• Une injonction qui épuise les parents
  • Une question de lien d’attachement et pas d’amour
  • Faire le deuil de l’enfant idéalisé
  • Comment gérer cette différence d’affinité ?
  • Déculpabiliser le parent pour réharmoniser les relations
  • Accepter que l’amour égal n’est qu’un idéal

“Géraldine a choisi de l’assumer, et va vous raconter ce premier bébé, arrivé trop tôt, dans ses bras de jeune mère tétanisée, qui n’a jamais vraiment voulu d’enfant, et qui après un accouchement beaucoup trop intense a juste envie de rembobiner et de tout annuler… Mais au lieu d’annuler, Géraldine décide de récidiver, comme pour conjurer le sort, comme si cette première expérience n’était qu’un brouillon de sa maternité rêvée. Alors elle repart dans une 2e grossesse radicalement différente, et rencontre un 2e bébé radicalement différent aussi, qui lui fait découvrir enfin, la pureté de l’amour maternel”. 

C’est par cette description, via un post Facebook, que Clémentine Galley, à la tête du podcast Bliss-Stories, introduit l’épisode n°181 de sa série, consacré à l’un des plus gros tabous de la parentalité : celui d’aimer un de ses enfants plus que les autres. 

À la publication, les réactions ont été tellement violentes que ce dernier a dû être supprimé, pour éviter une vague de cyberharcèlement. En effet, rapidement Géraldine devient la cible de commentaires haineux : sa parole assumée est jugée scandaleuse, anormale. Le tabou ne semble pas prêt d’être levé.

Une injonction qui épuise les parents

“Pendant longtemps, je répondais toujours, ‘je n’ai pas de préférence’, quand mes enfants me demandaient qui était le chouchou dans la fratrie”, commence Nadine*, 53 ans et maman de deux garçons. 

Après une séparation intervenue pendant la grossesse de son dernier, elle devient mère célibataire et met un point d’honneur “à ne jamais faire de différence”. “Sauf qu’un jour, on se rend compte qu’on se ment et qu’on surcompense« , dévoile-t-elle. 

Aujourd’hui, Nadine l’admet sans détour : elle “a plus d’atomes crochus” avec son aîné et moins avec son cadet. Pourtant, pendant longtemps, elle n’a eu le droit de s’écouter et de s’exprimer. 

C’est une pression énorme sur les épaules du parents, alors que c’est une injonction qui n’a pas lieu d’être.

“La grossesse de mon dernier est associée à une séparation douloureuse. C’est aussi le seul de mes fils que j’ai dû assumer toute seule dès les débuts », explique-t-elle. Et à force de faire semblant tout le temps, de diviser son temps équitablement, sa psyché en prend un coup. « Je m’obligeais à donner autant de temps à Maël* – son cadet, ndlr – mais je voyais bien que ça ne fonctionnait pas, donc je me détestais encore plus« , admet-elle. 

“C’est une pression énorme sur les épaules du parents, alors que c’est une injonction qui n’a pas lieu d’être. Ce n’est pas une question de dose d’amour, mais plutôt de comment on aime et comment on le montre. Notre histoire est différente selon les périodes, donc on ne peut pas avoir le même investissement parental avec chaque enfant”, exprime d’entrée Aline Nativel Id Hammou, psychologue clinicienne. 

Une question de lien d’attachement et pas d’amour 

Ainsi, la spécialiste fait la différence entre les liens d’attachement et les liens d’affection. Suivant la personnalité de l’enfant, sa ressemblance et notre vécu lié à sa venue, l’attachement va différer. Comme avec n’importe quel autre être humain (collègue, ami, membre de la famille…). 

Seulement, dans notre société, le raccourci est vite fait. Si l’on n’aime pas son premier enfant comme son second, alors, c’est qu’on ne l’aime pas du tout. Et bien souvent, ce sont les mères qui sont taxées de faire des différences.

Pourtant, Alain*, 61 ans, témoigne aussi d’une fusion qu’il ne connaît qu’avec sa première. “Quand ma femme a accouché de ma fille, elle est tombée en dépression post-partum. Pour qu’elle puisse se remettre, j’étais très souvent avec Nina* – sa fille, ndlr – et on a développé un lien très fort”, se remémore-t-il. 

Si fort que lorsqu’arrivent ses deux derniers fils, trois et cinq ans plus tard, il est “déçu” de ne pas retrouver cette connexion. Si bien qu’il en vient à culpabiliser de “passer du temps avec sa fille, ou de souvent parler d’elle”. 

“En guidance parentale, j’ai souvent des parents qui me disent qu’ils ont l’impression d’aimer un enfant plus qu’un autre. Mais ce n’est pas une question d’amour, plutôt d’histoires divergentes et de connexions à des moments différents de notre vie”, appuie la psychologue. 

Faire le deuil de l’enfant idéalisé 

Longtemps, Alain admet avoir pensé « ne pas être un bon père ». « J’avais l’impression que ma fille était parfaite et donc je comparais tous ses accomplissements à ceux de mes fils. Je pensais que j’avais raté leur éducation », raconte-t-il. 

En réponse, Aline Nativel Id Hammou évoque le concept de l’enfant idéalisé. « Avant d’avoir des enfants, on rêve à ce mini-moi. Seulement, on crée des humains avec leur propre personnalité et des centres d’intérêt différents des nôtres, donc il peut y avoir une déception, un énième tabou de la sphère parentale ». 

J’avais envie de faire plus de choses avec mon aîné, mais je me privais.

Et parfois, il est difficile de ne pas retrouver ce qu’on a pu avoir avec son / ses enfant(s) précédent(s). Pour Nadine, il était souvent compliqué de « tenir la barre ». « Forcément, j’avais envie de faire plus de choses avec mon aîné, mais je me ‘privais’. Et les conflits étaient réguliers entre nous trois, parce que j’évitais toutes les confrontations« , confie-t-elle. 

« Quand l’enfant va ressentir une forme de différence dans les agissements, les activités, cela va poser problème dans l’équilibre familial », confirme la psychologue clinicienne. Alors, fatiguée et blessée par les tensions, la famille de Nadine s’oriente alors vers une thérapie familiale, qui vient « tout débloquer ». 

Comment gérer cette différence d’affinité ? 

Et là est l’un des clés pour Aline Nativel Id Hammou : parler. 

“L’idée, c’est d’évoquer les raisons d’une affinité particulière sur le moment. Est-ce que c’est dû à l’histoire de vie ? À une ressemblance ? À des passions en commun ? Avoir un ‘préféré’, c’est par période”, assure la spécialiste. 

D’autant que si la discussion va permettre à l’enfant de comprendre et de ne plus se sentir fautif – parfois certains pensent que l’écart s’est creusé parce qu’ils ont « été méchants », note la psychologue – elle va aussi permettre au parent de prendre du recul. 

“On va peut-être se rendre compte qu’on fait plus de compliments à l’un. Et c’est peut-être ça le plus important : réaliser que certains comportements peuvent avoir des conséquences et y remédier, tout en expliquant l’histoire de vie”, explicite-t-elle. 

Et encore une fois, elle le répète, cela n’a rien à voir avec l’amour. “Quand je pose la question, brutale : ‘qui sauveriez-vous si les enfants étaient face à un danger ?’, les parents sont les premiers à dire qu’ils ne peuvent pas faire un choix”, illustre-t-elle. 

Déculpabiliser le parent pour réharmoniser les relations 

Aline Nativel Id Hammou nuance, le but de la discussion n’est pas de trouver une personne à blâmer, mais bien de rétablir un dialogue, rendu interdit par le tabou. Voilà pourquoi déculpabiliser le parent est également primordial. 

“Tout le monde fait face à ces interrogations, c’est normal. On va intuitivement avoir plus d’affinité avec un enfant qui nous ressemble, parce que c’est un trait narcissique que nous avons tous”, note-t-elle. 

Entendre que j’étais normale et que nous n’étions pas la seule famille à venir consulter pour ça, ça a tout débloqué.

Si pour Alain, ce sont des discussions avec sa femme qui ont été salvatrices, Nadine décrit la thérapie comme ce qui l’a aidée à ouvrir les yeux. 

“Je savais au fond de moi que je ressentais certaines choses, mais entendre que j’étais normale et que nous n’étions pas la seule famille à venir consulter pour ça, ça a tout débloqué. En arrêtant de me forcer et de me penser comme une personne horrible, j’ai même pu me rapprocher de mon second”, explique-t-elle. 

« La plupart du temps il y a des différences et elles sont normales. Il y a cette injonction à toujours éduquer ses enfants de la même façon, mais c’est paradoxal, parce qu’on ne fait pas la même chose avec un enfant de 3 ans et un de 12 ans. D’autant que faire du copier-coller sur tous ses enfants, c’est impossible et surtout pas très sain« , démystifie la psychologue. 

Accepter que l’amour égal n’est qu’un idéal 

Et tout comme une éducation parfaitement égale est impossible, l’amour distribué de la même manière est aussi un idéal inatteignable. 

« Faire une différence, c’est une force, c’est reconnaître la singularité de son enfant, individualiser le rapport. Et quand l’enfant pose la question, demande pourquoi il n’a pas les mêmes attentions à 10 ans que la petite sœur de 5 ans, il faut mettre les mots. Dire qu’on est pas le même parent suivant les besoins, mais qu’on n’aime pas moins pour autant », conseille Aline Nativel Id Hammou. 

Cependant, la spécialiste note qu’il existe des exceptions, où la problématique d’investissement parental cache un trouble de la parentalité. Dans ces cas-là, l’accompagnement est nécessaire. 

Mais sur la question du « chouchou », elle martèle qu’il convient de relativiser. Exactement comme Nadine et Alain l’ont fait. « Je ne vais pas crier sur les toits que j’aime mes enfants de manière différente, mais ils le savent et personne n’en souffre, puisque je donnerais tout pour eux, et ici de manière égale« , confie la mère de famille.

Il n’y a rien de grave a être moins dans l’affectivité parfois, parce que l’enfant va la retrouver dans d’autres figures.

Alain explique, de son côté, que si sa fusion avec son aînée est restée intacte, il a « ses périodes ». « Parfois je vais être plus disponible pour mon cadet que pour les deux autres, même si, au yeux du monde, ce n’est pas lui mon ‘préféré' ». 

Et Aline Nativel Id Hammou acquiesce, on aime de diverses manières et selon les périodes. « Il n’y a rien de grave a être moins dans l’affectivité parfois, parce que l’enfant va la retrouver dans d’autres figures. Si maman ou papa est très occupé.e, on le dit, on l’explique. Même parmi les deux parents : les comportements affectifs ne sont jamais totalement en phase, donc l’enfant manque rarement d’amour », poursuit-elle. 

D’autant que, comme le note justement la psychologue, l’enfant aussi a ses périodes de préférence. Pourtant, cela n’abîme pas – dans la plupart des cas – l’amour global qu’il porte à ses parents. « L’amour est éternel, mais jamais parfait« , rappelle-t-elle, pour terminer. 

* Les prénoms ont été changés 

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