Greta Thunberg, Alexandria Villasenor ou Zuriel Oduwole sont encore des ados. Cela ne les empêche pas de lancer des manifestations de dizaines de milliers de personnes, de réprimander des chefs d’État ou de s’exprimer à l’ONU. Des leaders d’opinion précoces qui entraînent leur génération avec elles.
Après avoir marché à Paris, Greta Thunberg sera bientôt de retour en France. L’activiste suédoise de 17 ans est attendue à Grenoble le vendredi 13 mars, comme l’ont annoncé les militants locaux de Fridays For Future, le mouvement lancé par la jeune militante. Chaque vendredi, des lycéens du monde entier font l’école buissonnière pour manifester. Figure de proue de cet engagement adolescent, Greta Thunberg s’est taillé une place parmi les grands de ce monde. Elle était encore invitée à s’exprimer face à l’institution bruxelloise le 4 mars, après la présentation de la loi climatique européenne. Qu’elle a vertement critiquée. «Lorsque l’Union européenne présente sa loi avec un objectif de neutralité carbone en 2050, elle rend les armes, a-t-elle tancé. Elle abandonne ses promesses et renonce à tout faire pour assurer l’avenir de ses enfants.»
Qu’à cela ne tienne, les «enfants» prennent leur propre destin en main. Ces dernières années ont vu émerger une nouvelle génération de militants, tous aussi aussi déterminés que Greta Thunberg, et aussi durs qu’elle envers les adultes. Et les jeunes filles sont en première ligne. Comme en Belgique, où les trois créatrices de Youth for Climate ont rassemblé en très peu de temps des dizaines de milliers de lycéens. Adélaïde Charlier et Anuna de Wever, 18 ans, et Kyra Gantois, 17 ans, sont les têtes de file du mouvement, l’une en Wallonie, les deux autres en Flandres. À l’automne 2019, Adélaïde Charlier et Anuna de Wever se sont rendues – en bateau – en Amérique Latine pour rencontrer des peuples d’Amazonie, dont le chef Raoni, et participer à la Cop 25.
Ces jeunes militantes qui bousculent l’ordre établi
À 17 ans, Zuriel Oduwole a rencontré 31 chefs d’État, plusieurs premières dames et autant de chefs d’entreprises. (Los Angeles, 16 juin 2015.)
Des militants précoces qui revendiquent leur jeune âge comme un moteur de leur engagement. «Je ne suis qu’une enfant, et je veux que vous sachiez combien il est frustrant de savoir que, lorsque je serai adulte, il sera trop tard», déclarait ainsi Alexandria Villasenor lors d’une allocution à l’Unicef en septembre 2019. Cette New-Yorkaise de 14 ans fait partie des 16 signataires de la pétition «Les enfants contre la crise climatique». Par ce texte, adressé à la Commission des droits de l’enfant de l’Onu en septembre, ils demandent des comptes à 5 États, dont la France, pour leur inaction climatique. L’horloge tourne, affirment-ils, et ils n’ont d’autre choix que de se battre.
À force de détermination, Greta Thunberg, Alexandria Villasenor et les autres se sont installées dans le paysage politique et médiatique. Leurs déclarations marquent, sont largement suivies par les médias et relayées sur les réseaux sociaux. «Une jeune fille de 16 ans à l’ONU sort des schémas traditionnels audibles, c’est une rupture avec le monde des tribuns», explique Mathilde Aubinaud, enseignante en communication. Pour cette spécialiste du leadership, l’âge est un facteur de différenciation dans un flux continu d’information. «Si on les retient pour ce qu’elles disent, le contraste entre leur âge et le cadre très instutionnalisé dans lequel elles s’expriment marque les esprits». Et ça n’est pas vrai que pour le climat. Zuriel Oduwole, née aux États-Unis d’un père nigérian et d’une mère mauricienne, a un pedigree impressionnant. À 9 ans, elle part tourner un documentaire sur la révolution ghanéenne. Un an plus tard, elle apparait dans le magazine Forbes Africa. Rapidement, elle fait de l’éducation des jeunes Africaines son cheval de bataille. Bilan à 17 ans : elle a rencontré 31 chefs d’État, plusieurs premières dames et autant de chefs d’entreprise, s’est exprimée à l’ONU, à l’Unesco et à la COP23. En février 2019, 20.000 jeunes filles sont venues écouter le discours qu’elle a donné au Sierra Leone aux côtés du président de la République.
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Phrases-chocs et manifestations monstres
D’autant que ces ados, nées avec les réseaux sociaux, semblent avoir un sens quasi inné de la communication politique. Leurs discours, ponctués de slogans à haut potentiel viral, restent en mémoire. «Nous sommes venus vous dire que le changement arrive, que cela vous plaise ou non», déclare calmement Greta Thunberg aux délégués de la COP24, en décembre 2018. La même année, l’Américaine Emma Gonzalez, 18 ans à l’époque, cheveux ras et regard droit, concluait son discours face à plusieurs dizaines de milliers de personnes par : «battez-vous pour vos vies avant que quelqu’un d’autre doive le faire». Survivante d’une fusillade dans un lycée de Parkland, en Floride, Emma Gonzalez est devenue une icône de la lutte anti-armes à feu aux États-Unis. Avec d’autres rescapés, elle a initié le mouvement «March for our lives», à l’origine de manifestations monstres.
Une preuve de plus que ces activistes précoces sont capables de fédérer leur génération et de s’organiser, donc de gagner en impact. Pour Emma Taylor-Collins, doctorante à l’Université de Birmingham, chercheuse spécialisée sur les obstacles à l’engagement social des jeunes filles, on assiste à une «normalisation de l’action sociale ces dernières années, depuis les manifestations contre la guerre d’Irak en 2003, qui comptaient un nombre important de jeunes, jusqu’aux récentes marches pour le climat. Il ne s’agit pas seulement d’individus qui passent à l’action, mais d’un mouvement qui mobilise énormément de personnes». Et qui s’inscrit dans la durée. Deux ans après la tuerie du lycée de Parkland, Emma Gonzalez est suivie par plus d’un million de personnes sur Twitter, de nombreux médias américains ont dressé le bilan de la lutte anti-armes à feu depuis la fusillade et un documentaire sur Emma Gonzalez et ses compagnons militants, Us Kids, est sorti en janvier outre-Atlantique.
Rôle modèles
Ces très jeunes militantes renvoient l’image d’une génération qui prend son destin en main. Si Marley Dias a lancé à 11 ans son mouvement #1000BlackGirlBooks pour mettre en avant les livres présentant des héroïnes noires, c’est parce qu’elle était frustrée comme lectrice. Un peu plus d’un an plus tard, elle a pris la parole à la Maison-Blanche aux côtés de Michelle Obama et Oprah Winfrey, et publié un livre – Marley Dias Gets It Done, and So Can You. L’adolescente est aussi la plus jeune entrepreneure à rejoindre le prestigieux classement Forbes des moins de 30 ans.
Marley Dias. (Los Angeles, 5 mai 2018.)
En montrant aux jeunes de son âge que ses talents pouvaient être mis au service d’une cause, Marley Dias, comme d’autres militantes, les appelle à la suivre. «Il y a une façon de dire qu’on se reconnait, explique Mathilde Aubineau. Elles parlent de façon plus franche, elles évoquent le quotidien et le futur sous un angle tangible et concret». Alors que «le plus souvent, on parle des jeunes à la troisième personne», une ado Afro-Américaine peut s’identifier à Marley Dias, se dire qu’elle a trouvé une semblable capable de porter son discours et de partager son expérience. Un phénomène d’identification fort, qui joue à fond dans la mobilisation des plus jeunes.
Le soutien sans faille de leurs parents
Il faut dire que la fillette a grandi à bonne école : enfant, Hilde Lisyak suit son père, journaliste pour le New York Daily News, dans ses reportages. Plus tard, il l’aide à concevoir et imprimer son propre journal, l’Orange Street News, qui touche aujourd’hui près de 600 lecteurs dans sa version papier et plusieurs centaines de milliers en ligne. Elle-même reconnaissait sa chance dans une interview au New York Times déplorant «que beaucoup d’adultes disent à leurs enfants qu’ils peuvent tout faire, mais ne les laissent finalement rien faire du tout». La réalisatrice et activiste Zuriel Oduwole, 16 ans, est elle aussi soutenue par ses parents : son père a quitté son travail pour l’accompagner lors de ses voyages en Afrique. Quant à Greta Thunberg, elle a souffert d’une grave dépression à 11 ans, et ses parents ont transformé radicalement leur mode de vie vers plus d’écologie pour l’aider à guérir. De l’autre côté de la Méditerranée, la Palestinienne Ahed Tamimi, icône de la lutte anti-occupation pour les uns, propagandiste anti-israélienne pour les autres, doit aussi son image médiatique à sa famille – son oncle a créé une agence de presse pour diffuser les images de ses actions.
Un soutien parental sans lequel ces adolescentes auraient bien du mal à s’engager. Dans le cadre de ses recherches, Emma Taylor-Collins s’intéresse aux obstacles à l’engagement social de jeunes filles. Son étude «montre que la relation des filles à leur famille a une influence forte sur leur engagement dans l’action sociale, comme la foi ou la religion peut l’avoir», explique-t-elle. Voir ses parents rédiger des pétitions, les accompagner à des manifestations ou avoir leur soutien pour faire la grève de l’école sont des moteurs : un milieu militant donne des ados militants. Mais Emma Taylor-Collins s’intéresse à d’autres aspects de la vie de ces jeunes, comme leur origine ethnique ou le niveau économique de leur famille. 51% des jeunes issus des familles les plus aisées du Royaume-Uni se sont engagés dans une action sociale en 2017, contre 31% des jeunes des familles les plus pauvres, d’après une enquête Ipsos. Car certains facteurs socio-économiques peuvent peser lourd : appartenir à une famille nombreuse où les filles doivent s’occuper de leur fratrie, accompagner ses parents immigrés partout pour traduire, ou encore travailler après le collège… «Il est crucial d’observer comment les jeunes utilisent leur temps, à quelles pressions ils sont soumis et comment cela influence leur participation», détaille Emma Taylor-Collins. Pour la chercheuse, qui veut généraliser l’engagement social des adolescents, «nous devons creuser ce type de barrières pour les comprendre».
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