• Tenues, horaires d’entraînement : des réflexes de protection intériorisés
  • Suivie après la salle, traquée sur les réseaux sociaux
  • "T’as pas mis mon legging préféré aujourd’hui"
  • Ne pas oser dénoncer, de peur de ne pas être crue
  • Je suis harcelée à la salle de sport, que puis-je faire ?

#Gymweirdos. Un hashtag qui comptabilise, à l’heure actuelle, 507,3 millions de vues sur TikTok et des milliers de vidéos partagées. En un clic, peuvent y être visualisées des scènes de harcèlement à la salle de sport

Beaucoup de femmes, fatiguées des regards, commentaires déplacés et autres comportements parfois inquiétants, doivent filmer les hommes qui font d’un lieu d’entraînement leur terrain de chasse, pour mettre en lumière un phénomène répandu mais souvent tu. 

En France, aucun chiffre n’illustre la réalité du terrain. Mais un sondage américain mené par Run Repeat en 2021 rapporte que 56% des femmes assurent avoir déjà connu au moins une situation de harcèlement à la salle de sport

“C’est malheureusement très courant”, confirme Vincent, responsable d’une salle de sport dans les Yvelines, évoluant dans le milieu depuis treize ans. “Dans de nombreuses salles, quand on est une femme, on va souvent se faire accoster deux, trois fois par séance”, poursuit-il. 

Tenues, horaires d’entraînement : des réflexes de protection intériorisés

Claire a 23 ans. Elle va régulièrement à la salle de sport. Avant septembre dernier, elle n’avait jamais été victime de harcèlement durant son entraînement. Pour autant, certains de ses comportements étaient déjà presque inconsciemment “adaptés” au risque d’être une femme seule, à la salle. 

“J’ai l’habitude de cohabiter avec des mecs, donc je n’avais pas peur. Mais il y a toujours ces regards, donc je faisais attention à adapter ma tenue. Et au départ, j’évitais aussi d’aller dans des salles avec un public majoritairement masculin”, explique la jeune femme. 

De l’autre côté des machines, Vincent note également des habitudes adaptatives, notamment au niveau des horaires d’entraînement. 

“Sur tout ce qui est musculation, on voit moins de femmes le soir. Il y a même des adhérentes qui vont prendre un coach et lui demander de ne pas aller dans la partie muscu, parce qu’il y a trop d’hommes et qu’elles n’aiment pas leurs regards”, assure-t-il. 

Suivie après la salle, traquée sur les réseaux sociaux

Mais un jour, en pleine après-midi, Claire est accostée par un homme qui ne veut pas la laisser partir. 

“Je terminais ma séance sur le vélo, j’avais remarqué qu’il me regardait beaucoup et puis il s’est mis à me parler pendant 20 minutes. Je me sentais coincée, car j’étais entre le mur et lui”, se remémore-t-elle. 

Alors qu’elle répond qu’elle doit partir, car elle a un train à prendre, l’homme d’une trentaine d’années se fait de plus en plus pressant. 

“Tu vas où ?”, “C’est quoi ton Insta ?”. La jeune journaliste répond à demi-mots en espérant qu’il la laisse tranquille. Une fois installée dans le train, elle ouvre ses demandes de messages sur l’application et là, le choc. 

“Il m’avait envoyé une photo du train dans lequel j’étais. En regardant par la fenêtre, je l’ai vu sur le quai, j’ai été très choquée. Puis il a continué à m’envoyer des messages pendant des semaines”, poursuit-elle. 

Après cet épisode traumatisant, Claire n’a pas remis les pieds dans cette salle pendant plusieurs mois. “Quand j’y suis retournée, j’étais accompagnée d’un ami”, confie-t-elle.

« T’as pas mis mon legging préféré aujourd’hui »

Tout comme elle, Alice, 26 ans, a mis du temps à reprendre le chemin d’une salle après un “incident”, comme elle le nomme.

“J’ai commencé la musculation il y a trois ans, et j’ai tout de suite adoré. C’est très satisfaisant de voir la puissance de son corps. Alors au début, les regards lourds et les mecs qui viennent étaler leur science, je m’en fichais. J’étais là pour la performance”, débute-t-elle. 

Un jour, un jeune homme vient lui demander quelques conseils quant à l’utilisation des machines. “Il m’a dit qu’il commençait et qu’il était perdu. On a sympathisé au fil des séances, parce qu’on s’entraînait souvent aux mêmes moments. Il insistait pour avoir mon numéro, mais j’ai directement dit que j’avais un copain”.  

Un jour, j’ai tilté que son objectif était tourné vers moi. J’ai pété un câble en comprenant qu’il me filmait.

Mais ses commentaires se font de plus en plus déplacés. Ses bonjours se ponctuent de “t’as pas mis mon legging préféré aujourd’hui”, alors Alice prend ses distances et change sa routine. Elle ne s’entraîne plus que le matin, avant le travail, pour éviter de le croiser. 

“Il a vite compris et je l’ai revu plusieurs fois pendant mes séances. On ne se parlait plus, mais il continuait de choisir les machines près de moi et de me jeter des coups d’œil. Il avait toujours son téléphone avec lui pour filmer ses ‘évolutions’, et un jour, j’ai tilté que son objectif était tourné vers moi. J’ai pété un câble en comprenant qu’il me filmait. Avec une autre adhérente, on a réussi à lui faire dire la vérité et il a effacé la vidéo sous mes yeux, mais je ne sais pas si c’était la seule”, témoigne la vingtenaire. 

Ne pas oser dénoncer, de peur de ne pas être crue

Alice explique ne pas avoir “pris la peine” de raconter son histoire au personnel de la salle de sport par peur qu’on ne la croit pas. “Les salles de muscu, c’est le temple des mecs, on ne s’y sent pas forcément épaulée”, explique-t-elle. 

À tort, répond Vincent. Dans une des salles où il a exercé, il a été témoin de situations similaires, où le personnel a eu un rôle clé. 

“Il y avait cet homme qui entraînait une jeune fille qui était mineure à l’époque. Un jour, il lui a fait comprendre que son coaching n’était pas gratuit et qu’il voulait être payé en nature. La jeune fille l’a enregistré, puis est venue vous voir. L’homme a été banni de la salle et une plainte a été déposée”. 

Mais les faits de harcèlement peuvent aussi concerner directement les personnes qui travaillent dans ces lieux d’entraînement. 

“Le personnel de ménage travaille tôt le matin et est majoritairement composé de femmes. Il est arrivé qu’un adhérent fasse exprès de prendre sa douche à l’heure du passage de l’employée et d’en sortir nu devant elle, tout en lançant des blagues salaces”, poursuit Vincent. 

Je suis harcelée à la salle de sport, que puis-je faire ? 

Le responsable de salle assure que dans ces cas graves, les harceleurs sont radiés de la structure et quand cela se passe dans un groupe, “le mot est passé”, à l’échelle nationale. 

Mais le professionnel est formel, il ne faut pas hésiter à parler dès les premiers regards et commentaires. “Dans des grosses structures, on a 600 passages par jour, malheureusement on ne peut pas tout voir. Mais notre rôle est d’encadrer sportivement et personnellement. Il ne faut pas se renfermer, se dire qu’on va continuer de payer pour rien et ne plus revenir”, martèle-t-il. 

Dans ces cas-là, Vincent explique que le personnel en salle peut expliquer à la personne qui pose problème que son comportement n’est pas acceptable : “bien souvent on a de la négation. Généralement, la personne s’arrête ou ne revient plus”. Mais c’est aussi leur rôle de “changer les mentalités et d’expliquer que les femmes ne sont pas des bouts de viande”.

Pour continuer de s’entraîner en se sentant à l’aise et en sécurité, il recommande de bien choisir sa salle, notamment en multipliant les séances d’essai (idéalement faites sur des heures qui correspondent à nos horaires d’entraînement). 

En parallèle, différentes salles de sport ouvrent des structures exclusives aux sportives, avec un staff féminin. “Vous vous sentirez en sécurité pour vous donner à 100% dans vos entraînements”, peut-on lire sur le site de Basic Fit, qui propose plusieurs clubs « Ladies Only » en France. Fitness Park et d’autres structures indépendantes ont également mis en place ces “safe space” sportifs. 

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