« Et si vous pouviez réécrire l’Histoire ? » annonçaient les images promotionnelles de la mini-série Hollywood, disponible sur Netflix depuis le 1er mai. Réalisée par Ryan Murphy, le prolifique scénariste et réalisateur à qui l’on doit entre autres Nip/Tuck, ou American Horror Story, cette nouvelle série en sept épisodes propose une vision inclusive et féministe de l’âge d’or d’Hollywood – a contrario de la réalité sociale et culturelle de l’époque.
Pour ce faire, elle raconte les ambitions de personnages, certains ayant réellement existé, marginalisés aux prémices de l’industrie du cinéma américain, pour des « motifs » genrés, raciaux ou sexuels, encore sujets à discrimination dans l’industrie du divertissement à notre époque.
L’intrigue s’organise autour de la conception d’un film intitulé Peg, pensé par un scénariste Afro-américain gay. Le script est censé être tiré de l’histoire vraie de Peg Entwistle, blanche, mais s’adapte au fil des épisodes à son actrice principale Afro-américaine elle aussi, interprétée par Laura Harrier (Spiderman : homecoming, BlacKkKlansman : j’ai infiltré le Ku Klux Klan).
Un destin alternatif aux oubliés d’Hollywood
Mêlant à la fois personnages réels et personnages de fiction, l’utopie de Ryan Murphy ne se contente pas de penser un Hollywood moins cruel, elle offre un vrai destin alternatif à quelques talentueux acteurs discriminés. On retrouve ainsi Anna May Wong (Michelle Krusiec), actrice des années 1940 à qui Hollywood avait refusé le rôle principal du film oscarisé Visages d’Orient, en raison du misogyne et raciste code de l’industrie cinématographique – appliqué de 1934 à 1966. Hattie McDaniel, dont s’inspire le personnage de Camille Washington (Laura Harrier) avait, elle, en dépit de son talent, été reléguée tout au long de sa carrière à des rôles de domestiques, car noire.
Peut-être qu’Hollywood a besoin d’une femme pour comprendre qu’il existe d’autres façons de faire du cinéma (épisode 5)
Avec Hollywood, le réalisateur place enfin ces minorités oubliées sous le feu des projecteurs. Résultat ? Les personnages de la série brisent le plafond de verre et réalisent un long-métrage hollywoodien avec un scénariste homosexuel, un réalisateur métis, une actrice principale afro-américaine et une présidente à la tête du studio. Du jamais-vu dans l’Hollywood d’après-guerre.
Ce qu’aurait pu être Hollywood sans discrimination
Que ce soit à travers le personnage d’Archie Coleman (Jeremy Pope) – assumant son homosexualité et rêvant qu’une place soit faite à Hollywood pour les personnes racisées, ou celui de Raymond Ainsley (Darren Criss) – mal à l’aise avec le fait qu’il puisse décrocher n’importe quel rôle parce que son physique ne « trahit » pas ses origines asiatiques, la série cherche à mettre sur le devant de la scène les minorités habituellement peu présentes sur nos grands écrans. On retrouve des personnages ayant plusieurs orientations sexuelles, plusieurs origines ethniques, mais aussi, plusieurs âges. Des personnages aux problématiques et développements diverses donc, au point que cela peut parfois être difficile à suivre pour le téléspectateur.
À ce titre, Avis Amberg incarnée par Patti LuPone donne à la série un caractère particulièrement révolutionnaire. Ancienne actrice, sa carrière échoue parce qu’elle est juive, ce pourquoi Hollywood la rejette. Mais pas à pas, elle délaisse son statut d’épouse pour prendre la place de son mari Ace à la tête des studios, et essaie d’aider à sa mesure – totalement paniquée par l’idée – ceux qui comme elle, sont sous-estimés par le 7e art.
Non seulement elle donne à Camille Washington un premier rôle dans la grosse production Peg au détriment de sa propre fille, mais elle oeuvre aussi à la représentation de femmes plus âgées dans l’industrie cinématographique : elle promet notamment à Jeanne Crandall (Mira Sorvino) – pourtant maîtresse de son propre mari – un rôle de choix qui lui permettra enfin d’être reconnue à sa juste valeur après une longue carrière dans le cinéma à être reléguée au second plan en faveur d’actrices plus jeunes. Très vite, Avis Amberg (Patti LuPone) gagne en pouvoir et s’interroge sur ce que cela implique.
Je refuse que plus tard, les gens disent que la première femme à diriger un studio à la place de son mari lui a fait faire faillite parce qu’elle voulait changer le monde
Elle est prête à faire des sacrifices, mais hésite sachant qu’en tant que première directrice de studio dans le Hollywood de la série, le moindre faux-pas de sa part lui coûterait, ainsi qu’à toutes les femmes qui lui succéderont. En dépit du caractère utopique de la série, les balbutiements d’Avis en tant que directrice du studio proposent un récit inclusif d’un réalisme rarement égalé. Le personnage rappelle qu’on ne peut pas seulement décider de représenter les minorités sans envisager les répercussions politiques (tentatives d’agression, manifestations de partis d’extrême-droite…) et financières (boycotts, licenciements…).
Dans le Hollywood de Ryan Murphy, toutes les luttes convergent
Mais si Hollywood est définitivement à ajouter parmi les séries « feel good », c’est parce que tous ces oubliés du 7e art s’entraident pour pouvoir s’y faire leur place. Loin d’eux l’idée de se mettre des bâtons dans les roues. Contrairement à la récente série Mrs. America qui dépeint entre autres les désaccords au sein du Mouvement de Libération des Femmes, le nouveau projet de Ryan Murphy envisage un passé où toutes les minorités s’unissent contre le même groupe dominant – ici, les studios hollywoodiens.
Claire (Samara Weaving), fille du directeur des studios Ace et extrêmement capricieuse, semble être la caricature de la femme privilégiée. Mais lorsqu’une femme noire obtient le rôle principal à sa place, elle ne peut s’empêcher d’aller la féliciter pour sa prestation, et d’exprimer sa gratitude auprès d’Avis Amberg, qui a eu le courage de choisir quelqu’un d’autre que sa fille dans l’espoir de faire changer les choses.
Quant à Archie, alors qu’il a d’abord l’opportunité de réussir individuellement, celui-ci se rend vite compte que cela n’a de sens que s’il parvient – accompagné de ses amis – à ouvrir les portes d’Hollywood à tous les autres noirs Américains. Il décide d’abord d’écrire un scénario à propos d’une femme blanche afin de se faire accepter par Hollywood, puis prend le risque de changer son script pour que Camille puisse en interpréter le rôle principal, et par la même occasion, porter le message que les femmes noires aussi, peuvent être de grandes actrices.
Enfin, Raymond, qui aurait pu être célèbre sans encombre puisqu’il est souvent perçu comme « blanc » dans la série, fait le choix de n’accepter que les opportunités qui peuvent permettre à ses amis d’être représentés eux aussi, et n’essaie pas de cacher ses origines. Il use de son statut pour permettre à ses amis de réussir : une décision courageuse, humaine, qui permet aux luttes de tous les autres personnages de converger.
L’intersectionnalité de la série se ressent aussi par les choix personnels de Ryan Murphy, qui n’hésite pas à réunir Anna May Wong et Camille Washington autour de difficultés semblables, quand bien même la marginalisation qui les touche est différente. Il décide aussi de mettre en scène des bribes inspirées du proxénète Scotty Bowers, ce qui permet d’inverser les stéréotypes de genre et rend les personnages masculins bien plus sensibles aux problématiques qui touchent les femmes.
En effet, puisque dans la série ce sont davantage les hommes qui se prostituent, les discriminations genrées sont altérées, tournées au ridicule. De cette façon, les hommes peuvent aider les femmes à gravir les échelons hollywoodiens – en comprenant mieux les inégalités qu’elles subissent – comme pour Raymond, qui se bat pour que sa petite-amie devienne une star de cinéma, quitte à mettre de côté ses propres privilèges.
Le symbole ultime de ce fort soutien entre les personnages reste peut-être le générique même de la série, qui les montre s’aider mutuellement à grimper sur les lettres du célèbre signe Hollywood surplombant Los Angeles.
Volontairement déraisonnable et idéalisée au possible, Hollywood de Ryan Murphy laisse croire le temps de sept épisodes que tout est possible, et que renverser les schémas d’oppression serait à portée de main. En cela, la série est profondément optimiste, et la détermination de ses personnages autant revigorante que convaincante. Cela en agacera certains.
Toutefois, elle convainc aussi, que chacun, à son échelle, peut agir pour mettre un terme à l’exclusion des minorités, et rappelle que les inégalités sociales paraissent moins insurmontables lorsqu’elles sont appréhendées à l’unisson.
Si on peut reprocher à Ryan Murphy d’avoir intégré bien trop de problématiques au sein d’une seule et même mini-série – provoquant parfois maladresse et confusion – on ne peut lui retirer qu’Hollywood est un chef d’oeuvre en termes d’inclusivité, et de représentation. La série est une pommade pour toutes celles et ceux qui chaque jour espèrent se débarrasser du racisme, du patriarcat et de l’homophobie. Et sans aucun doute, pour ceux-là, Hollywood aura l’effet d’un véritable carburant, pour le coeur et l’esprit.
Hollywood de Ryan Murphy, une mini-série en sept épisodes, disponible sur Netflix.
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