Le monde de l’édition est en ébullition. Il faut dire que ce jeudi sort un livre d’un monument de littérature française du XXe siècle, décrié par les uns et adulé par les autres. Les manuscrits perdus de Louis-Ferdinand Céline, réapparus dans des circonstances mystérieuses, sont en effet exposés à Paris et donnent lieu à la publication d’un inédit : Guerre.

Ces 6.000 feuillets jamais publiés avaient été abandonnés par l’écrivain quand il avait fui la France pour l’Allemagne en juin 1944. Récupérés par des résistants, ils ont échu dans les années 2000 à un ancien journaliste, Jean-Pierre Thibaudat. Celui-ci a dû les remettre à la police et aux ayants droit de l’écrivain, qui ont révélé leur existence à l’été 2021. L’éditeur de Céline, la maison Gallimard, publie donc dans sa collection Blanche ce roman de quelque 150 pages, plus illustrations et annexes.

Un roman sombre, nerveux et cru

Dans la plus pure tradition du roman célinien, sombre, nerveux et cru, Guerre s’ouvre avec le réveil du brigadier Ferdinand, 20 ans, miraculeusement en vie sur le champ de bataille à Poelkappelle en Belgique, une nuit de 1915. L’écrivain raconte comment un soldat anglais le sauve, puis sa convalescence non loin du front à Peurdu-sur-la-Lys (dans la réalité Hazebrouck, en France), et enfin un départ précipité pour l’Angleterre. Le séjour outre-Manche sera d’ailleurs le sujet d’un autre inédit, plus long, Londres, à paraître à l’automne.

Guerre a été écrit vraisemblablement en 1934, peu après le scandale du premier roman de Céline, Voyage au bout de la nuit (1932). Le tournant antisémite, dont l’écrivain ne se repentira jamais, date de 1937, avec la publication du pamphlet Bagatelles pour un massacre.

« J’ai attrapé la guerre dans ma tête. Elle est enfermée dans ma tête »

Les manuscrits de Guerre et Londres « arrivent à point nommé ou par une divine surprise, comme vous voulez, pour que Céline redevienne un écrivain : celui qui importe, de 1932-1936 », estime Philippe Roussin, chercheur spécialiste de Céline. Le pamphlétaire fait en effet l’unanimité contre lui. Mais le romancier occupe une place de choix dans l’histoire du genre, pour avoir fait voler en éclats la littérature bourgeoise, la narration et le style conventionnels, en traduisant l’angoisse de l’entre-deux-guerres.

Montrer son traumatisme de « poilu », grièvement blessé, et sa frénésie créative des années 1930 est le parti pris de l’exposition qui s’ouvre ce jeudi à la Galerie Gallimard, « Céline, les manuscrits retrouvés ». Des feuillets sont sous cadre, dont le premier de Guerre, qui se termine par ce qui devrait devenir une citation culte de Céline, emblématique du martèlement obsessionnel du canon dans le récit : « J’ai attrapé la guerre dans ma tête. Elle est enfermée dans ma tête ».

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