Le masque, ça gratte, ça étouffe la voix, ça crée de la buée sur les lunettes… Bref, c’est une galère, qui sauve des vies, certes. Pourtant, depuis qu’il est devenu obligatoire, j’ai l’impression d’avoir ma propre cape d’invisibilité. Je m’explique : en temps normal, sans pandémie mondiale, je préfère naturellement raser les murs et passer inaperçue. Je m’habille en noir, évite les endroits bondés. On me dit souvent que je suis froide, trop timide ou condescendante.

La vérité, c’est que je suis surtout très mal à l’aise avec les rapports sociaux qui nécessitent une démonstration physique visible par l’autre, même les plus simples qui consistent à sourire à la vendeuse. Autant vous dire que le fait de couvrir les deux tiers de mon visage en public, c’est presque une aubaine. 

Masqués, et fiers de l’être

Et comme moi, des tas de personnes s’en accommodent très bien. Qui sont-ils ? Les introvertis, pardi ! Longtemps catégorisés dans la même case que les timides, les réservés, voire les asociaux, les introvertis sont des personnalités qui se tournent davantage vers l’intérieur que l’extérieur. C’est la définition classique tirée de la racine latine. Plus précisément, ce sont les personnes qui se ressourcent mieux lorsqu’elles sont seules qu’entourées d’autres personnes, contrairement à l’extraverti qui puisera son énergie chez l’autre.

Laurie Hawkes, psychologue et autrice de La force des introvertis* (Ed. Eyrolles), nous explique que le port masque est un moyen “d’échapper au regard des autres, motivé par le souhait d’être tranquille.” C’est le cas par exemple d’Ambroise, 21 ans, un garçon réservé qui préfère passer la journée enfermé dans sa chambre à jouer de sa guitare plutôt que de s’aventurer dans l’agitation du monde extérieur.
Pragmatique, il a recensé plusieurs avantages au masque. 
“C’est pas mal quand il fait froid, mais surtout c’est pratique pour ne pas se faire reconnaître lorsqu’on croise des personnes que l’on ne veut pas voir », glisse-t-il sans citer de noms. « Et surtout, le masque me permet de rester dans ma bulle lorsque je suis dehors, un peu comme un casque audio », confie-t-il. 

Tis, de son côté, est autrice du blog “The Introvert Singer” sur lequel elle traite de tous les sujets qui concernent les profils introvertis. Elle-même concernée par la question et maman d’un garçon introverti, qui présente quelques troubles légers du spectre autistique, « est très à l’aise avec le masque, j’ai gagné en confort et je me sens mieux socialement. Je n’ai plus à me forcer pour faire des démarches qui avant me coûtaient, comme aller à la poste. Je garderai le masque même s’il devient obligatoire, c’est certain », précise-t-elle. 

La nécessité de l’autre

Généralement, les introvertis ont du mal avec le “savoir paraître” et le “savoir parler”, c’est pourquoi ils seront plus à l’aise dans des cercles intimes. Ce n’est pas pour autant que ce sont des grands amateurs de la solitude. Une des lectrices du blog de Tis partage ainsi son avis : “J’aime sortir avec mon masque dans la rue, car cela m’arrange que les gens ne me regardent plus. Par contre, l’anxiété liée au Covid-19 n’est pas bonne pour mon introversion qui empire ».

En effet, si le port du masque est plébiscité quasi-unanimement par les introverti.es, l’ambiance générale est moins facile à vivre. Le fait que les autres soient tous masqués à l’inverse, provoque de l’angoisse. Les gens dans la rue se ressemblent tous. Moi, j’ai besoin de lire les informations sur leur visage, sinon j’ai du mal à interagir avec eux”, confie ainsi Anne, 25 ans, en ajoutant par ailleurs qu’elle aime bien l’idée de cacher le sien paradoxalement. 

Le visage est l’une des plus grandes sources d’informations et joue un rôle unique dans la communication à l’autre. “Introverti ou non, on dépense de l’énergie à décrypter l’autre”, précise la spécialiste, Laurie Hawkes. D’ailleurs, lors de séances avec des groupes, « nous nous sommes retrouvés sans les masques, avec le respect des gestes barrières bien sûr, et cela a été un moment de jubilation tout de même », ajoute-t-elle. Démasqués, et libérés… 

Le danger de l’habitude

Il est important de dire que la crise sanitaire a nettement changé la donne. Avant l’apparition de la Covid-19, la société avait plutôt tendance à favoriser l’extraversion et à juger d’une certaine manière les autres. Mais “avec les confinements et le port du masqueles introvertis restent dans une zone de confort. Lorsque tout cela sera fini, plusieurs resteront sur le bord du chemin et ne feront plus l’effort de s’exposer”, poursuit Laurie Hawkes. 

Il est certain que le masque confère une forme de protection pour ceux qui voient l’espace public comme une jungle, mais, d’un autre côté, il pourrait conforter les introvertis dans l’idée qu’il est préférable pour eux de ne pas se forcer à sortir de leur coquille. Les études sociologiques et scientifiques manquent encore sur le sujet, mais l’idée a déjà été évoquée que ces réflexes sanitaires auront un impact sérieux sur les comportements sociaux. Ne serait-ce que sur les mœurs de politesses et de salutation : les contacts physiques seront sûrement moins fréquents qu’avant (quel soulagement de pouvoir abandonner la bise systématique !) et la poignée de main ne sera plus forcément de mise. Et si nous prenions exemple sur nos amis Japonais, en nous mettant aux courbettes ?

Et le même constat est établi lorsque l’on regarde de plus près les effets du masque sur des enfants déjà timides ou peu à l’aise dans le milieu scolaire. Certains ambivertis (ni trop introvertis, ni très extravertis) pourraient être tentés de se réfugier dans une forme d’isolement. “Cela peut effectivement devenir un frein pour ces enfants dans leur processus de socialisation, acquiesce finalement notre psychologue. Ils vont s’habituer à avoir le visage caché, à rester dans leur bulle. Mais ils auront malgré tout besoin d’apprendre un jour à jouer le jeu de la société”, explique la psychologue.

Ainsi, sans trop de certitudes ni de recul, on peut penser que la crise sanitaire sera le théâtre d’une transformation en profondeur de la société, qui reconnaitra peut-être mieux la force des introvertis et qui respectera leur besoin naturel de distanciation sociale. L’avenir nous le dira. 

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*La Force des introvertis, de l’avantage d’être sage dans un monde survolté, Editions Eyrolles, 180 pages, 18,90 €

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