- Parfois, on s’attache à certaines personnes
- Guy Georges était un habitué
- Un personnage réservé et charmant
- Le tueur du 11eme se tenait à carreau
- Ça m’a pris longtemps avant de comprendre
“En 1997, je travaillais dans une maison de retraite du côté de Clamart, dans les Hauts-de-Seine. Je m’occupais des personnes âgées en soins palliatifs. Auparavant, j’avais travaillé avec des enfants handicapés mais, à vrai dire, aucun de ces deux métiers ne me passionnait et je ne me voyais pas faire ça toute ma vie.
Comme je cherchais ma voie, je me suis dit que, tout en restant là, je pouvais donner du temps à d’autres qui en avaient aussi besoin. J’ai donc trouvé, dans le même département, un poste de bénévole dans un lieu qui accueillait les sans-abris.
J’ai commencé comme animatrice : je faisais l’accueil des personnes ayant appelé le 115 pour trouver un endroit où dormir ; je servais les repas ; je faisais les lits avec des draps en papier, j’accompagnais les personnes (uniquement des hommes) jusqu’à leur chambrée, ils étaient au moins six par pièce pour dormir.
Parfois je leur coupais les cheveux à la tondeuse. C’était dur, très dur même. Ils étaient vraiment abîmés par la vie. Les salariés n’étaient pas super formés, on naviguait un peu à vue.
Parfois, on s’attache à certaines personnes
Un centre d’hébergement est un lieu violent en soi, il y a des bagarres, des agressions, des insultes, des vols, des crises de démence, de manque pour les personnes toxicomanes. Et en même temps, c’est un lieu d’une grande humanité où l’on rencontre des gens, finalement, comme tout le monde : la population de l’extérieur s’y retrouve, les fous comme ceux que l’on dit “normaux”, mais dans une grande souffrance morale et physique.
Parfois, on s’attache à certaines personnes. D’autres fois, on se méfie de ceux que l’on juge dangereux. Ou que l’on voit passer à l’acte : une fois, un homme a pété les plombs, a décroché l’extincteur et manqué de fracasser le crâne d’un animateur.
Mon responsable a été attrapé au col par un type qui l’a projeté à travers une baie vitrée. Moi, j’ai été menacée, insultée plus d’une fois. Mais jamais de violences physiques. Pas là-bas en tout cas.
Ailleurs, plus tard, on me cassera le nez et des dents. Là, les mecs me demandaient plutôt : “Mais tu n’as rien de mieux à foutre, à 20 ans, que d’être avec nous ?”
Guy Georges était un habitué
Je ne me souviens plus de la première fois où j’ai vu Guy Georges, ce qui est bon signe. Cela signifie qu’il se mêlait aux autres, ne faisait preuve d’aucune violence particulière, ne se faisait nullement remarquer.
Tous les gars hébergés arrivaient le soir, par leurs propres moyens ou ramenés par les équipes des associations qui effectuaient des maraudes la nuit dans Paris. Tous mangeaient sur place, des barquettes préparées que des gens comme moi leur servions à table. Pas d’alcool, interdit dans le centre, tout comme la drogue. Que de l’eau, et le café au petit-déjeuner. Des couverts en plastique pour éviter les agressions.
C’était un habitué, l’équipe en place à mon arrivée le connaissait déjà et, moi, je le voyais régulièrement.
Le centre était ouvert toute la nuit, certains arrivaient très tard. Le lendemain matin, obligation de quitter les lieux vers 7h30 ou 8 heures. Le soir d’après, retour pour ceux qui avaient à nouveau réussi à avoir un lit. Et ainsi de suite…
Guy Georges, me semble-t-il, arrivait plutôt tard dans la nuit, avec ceux que les maraudes avaient ramassés. C’était un habitué, l’équipe en place à mon arrivée le connaissait déjà et, moi, je le voyais régulièrement.
Un personnage réservé et charmant
Il était charmant, timide, réservé et drôle. Un peu pince-sans-rire. On pouvait plaisanter avec lui, il n’était pas à côté de la plaque comme d’autres.
Très doux aussi. Il se mêlait peu aux autres mais ne faisait jamais d’histoires, ne cherchait pas la bagarre comme certains. Il était très poli aussi : je me souviens de lui avoir servi son repas plus d’une fois, il répondait toujours : “Merci beaucoup madame.”
Ensuite, il allait regarder la télévision dans la salle. Il n’arrivait jamais ivre. Il était propre aussi, ce qui est rare. Je lui montrais où était son lit, je lui donnais la literie en papier.
On me faisait aussi remarquer qu’aucun autre gars ne venait jamais le provoquer, comme s’il leur faisait peur…
On savait qu’il avait été en prison, comme son pote qui fréquentait aussi le centre. Un bavard qui racontait plein de choses sur ce qui se passait en détention. C’est grâce à lui que j’ai su que ce fameux Guy avait fait de la prison, qu’il était “chaud”, mais on ne savait pas pour quelles raisons et on ne le demandait pas. On ne posait pas de questions et, de toute façon, les trois-quarts ou presque des pensionnaires avaient été incarcérés, pour des vols notamment, parce qu’ils avaient faim.
Les seuls anciens détenus qui étaient montrés du doigt par les autres étaient ceux connus pour avoir violé des mineur·es… Je savais qu’il était un ancien enfant de la Ddass, il en parlait brièvement quand on allait fumer une clope dehors avec deux ou trois autres hommes hébergés là.
On me faisait aussi remarquer qu’aucun autre gars ne venait jamais le provoquer, comme s’il leur faisait peur…
Le tueur du 11eme se tenait à carreau
Nous étions au début de 1998. Dans Paris régnait la psychose du « tueur du 11e ». Un serial killer (le mot n’existait alors pas vraiment en France) qui s’en prenait aux jeunes femmes, les suivait dans la rue, entrait avec elles dans leur immeuble, réussissait à pénétrer à l’intérieur des appartements, les violait puis les tuait.
À la télé, à la radio, dans les journaux, pas un jour sans que l’on nous parle du “tueur de l’Est parisien” qui, en 1994, avait assassiné Elsa Benady dans le parking souterrain de sa résidence, puis un mois plus tard Agnès Nijkamp, égorgée à son domicile, rue du Faubourg-Saint-Antoine. C’était en réalité le quatrième meurtre de Guy Georges, qui vivait alors comme un marginal, errant de squat en squat, passant ses journées à boire et à voler dans les commerces.
Six mois plus tard, en juin 1995, il avait tenté d’assassiner Élisabeth Ortega, mais celle-ci était parvenue à lui échapper. Elle avait donné aux enquêteurs un portrait-robot qui ne lui correspondait pas.
En le voyant, impossible, en tout cas, de soupçonner le Guy Georges si aimable que l’on croisait encore souvent au foyer : le portrait-robot dressait le profil d’une personne d’origine maghrébine et non d’un métis, comme lui. Juillet 1995, nouveau viol et assassinat. D’autres encore, deux ans plus tard. Chargée de l’enquête, la Brigade criminelle de la PJ de Paris avait réussi à faire le lien entre les différents crimes.
Les policiers savaient qu’il s’agissait d’un seul et même homme. Mais je n’en ai jamais vu venir nous poser des questions sur place alors que la police venait régulièrement pour des bagarres, notamment au couteau.
Guy Georges était certainement là, mais se tenant à carreau, n’était jamais impliqué dans les conflits.
Ça m’a pris longtemps avant de comprendre
Je me souviens des avertissement que la police diffusait, demandant aux jeunes femmes de faire très attention le soir en rentrant seules chez elles. Ce qui était mon cas quand je quittais le centre vers minuit.
Sur place, on apprenait à être sur nos gardes, une bagarre éclatait en un quart de seconde, un coup de couteau pouvait partir en un éclair. Mais ce travail ne vous rendait pas pour autant paranoïaque. Je ne me suis donc jamais dit que le tueur du 11e pouvait être l’un des gars du centre. Cela faisait plusieurs semaines que je ne l’avais plus vu au foyer. Je n’avais évidemment aucune nouvelle.
Guy Georges a été arrêté par la police le 26 mars 1998 près du métro Blanche, en plein Paris. Le lendemain, j’ai vu son visage placardé sur tous les kiosques à journaux. Je n’en ai pas cru mes yeux, je l’ai reconnu immédiatement.
Il me semble que j’étais place de la Bastille, au cœur du quartier où il violait et assassinait ses victimes. Je n’ai pas compris sur le moment, j’ai vu sa tête, je me suis dit : tiens, on dirait Guy ! Puis : ah mais c’est bien lui, qu’est-ce qu’il fout là ?
Je lisais : “Le tueur de l’Est parisien”, mais ne comprenais toujours pas, sous le choc, n’arrivant pas à réaliser le rapport entre cette photo, ce titre et le gars du centre que je connaissais. Ça m’a pris longtemps avant de comprendre. J’étais là, plantée devant la une du journal, sidérée. J’ai alors été saisie d’une immense peur rétrospective, mêlée, toujours, à de l’incompréhension. J’ai marché je ne sais combien de temps et, là, j’ai revu dans ma tête toutes les scènes.
Tous ces moments que j’avais passés à ses côtés. Je ne me suis pourtant jamais demandé s’il aurait pu me tuer, moi aussi. C’est seulement maintenant que j’y repense. En sachant que je n’aurai jamais de réponse à cette terrible question. »
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Témoignage publié dans le magazine Marie Claire n°839, daté août 2022 – publié en juillet 2022
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