Pour Léa, 34 ans, les ovocytes ne représentaient rien de plus que de simples gamètes. Bouleversée par l’expérience d’une amie infertile, elle a donc choisi d’offrir anonymement les siens. Un choix qui allait soulever des questions inattendues…
« J’ai plein d’amies, célibataires ou en couple, des amitiés qui datent du lycée, et régulièrement nous organisons des week-ends de filles. Il y a quatre ans, nous étions dans une maison au bord de la mer, la soirée était aux confidences et l’une d’entre nous, très émue, nous a révélé qu’elle avait recours à des traitements hormonaux pour avoir un enfant. J’ai été bouleversée par l’ampleur de sa douleur jusqu’ici secrète, et même stupéfaite. Nous étions plutôt intimes. Pourquoi était-ce si compliqué d’en parler à cœur ouvert ? Encouragées, d’autres amies ont révélé le même soir leur éprouvant parcours de fécondation in vitro.
La qualité du sperme de leur compagnon n’étant pas en cause, examens faits, elles semblaient avoir honte de leur infertilité. Elles avaient peut-être attendu trop longtemps, quelque chose clochait chez elles, elles n’en pouvaient plus des « Et toi, c’est pour quand ? » Nous avons essayé de les rassurer, de les raisonner : « Mais non, enfin, tu n’as pas à te sentir coupable de ne pas réussir à tomber enceinte. »
« Qu’est-ce que je fous là ? »
J’avais vu des appels aux dons pour contrer la pénurie d’ovocytes et, petit à petit, l’idée a germé en moi que j’étais concernée comme donneuse potentielle. Après tout, je n’avais pas besoin de tous mes ovocytes à 37 ans. J’étais célibataire et sans projet d’enfant dans l’immédiat, même si j’en avais eu dans mon couple précédent, je n’y pensais pas pour moi. L’idée de donner de moi, de mon corps, m’était familière. Je fais prélever régulièrement mon sang et bien avant la loi qui fait de nous tous des présumés donneurs d’organes – sauf volonté contraire exprimée –, je portais toujours la carte qui l’atteste sur moi.
Mais ce qui m’a motivée à pousser la porte d’un centre de fertilité, c’est que cela me permettait concrètement de manifester ma solidarité féminine, ma sororité, je tiens à ce mot. Il exprime bien ma profonde empathie pour les femmes. De là à donner directement des ovules à une amie en souffrance en passant par une clinique privée à l’étranger… L’idée m’a traversé l’esprit, mais non. Je préfère rester anonyme pour des inconnues. Car cela doit être très compliqué de savoir qu’on est la mère biologique d’un enfant qu’on voit grandir. Et quel serait mon statut si l’amie ne garde pas le secret sur cet enfant ?
L’année dernière, formalités entamées, j’ai donc eu droit à une batterie de rencontres, dont une avec une psychologue sur les raisons de ma démarche. Je l’ai fait rire en utilisant systématiquement le terme d' »œufs » pour désigner mes ovocytes, parce que pour moi, des gamètes, ce n’est que ça. Je lui ai dit – et je pense que c’est ce qu’elle voulait entendre – que j’avais bien conscience que mes œufs produiraient des enfants qui auraient des similarités avec moi mais ne seraient pas mes enfants. Elle m’a demandé comment j’en étais venue à cette démarche, ce que ça représentait pour moi.
C’est vrai, toutes les féministes ne donnent pas leurs ovules juste par solidarité avec des inconnues. Non, ce qui m’a sans doute encouragée, c’est mon histoire familiale. À 30 ans, j’ai été adoptée par mon beau-père, le compagnon de ma mère. C’est une adoption simple, un statut qui préserve mon lien avec mon père biologique, qui a toujours été présent après la séparation de mes parents, en dépit de sa longue dépression.
J’ai donc deux pères que j’aime, mon bio et mon beau-père, qui ont trouvé la force l’un d’élever une petite fille de 7 ans qui n’était pas la sienne, l’autre de l’avoir laissé faire. Mais si je remonte plus loin dans la généalogie familiale, mon père biologique et sa mère – ma grand-mère – ont eux aussi été élevés par leur beau-père. Il y a donc dans ma famille trois générations d’enfants élevés par d’autres parents. J’y pense rarement, mais c’est donc un modèle familial qui m’est familier. D’une certaine manière, en donnant mes ovocytes, oui, l’histoire se répète. C’est pourquoi un matin, je me suis retrouvée à l’hôpital Tenon, à Paris, pour commencer la stimulation ovarienne.
L’infirmière m’a montré comment faire la piqûre quotidienne à heure fixe et ensuite, je me suis piquée moi-même. Tout de suite, une énorme fatigue, l’un des effets secondaires, s’est emparée de moi. Je me disais : « Courage, serre les dents, ça ne dure que 12 jours. » Surtout qu’à la fin, j’ai ressenti en prime une pesanteur abdominale car mes ovaires, pleins d’ovules arrivés à maturité, avaient gonflé. Puis en avril dernier, je suis entrée au bloc pour le prélèvement des ovocytes. Là, en voyant le personnel s’affairer autour de moi, pour la première fois j’ai ressenti une bouffée d’angoisse. Je me suis dit avant de sombrer : « Qu’est-ce que je fous là ? Moi qui n’ai jamais dû aller à l’hôpital, je viens volontairement subir une anesthésie générale ! »
Mais quand je me suis réveillée, j’étais heureuse de l’avoir fait, et même plutôt fière : vingt ovocytes avaient été prélevés, le double de la moyenne. Au moins, je n’avais pas fait tout cela pour rien. J’allais rendre heureuse au moins une femme. Aucun regret malgré la douleur. La plupart de mes amies m’ont applaudie. Pour elles, j’ai fait preuve d’une générosité gratuite et désintéressée pour des inconnues qui ne pourront jamais me remercier. Et pourtant non, je ne me vois pas comme une bonne fée qui a donné ses petites graines, une sorte de mère Noël, alors qu’en Espagne, les donneuses sont rémunérées 900 €.
J’ai simplement fait quelque chose d’utile, qui a du sens et ne me coûte rien. Enfant, mes parents ne tenaient pas de grands discours sur le don et l’altruisme, mais leur vie d’éducateurs spécialisés travaillant avec des handicapés témoignait de leurs valeurs. J’entendais surtout : « Essaie de te mettre à la place des autres. »
Mes enfants biologiques
Ma mère (mais l’hôpital m’avait également prévenue) m’a toutefois demandé si je me rendais compte que des jeunes adultes pourraient un jour me contacter pour m’annoncer qu’ils sont mes enfants biologiques. Car de plus en plus de gens font des tests ADN pour connaître leurs origines. Il suffit que d’autres membres de ma famille en fassent pour que je sois retrouvée par recoupement.
Sans compter ce projet de loi qui propose la levée de l’anonymat des donneurs. J’y ai réfléchi. Je crois que je serais contente de les rencontrer, mais je leur expliquerai qu’ils ne sont pas mes enfants. Leur mère, c’est celle qui les aura portés neuf mois, allaités, nourris, élevés, même si lors d’une crise d’ado ils s’écrient : « T’es pas ma mère ! »
Je ne me demande pas si les receveuses seront ou pas de bonnes mères, si elles seront ou pas dans le non-dit quand leur enfant posera des questions sur l’histoire de sa naissance. Et réciproquement, j’espère pour elles qu’elles ne penseront pas à moi comme un fantôme entre leur enfant et elles, en se demandant de qui il tient. Mon regard sur les jeunes mères que je croise n’a pas changé. Si elles me ressemblent un peu – les médecins font en sorte que donneuses et receveuses aient les mêmes caractéristiques physiques –, je ne me demande pas si ce bébé, là, dans la poussette, ne serait pas…
Si un jour j’ai un nouveau compagnon et que nous avons un projet d’enfant, je l’informerai évidemment de mon don. Et si je n’arrivais pas à tomber enceinte, je n’hésiterais pas à faire appel à un don d’ovocytes. Je n’ai pas gardé les miens pour les années à venir, comme on me l’a proposé. J’ai fait un don, pas une congélation déguisée pour moi-même. Il y a bien des façons de devenir mère.
Témoignage publié dans le magazine Marie Claire, n°808, décembre 2019
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