Essia Boularès, qui a mis le feu à un immeuble parisien provoquant la mort de dix personnes, a fait appel de sa condamnation.

Situé dans une cour, l’immeuble ne permet pas l’utilisation de tous les moyens des pompiers. Ceux-ci devront user d’échelles à crochets pour sauver les habitants des derniers étages.

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“Toi qui aimes les flammes, ça va te faire tout drôle quand ça va exploser.”

Ce 4 février 2019, la soirée est déjà bien entamée. Et Essia Boularès aussi qui, toute la journée, a fumé du cannabis et s’est enivrée plus que de raison. Nous sommes dans un immeuble cossu de huit étages, au 17 bis de la rue Erlanger, dans le XVIe arrondissement parisien. Cette femme de 40 ans met la musique à fond, attirant tôt les protestations de son voisin, pompier de profession, qui vient tambouriner à la porte, lui demandant de baisser le volume. Sans succès. Il appelle donc la police afin de faire cesser le vacarme. En vain. Très vite, le ton monte quand les deux voisins se croisent quelques heures plus tard sur le palier : « Regarde-moi droit dans les yeux. Toi qui aimes les flammes, ça va te faire tout drôle quand ça va exploser. Moi, personnellement, je me casse… », lui lance-t-elle. Quelques minutes plus tard, le bâtiment se transforme en brasier. Il est tout juste minuit passé.

Pascale Gorgatchev, mère d’Adèle, une des dix victimes


Julie Forbes et Claire Mussy, deux des 64 rescapés des flammes.

Danse infernale

Aussitôt appelés, les pompiers se rendent compte de l’ampleur du sinistre. En effet, l’immeuble étant situé au fond d’une cour, il leur est impossible d’y faire entrer leurs camions et les échelles qui leur permettraient d’atteindre les étages supérieurs. Et c’est là que commencent à la fois cauchemar et course contre la montre, pour les 250 soldats du feu dépêchés sur les lieux. Là, le spectacle est terrifiant. Comme si toutes les flammes de la géhenne s’étaient donné rendez-vous pour une sorte de danse infernale. Un pompier témoigne : « On a dû effectuer une mission à l’ancienne. On a été ramenés à une époque où l’on n’avait pas tous les moyens qu’on a maintenant, à devoir effectuer des sauvetages à l’aide d’échelles à crochets. Et ce qui m’a marqué, par rapport à l’immeuble, c’est que ça brûlait de la même intensité à tous les niveaux. Il était impossible de trouver le foyer à vue d’œil. On pouvait regarder une fenêtre encore fermée, sans rien, et qui d’un seul coup explosait, d’où le feu sortait de manière très intense. C’était incompréhensible pour nous. Des personnes avaient à peine le temps d’être sauvées et descendues par échelle, que les flammes sortaient de leurs fenêtres. »

“Je voyais les gens sauter, je les ai sentis mourir, je les ai entendus partir.”

De son côté, une survivante des étages les plus élevés témoigne : « J’assiste à tout, au désespoir des gens, aux hurlements, aux appels à l’aide. […] J’étais persuadée que c’était la fin. Je voyais les gens sauter, je les ai sentis mourir, je les ai entendus partir. Je me disais que s’il se passait ça en dessous, c’était forcément ce qui allait m’arriver à moi dans quelques minutes. » Et les pompiers d’accomplir ce soir-là de véritables miracles, parvenant à sauver, au péril de leur vie, celle de 64 habitants. Au final, dix morts et huit soldats du feu blessés. On n’avait pas vu pareil drame dans la capitale depuis l’incendie du boulevard Vincent-Auriol, le 25 août 2005, ayant causé la mort de dix-sept personnes dont quatorze enfants.

Délire

Essia Boularès

Mais, alors que ces héros du quotidien font montre de leur traditionnelle vaillance, une femme est surprise, en train d’incendier une poubelle et une voiture stationnée dans une rue avoisinante. De qui s’agit-il ? De la même Essia Boularès… Les policiers qui l’arrêtent, s’ils la placent aussitôt en garde à vue, ne font pas immédiatement le lien avec la tragédie qui vient de se jouer, mais la connaissent assez bien pour se souvenir qu’ils ont déjà dû intervenir chez elle lorsqu’elle s’en prenait au même voisin pompier, lui reprochant des ébats intimes trop bruyants à son goût. Très logiquement, ils l’interrogent à propos de l’incendie. Si elle jure n’y être pour rien, ses réponses sont néanmoins des plus confuses. Présentant des « troubles mentaux manifestes », elle est soumise à des analyses par les policiers. Résultat ? Un sacré cocktail, composé d’alcool, de cannabis, de cocaïne et de benzodiazépine, un puissant anxiolytique.

La consultation de leurs fichiers permet de constater que la prévenue n’a rien d’une parfaite inconnue : elle a déjà été internée en hôpital psychiatrique à de multiples reprises. Sans surprise, elle est placée en détention provisoire, avant de reconnaître les faits, deux ans après. Mais, en réalité, qui est Essia Boularès ?

Elle ne saurait présenter la traditionnelle excuse d’une enfance malheureuse. Mourad, son père, est traducteur à l’Unesco, et Michèle, sa mère, enseigne le français dans une université américaine, à Paris. Mariam, sa sœur aînée, dirige une agence de photographes, tandis que le frère puîné exerce comme saxophoniste à New York. Ses parents se sont toujours aimés comme au premier jour. Elle n’a pas de problèmes d’argent. La preuve en est qu’à la mort de son père, en 2012, elle hérite de 110 000 euros, vite dilapidés en cocaïne, tandis que sa mère lui paye son appartement, en plein triangle d’or parisien ; pas vraiment un quartier de déshérités, dira-t-on. Seulement voilà, Essia Boularès est en proie à des démons intérieurs que jamais elle ne parviendra à dompter. D’où une première cure de désintoxication à seulement 17 ans : « Je tournais à vingt-quatre bières par jour », avouera-t-elle aux enquêteurs. Pire encore, elle est fascinée par le feu : en 2000, à la suite d’une querelle avec son conjoint d’alors, elle tente de le brûler vif en mettant le feu à sa chemise. Quinze ans plus tard, elle récidive en entreprenant d’incendier l’appartement de sa sœur. En 2016, Essia Boularès fait de même d’un magasin de vêtements, afin d’en dérober la caisse.

“Quand j’ai mis le feu à la chemise de mon copain, je me prenais pour la Vierge Marie.”

Comment expliquer une telle passion pyromane ? Les explications qu’elle donnera ensuite n’aident pas à dissiper la confusion : « Quand j’ai mis le feu à la chemise de mon copain, j’étais dans un délire mystique. Je me prenais pour la Vierge Marie. » Un délire qui la conduit à une trentaine de séjours en cliniques spécialisées. Mariam, sa sœur, qui l’a accompagnée, le 18 janvier 2019, lors d’un énième passage à Sainte-Anne, l’un des principaux hôpitaux psychiatriques de Paris, confirme : « C’était une autre dimension, un vrai délire. J’avais en face de moi quelqu’un qui n’était plus dans la réalité. Elle parlait de chamanes, elle ramassait des gobelets dans le jardin de Sainte-Anne et les remplissait avec de la terre. Elle disait que Gaïa était là, qu’elle avait une mission. »

Très lourde peine

Le 30 janvier, malgré l’opposition de sa famille, elle ressort pourtant libre comme l’air. Quelques jours plus tard, elle perpètre son terrible méfait. Aujourd’hui qu’elle se trouve devant la cour d’assises de Paris, les mêmes questions reviennent, toujours plus lancinantes pour les proches de l’accusée comme pour ceux des victimes : comment a-t-on pu en arriver là ?

Sans surprise, ses avocats plaident l’irresponsabilité. L’un d’eux, Me Sébastien Schapira, affirme au président du tribunal : « Vous opposez normal et fou. Ma cliente n’est ni normale, ni folle. Elle est malade ! » Ce que semblent confirmer les propos d’Essia Boularès, qui tente, de manière pathétique, de se justifier : « Je n’ai pas pensé mettre le feu. J’étais dans un état de persécution. J’en veux à mon voisin. J’ai mis le feu par connerie. Je n’ai jamais voulu tuer qui que ce soit. »

Fortuitement, la justice n’a guère été sensible à ses arguments, l’ayant condamnée, ce 23 février, à vingt-cinq ans de prison, évoquant « l’extrême gravité des faits », un « départ de feu volontaire » motivé par « la colère et le ressentiment ». Les avocats d’Essia Boularès ont aussitôt fait appel de cette décision, évoquant « une peine extrêmement lourde qui ne laisse aucun espoir à notre cliente. » Pas faux.

Mais ceux qui, par sa faute, ont succombé aux flammes ou se sont jetés dans le vide pour échapper à ces dernières, leur avait-elle laissé le moindre espoir ? La question est en partie là. Elle en amène aussi une autre : pour de basses raisons économiques, l’État n’en finit plus de fermer les hôpitaux psychiatriques, laissant en liberté des gens qui ne devraient pas l’être. On voit aujourd’hui le résultat.

Nicolas GAUTHIER

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