• Les artistes parlent du futur. Régulièrement, dans son Interview Futur, 20 Minutes interroge des artistes pour recueillir leurs visions de l’avenir.
  • Depuis quatre tomes, le dessinateur de bandes dessinées Ugo Bienvenu voyage dans le futur.
  • Pour lui, c’est une façon d’analyser le présent en faisant un pas de recul.

Un robot travailleur du sexe qui parcourt l’univers pour satisfaire les femmes. C’est le pitch de
B.O comme un Dieu, la nouvelle bande dessinée signée Ugo Bienvenu. Intelligence artificielle, robot sexuel, voyage intergalactique… Cet album futuriste -et pornographique-, paru début septembre dans la collection BD Cul des éditions Les Requins marteaux, nous emmène dans l’imaginaire du dessinateur, lauréat du Grand Prix de l’ACBD 2019 avec Préférence Système.

Grand témoin du Turfu Festival, qui commence le 5 octobre, il nous invite à réfléchir sur le présent de l’humanité en se plaçant dans le monde de demain.

Comment, de « Préférence système », en êtes-vous arrivé à créer une bande dessinée futuriste pornographique telle que « B.O comme un Dieu » ?

La maison d’édition m’a proposé de faire une bande dessinée érotique. C’est un genre que je n’avais jamais testé et qui m’intéressait. Je me suis demandé comment faire du cul qui n’est pas seulement du cul. Ce qui m’intéresse, c’est la question philosophique, la question que se posent les hommes sur l’existence. J’ai eu l’idée de faire un mélange d’existentialisme et de sexe parce que je me suis rendu compte que je n’avais pas une imagination libidinale démentielle. J’ai décidé de prendre le point de vue d’un robot pour analyser les déviances, de façon un peu chirurgicale. Ce n’est jamais observé comme ça, c’est toujours pris comme une effusion.

« On va vers de moins en moins de capacité de l’homme à changer son destin, de moins en moins de nature, de moins en moins de beauté »

Aujourd’hui, les robots sexuels les plus avancés sont plutôt destinés à un public masculin. Pourquoi avez-vous décidé d’inverser les rôles en prenant un robot sexuel destiné aux femmes ?

Quand on dessine, quand on écrit, on parle du monde tel qu’on le voit. Il se trouve que j’aime les femmes et ce dont je peux parler le mieux, c’est du rapport entre les hommes et les femmes. Je préférais que le seul personnage masculin de la BD soit un robot. Et je trouve qu’une bite en métal, c’est plus joli.

N’avez-vous pas eu peur d’être critiqué sur le fait de montrer exclusivement des femmes nues, de les objectifier ?

L’objet, dans le récit, c’est l’homme. La sexualité, c’est le moment où on décide d’être un objet et c’est ce qui est beau. C’est le moment de l’abandon. Généralement, dans la vie on est plutôt des sujets. Là, c’est le moment où on peut devenir l’objet de l’autre, mais ça va dans les deux sens. Je le dis dans la BD : en tant qu’homme, il y a des moments où j’aime être l’objet de l’autre.

Que ce soit « Préférence système » qui décrit la destruction d’une partie de la mémoire collective, ou « B.O comme un Dieu » qui raconte les aventures du dernier robot sexuel, il est question de l’anéantissement des choses du passé lié aux limitations de la technologie. Quel regard portez-vous sur la technologie ?

La technologie est un chemin obligé et ce serait dommage de le nier. Le début de la technologie, on va dire que c’est le bâton, par exemple. Etymologiquement, le mot « imbécile » désigne celui qui n’a pas de bâton pour soutenir ses forces défaillantes. On serait imbéciles de ne pas aller vers la technologie, il faut seulement l’utiliser à bon escient. Si on veut comprendre ce qu’on est en train de générer, il faudrait autant de techniciens que de philosophes pour l’accompagner et, clairement, il y a beaucoup plus de techniciens. A mon humble niveau, avec mes petits récits, je pose des questions de manière vivante et cathartique.

Quelle est votre idée du monde qui nous attend ?

Les choses complexes vont disparaître au profit de choses simples. Dans mon futur, il reste encore de la nature et la possibilité pour l’homme de changer les choses. En réalité, je pense que telle qu’évolue la période, on va vers de moins en moins de capacité de l’homme à changer son destin, de moins en moins de nature, de moins en moins de beauté et de moins en moins de bonheur. Plus je regarde le réel, plus je l’analyse, plus je me dis que ces potentiels sont de moins en moins viables. Je suis beaucoup plus positif dans mes BD que dans la vie.

« C’est prétentieux de se dire que nous, on a le privilège d’être les pires. Ça va dans le sens de la victimisation générale »

Pour vous, le futur sera ambiance collapsologie ou ambiance transhumaniste ?

Je n’aime pas les deux. Il y aura une forme de transhumanisme, il y aura une forme de collapsologie mais tout ça va se passer très doucement et de manière très chiante. J’ai l’impression que ces deux récits s’adressent surtout aux pays riches. J’ai vécu au Tchad pendant la guerre civile, au Guatemala, au Mexique… Ma vision du monde, c’est que le pire a déjà lieu dans le monde il y aura une généralisation de ce pire. Tout existe déjà et on y va doucement. J’essaye de faire une version qui mélange toutes les questions qu’on se pose aujourd’hui, mais en les prenant parfois à rebours. Dans Préférence Système, c’est le robot qui permet de sauver l’humanité d’elle-même.

Pouvez-vous réagir à cette citation d’Elon Musk : « Avec l’intelligence artificielle, nous invoquons le démon ».

C’est simpliste. On a besoin de l’intelligence artificielle parce que, dans quelques milliards d’années, le soleil va s’éteindre et il faudra quitter le système solaire. Si on veut survivre à très long terme, il faut inventer des moyens pour se barrer. Il y a des dangers dans l’intelligence artificielle, il faut les étudier, les anticiper. Je crois en l’humain, un peu moins en l’humanité. En tant qu’individu, on peut avoir un recul, et ce recul nous est arraché dès qu’on est un ensemble.

Jean-Pierre Andrevon dit : « Les auteurs de science-fiction intéressés par les dystopies ont souvent eu raison… Les auteurs de science-fiction sont des lanceurs d’alerte ». Qu’en pensez-vous ?

C’est pour ça que j’essaye d’écrire des récits où le bonheur est possible. Dans les années 1970, les auteurs de dystopies et de science-fiction ont prédit le pire, et le pire est en train d’arriver. C’est peut-être à notre génération de prédire quelque chose de viable pour notre humanité pour qu’elle ait lieu. Je ne parle pas de l’Eden, mais d’un récit où l’Humanité peut continuer d’exister dans un monde vivable. Les auteurs de science-fiction voient des embryons de futur dans le réel. On se dit « Si on tire la ficelle plus loin, ça va aboutir à ça ». Le danger, c’est de simplifier.

« L’amour pour moi c’est l’alpha et l’oméga. C’est ce qui nous permet de tenir dans cette espèce de fange qu’est la vie »

Le philosophe Dominique Bourg dit : « On est déjà entré dans une dynamique culturelle où les gens ont commencé à comprendre que le monde tel qu’ils l’ont connu va disparaître ». Êtes-vous d’accord ?

On assiste tous dans notre vie à la fin d’un monde, le nôtre. Toute l’humanité est toujours née dans une époque et morte dans celle d’après. Quand on veut être parents, on se demande si on a envie de mettre aujourd’hui un enfant au monde. Je pense qu’on se posait la même question du temps des grottes : est-ce qu’on a envie de mettre un enfant au monde alors qu’un tigre qui va le bouffer ? De même quand on construisait les pyramides en Egypte ou au Moyen-Age. C’est prétentieux de se dire que nous, on a le privilège d’être les pires. Ça va dans le sens de la victimisation générale.

Pouvez-vous réagir à cette image tirée de « B.O comme un Dieu » ?

Image tirée de

C’est un coup de foudre. J’ai essayé de créer de l’électricité entre deux êtres, avec l’idée que finalement, on aime ce qui est fait du même bois que nous. Dans cette image, il y a quelque chose d’humain dans le fait de se voir pour la première fois et de savoir qu’on est fait pour être ensemble. J’ai construit ce personnage en regardant mes copains qui avaient plein d’aventures et qui se disaient : « Le sens de ma vie, c’est de ne jamais approfondir ». De mon côté, j’ai vécu l’inverse, j’ai rencontré ma femme à 19 ans et j’ai commencé à savoir qui j’étais quand je l’ai rencontrée. L’amour pour moi c’est l’alpha et l’oméga. C’est ce qui nous permet de tenir dans cette espèce de fange qu’est la vie.

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