, de laisser les choses dans l’ordre juste, de me faire pardonner. »

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Amoureuse

« Dès que je tombais amoureuse, j’étais gagnée par la peur de perdre l’homme que j’aimais, persuadée que toutes les autres filles sont plus intéressantes que moi. Cette insécurité, ce manque de confiance en soi est effrayant pour l’autre. D’autant qu’il se double inévitablement de jalousie. J’ai dû être impossible à vivre. Je suis très heureuse aujourd’hui de ne plus être amoureuse. Lorsque l’amour n’est pas là, la douleur n’existe pas non plus. »

S’il ne restait qu’une chanson…

« “Les Dessous chics”. Parce que c’est vraiment le portrait de Serge. “Les dessous chics, c’est la pudeur des sentiments, maquillés outrageusement, rouge sang. Les dessous chics, c’est se garder au fond de soi, fragile comme un bas de soie.” No comment. »

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