Jeudi 10 mars 2022, Laurent Bigorgne comparaît devant le tribunal correctionnel de Paris pour « administration de substance nuisible suivie d’une incapacité n’excédant pas huit jours ». Il est accusé d’avoir dilué trois cristaux de MDMA (ecstasy) dans la coupe de champagne de son employée Sophie Conrad, 40 ans, écrit Mediapart dans une enquête publiée le 7 mars.
Le directeur de l’Institut Montaigne, qui a démissionné de son poste le 27 février, a été interrogé par la police judiciaire de Paris. Au cours de sa garde à vue le 26 février, il a ainsi immédiatement reconnu avoir drogué sa collègue à son insu.
Plus encore, Laurent Bigorgne a même admis avoir déjà drogué sa propre compagne en lui servant du thé, sans qu’elle le sache, à l’automne 2021, révèle Mediapart. Il partage sa vie avec elle depuis 2003.
Mediapart révèle que, dans la soirée du 22 février, Laurent Bigorgne avait lui-même consommé de la cocaïne. Il aurait convié Sophie Conrad pour lui parler d’une « évolution professionnelle », a-t-elle expliqué aux forces de l’ordre.
Ce soir-là, selon elle, Laurent Bigorgne paraissait agité. La victime raconte que celui-ci leur aurait servi deux coupes de champagne et qu’après avoir entamé un demi-verre seulement, elle se serait sentie « terriblement mal ».
Sophie Conrad décrit son malaise : « les murs se mettent à tourner, j’ai des palpitations, des énormes bouffées de chaleur. J’ai l’impression de sortir de mon corps, je me suis dit que j’allais me réveiller quelque part, sans savoir ce qui s’était passé. »
Ensuite, Mediapart écrit qu’elle aurait profité d’un moment seul dans la pièce pour envoyer un message à une amie, prévenant qu’elle était chez Laurent Bigorgne et qu’elle pensait avoir été droguée. Cette proche l’aurait appelé à plusieurs reprises sans qu’elle ne puisse décrocher. Avant d’appeler le numéro du directeur du thinktank directement.
Ce fut le signal pour Sophie Conrad, alors dans les vapes. Elle aurait quitté l’appartement précipitamment, expliquant qu’elle se sentait mal.
« Pardon, je suis désolé, je me suis dit qu’on parlerait, j’ai tout fait foirer », lui aurait envoyé par texto Laurent Bigorgne dans la foulée. Ce à quoi elle aurait répondu : « dis-moi juste que tu n’avais rien mis dans le champagne. »
Celui-ci réfute par ailleurs toutes « fins sexuelles » à son acte. « Je pensais naïvement, stupidement, qu’on allait bavarder (…) au même niveau », a-t-il justifié en garde à vue.
Une enquête bâclée ?
Mediapart s’étonne de la rapidité de l’enquête, qui a duré 90 heures.
Quand bien même Laurent Bigorgne a confirmé qu’il avait déjà drogué une autre femme, sa compagne, avant Sophie Conrad, ces faits pourtant similaires à ceux commis sur sa collaboratrice n’ont pas été retenus par le parquet de Paris. Aucunes poursuites n’ont été engagées. Pour Me Arié Alimi, avocat de la plaignante, cette enquête est « parcellaire et carencée ».
L’avocat a soulevé plusieurs points troublants concernant le déroulé des investigations. Comme le fait que l’incapacité totale de travail (ITT) de sa cliente n’a pas été évaluée, dit-il, que le matériel informatique saisi chez Laurent Bigorgne n’a pas été exploité avant d’être restitué au suspect ou encore que l’un des enquêteurs a fait des recherches sur le passé judiciaire de la plaignante, alors que cette procédure est réservée aux mis en cause.
« Il apparaît évident que le parquet de Paris a délibérément écarté certaines qualifications pénales telles que la tentative de viol et l’administration à une personne, à son insu, d’une substance de nature à altérer le discernement ou le contrôle de ses actes afin de commettre à son égard un viol ou une agression sexuelle et ce, aux fins de protéger une personne politique et, par là même, l’Institut Montaigne », a dénoncé Me Arié Alimi auprès de Mediapart.
Celui-ci va demander l’ouverture d’une information judiciaire, permettant ainsi que l’enquête soit rouverte et menée par un juge d’instruction.
Laurent Bigorgne s’est toujours présenté comme une personne proche du président Emmanuel Macron.
Une relation « piège » avec son supérieur
Selon le journal d’investigation, Laurent Bigorgne connaissait très bien sa collaboratrice, responsable du pôle « politiques publiques » de l’Institut Montaigne. Celle-ci est en effet la soeur de sa première femme, épousée il y a plus de 25 ans. Il décrit entre eux, une « relation d’une grande complicité », « comme celle d’un grand frère et d’une petite sœur ».
Elle, dressait un autre constat, décrivant une « relation piège ». S’ils échangeaient souvent et entretenaient une relation cordiale, plusieurs fois, la victime se seraiet sentie mal à l’aise.
Elle évoque un déplacement professionnel à Marseille durant lequel il lui aurait proposé de la drogue, ou encore des textos au contenu plutôt intime. Laurent Bigorgne lui aurait posé des questions sur sa vie sexuelle : »je suis sûr que tu es un super coup » ; « je vais finir par t’offrir un sex-toy ou te trouver un escort boy », peut-on lire dans l’enquête de Mediapart.
Contacté par Mediapart, son avocat Me Sébastien Schapira évoque « une dénaturation d’échanges sortis de leur contexte ».
Sophie Conrad, elle, dit avoir esquivé ces discussions.
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