Retour forcé sur les bancs de l’école. Le vendredi 2 octobre, Emmanuel Macron a annoncé que l’instruction scolaire à domicile sera, à partir de la rentrée 2021, “strictement limitée, notamment aux impératifs de santé”, et qu’elle deviendrait également “obligatoire dès l’âge de 3 ans”. Une annonce choc qui a plongé les familles concernées, ainsi que les associations et établissements hors contrat, dans une colère, teintée d’incompréhension : pourquoi la souffrance des enfants passe-t-elle une nouvelle fois, au second plan ?

Aujourd’hui en France, près de 50 000 enfants sont donc concernés par cette mesure. Pour comprendre les enjeux d’un tel revirement, Isabelle Filliozat, psychothérapeute, conférencière et autrice, revient sur l’importance de l’instruction en famille et la nécessité de pouvoir proposer différents modes d’instruction pour que chaque enfant s’épanouisse.

Marie Claire : Le 2 octobre dernier, le président Emmanuel Macron a annoncé un durcissement des règles concernant l’instruction à domicile. Qui est concerné par ce mode d’instruction ? 

Isabelle Filliozat : Pour commencer, c’est important de préciser que ce mode d’instruction à domicile ne concerne pas un seul type de famille, ou un seul type d’enfant. Loin de là ! En témoigne la diversité des associations qui se sont créées. Et puis, il ne s’agit pas forcément de toute la scolarité. Ce peut être une année sans école. Cela concerne par exemple les familles avec un enfant porteur d’un handicap qui ne lui permet pas de s’intégrer dans un établissement public, il est alors contraint d’étudier à domicile.

Mais on trouve aussi des familles qui décident de faire le tour du monde, celles qui font le choix de vivre à la campagne autrement, à un autre rythme ou encore celles qui déscolarisent leur enfant pour le protéger du harcèlement dont il était victime à l’école, par les autres enfants voire par un enseignant. Il y a aussi les enfants “trop brillants” qui étouffent dans le cadre de l’école, qui s’agitent parce qu’ils s’ennuient, car ce “cadre” n’est pas assez flexible pour les inclure. Il y a aussi les parents qui ont envie d’expérimenter une autre façon de s’instruire, qui ne consiste pas à suivre des cours de maths ou de français, mais à apprendre de manière plus naturelle en suivant ses intérêts et ses passions et en intégrant les informations au moment où elles ont du sens.

D’ailleurs un grand nombre d’enseignants choisissent l’Instruction En Famille (IEF). Ils connaissent l’école. Ils en savent les atouts et les limites. Ils veulent explorer autre chose avec leur enfant. Il y a aussi les familles qui veulent simplement vivre à un rythme respectueux de la biologie de chacun, cela va des rythmes de sommeil aux rythmes d’apprentissage, plus de réveil qui sonne le matin et pouvoir rester à étudier un sujet 6 ou 8h d’affilée si l’envie nous en prend plutôt que changer de sujet toutes les heures comme à l’école.

En résumé, il n’y a pas une typologie des familles qui choisissent l’IEF, et je rappelle que ce choix n’est pas forcément pour toute la scolarité, on peut choisir l’IEF pour quelques mois, pour un an ou deux ou plus. La seule chose qui semble présente chez toutes les familles, c’est le souci du respect de l’enfant, et celui de lui permettre un développement optimal de ses capacités tant émotionnelles que sociales et cognitives.

C’est un mode d’instruction beaucoup plus courant dans d’autres pays, qui ne concerne proportionnellement pas tant de familles que ça, mais qui connaît malgré tout de plus en plus d’engouement.

Vous vous êtes engagé, notamment en partageant une pétition sur les réseaux sociaux. Pourquoi est-ce important de défendre ce mode d’instruction ?

Isabelle Filliozat : J’ai un regret, c’est de ne pas avoir déscolarisé mes enfants pendant quelque temps. À l’époque, cela se faisait vraiment peu et il n’y avait pas assez d’association et d’enfant de leur âge déscolarisés ou non scolarisés autour de nous. Mais mes enfants ont beaucoup souffert de harcèlement à l’école et je pense que l’instruction à domicile aurait été une bonne solution à ce moment-là pour les accompagner.

Je pense qu’il faut défendre cette liberté de choix dans le mode d’instruction d’une part pour pouvoir les protéger si besoin et d’autre part parce qu’il n’y a pas une seule manière d’apprendre. La diversité est toujours constructive et source de réussite. Plus il y a de diversité dans les options proposées, mieux on peut s’orienter vers celle qui conviendra à l’enfant, pour son bien-être d’une part et pour sa manière d’apprendre.

Bien sûr, il est nécessaire de vérifier que l’enfant se développe bien et apprend, qu’il n’est pas désocialisé. Les familles déclarées en IEF reçoivent régulièrement la visite d’inspecteurs. A noter que les fameux séparatistes évoqués par notre président ne se déclarent pas en IEF. Les familles qui choisissent l’instruction à domicile se réunissent entre elles, s’entraident, s’adossent à des associations. Elles sortent et ne cachent en aucun cas leurs enfants !

En quoi la fin de l’instruction à domicile va-t-elle engendrer des inégalités ? 

Isabelle Filliozat : Je ne sais pas si on peut parler d’engendrer ou non des inégalités. Toutefois, c’est important, voire nécessaire, de rappeler que l’égalité nécessite l’équité. Et le problème, c’est que le système actuel essaye de faire entrer tous les enfants dans un même moule éducatif, alors même qu’ils sont tous différents. On peut prendre l’exemple des rythmes des enfants et de leur sommeil : 30% seulement des enfants sont des lève-tôts, ce n’est donc pas équitable du tout de faire commencer les cours à 8h ou 8h30 ! 

Pour que le système soit plus égalitaire, il faudrait plus de flexibilité et une meilleure prise en charge des besoins biologiques, psychologiques et physiologiques des enfants. Et comme cela semble compliqué à mettre en place dans une seule structure, la diversité me parait plus pertinente. Deux enfants d’une même famille peuvent ne pas avoir les mêmes besoins, les mêmes rythmes, les mêmes façons d’apprendre. Ce serait utile de pouvoir choisir d’inscrire chaque enfant dans l’école qui lui permettra le mieux de développer son potentiel. Les petites écoles hors contrat sont source de créativité, d’innovations pédagogiques où peuvent être testées de nouvelles idées plus facilement que dans le public. Le public pourrait aussi se nourrir de cette créativité.

Pour plus d’égalité, on pourrait également penser à un système de “chèque éducation” pour permettre à tous les parents et pas seulement aux plus riches, d’opter pour une instruction différente. Car aujourd’hui, seules les familles CSP+ peuvent se permettre de choisir une école hors contrat, école Montessori, école bilingue… Les autres n’ont pas d’autres choix que l’instruction à domicile, s’ils ne veulent ou ne peuvent pas inscrire leurs enfants à l’école publique. 

En plus de la fin de l’instruction à domicile, sauf pour des impératifs de santé, le président a aussi évoqué l’école obligatoire à partir de trois ans. Mais tous les enfants sont-ils vraiment prêts à rentrer à l’école à cet âge ? 

Isabelle Filliozat : Tout dépend de ce que l’on appelle “école”. Des études ont montré qu’au niveau de la société, l’obligation scolaire à trois ans pouvait être porteuse d’égalité des chances. Les enfants de familles en grande précarité, migrants, sont statistiquement exposés à moins de mots au sein de leur foyer. L’obligation scolaire permet à ces enfants de développer leurs compétences langagières, ce qui leur permet de ne pas prendre de retard lorsque les apprentissages formels commenceront.

En revanche, pas question à trois ans d’être assis toute la journée à une table pour étudier. Ce qu’on a à développer, c’est la motricité, les sens, les compétences émotionnelles et sociales, les compétences exécutives. C’est le moment de développer la capacité d’apprendre, on ne retient pas forcément les contenus. Moi par exemple, je parlais couramment espagnol à trois ans et aujourd’hui, je n’en comprends pas un mot. C’est une période où l’enfant va avant tout construire son cerveau. Le jeu libre est essentiel. 

Phobie scolaire, autisme… l’école de la république ne semble pas en adéquation avec les spécificités de chaque enfant. Faut-il revoir fondamentalement l’école ? 

Isabelle Filliozat : L’Ecole de la République existe-t-elle vraiment sur le terrain ? Même au sein du public, il y a toutes sortes d’écoles, toutes sortes de profs. Difficile de parler de l’Ecole.

De manière générale, oui, le cadre scolaire est pensé pour la majorité et les enfants un peu différents peuvent ne pas y trouver leur place. Le cadre scolaire gagnerait à se montrer plus élastique pour intégrer les enfants hors norme. Plutôt que tenter de leur rogner les ailes pour les faire rentrer dans le moule, on pourrait envisager des structures et des organisations plus flexibles. Un cadre ne devrait pas exclure ce qui dépasse et chercher à y faire rentrer les enfants au forceps. L’école de la République porte la responsabilité de fournir un cadre au sein duquel chaque enfant peut développer son potentiel.

Il est important que l’instruction à domicile reste un choix. Pour un enfant autiste, par exemple, aller à l’école, être mêlé aux autres, peut être salvateur. Mais seulement s’il est accueilli avec ses spécificités, si ses besoins sont respectés, si l’accueil est parlé en classe pour éviter les moqueries. Lorsque les enseignants suivent une formation qui leur permet de mieux comprendre ce trouble neuro-développemental, ça se passe vraiment mieux. Tout le monde gagne à inclure les enfants différents en classe. Les autres élèves développent leur empathie.

Les classes sont généralement bondées : l’école était-elle prête à accueillir ses “nouveaux élèves” jusqu’alors instruits à domicile ?

Isabelle Filliozat : En terme de nombre, je ne pense pas que cela change radicalement la donne. On ne parle “que” de 50 000 élèves sur tout le territoire, dans lesquels on compte celles et ceux qui ne pourront pas aller à l’école pour raisons de santé. Par contre cela pose une autre question de celle du nombre : est-ce que l’école est prête à suivre la mutation de la société ? Prête à innover ? À renouveler sa structure ? 

En soi, il existe dans les lois régissant l’école des tas de bonnes choses qui ne se retrouvent pas forcément dans la réalité du terrain. Régulièrement, j’entends les parents parler de “loterie” à chaque rentrée ! On tombe sur un bon prof, impliqué et formé, un enseignant qui pratique une pédagogie nouvelle…ou sur un prof qui crie, qui punit à l’ancienne et qui peuvent vraiment avoir un impact négatif sur l’apprentissage et la vie d’un enfant. Le corps professoral est de fait très hétéroclite.

C’est pour moi là que sont les plus grands enjeux, dans la formation des professeurs et dans l’ouverture à une diversité et une multiplicité de modes d’apprentissage, plus proches des besoins et des spécificités de chaque enfant.

  • Nos enfants sont-ils tous précoces ?
  • Peut-on apprendre le bonheur à ses enfants ?

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