- Du 2 au 6 mars, se tiendra la L2P Convention dédiée au hip-hop, dans les locaux de la Place à Paris.
- Parmi la riche programmation, le public aura l’occasion de rencontrer Fifou, le photographe le plus célèbre du rap français le samedi 5 mars à 17h30.
- Ce « coverman » s’est raconté à 20 Minutes à travers certaines de ses pochettes d’album les plus emblématiques.
Quel est le point commun entre Fantôme de Rim’K, Dans la légende de PNL, Polaroïd express de Youssoupha ou encore JVLIVS de SCH ? Derrière ces quatre covers d’albums se cache un seul et même homme : Fifou. Depuis près de vingt ans, il est l’un des photographes les plus connus du rap français, avec plus de 800 pochettes à son actif. « Mais ça fait au moins 10 ans que je ne compte plus vraiment », dit-il à 20 Minutes, qui l’a interviewé quelques jours avant sa participation à la L2P Convention qui débute mercredi.
Samedi prochain, il figurera parmi les rencontres de la deuxième édition de cette convention dédiée au hip-hop (le programme est à découvrir par ici), et reviendra sur ses deux riches décennies à immortaliser les plus grands noms du rap hexagonal. En attendant, le « coverman », tel qu’il se qualifie lui-même, a accepté de se raconter à travers plusieurs de ses pochettes d’albums les plus célèbres.
La toute première cover : « L’avenir est à nous » de Kool Shen (2005)
« A l’époque Kool Shen avait son label « IV my people » et je travaillais énormément avec des artistes qu’il produisait, dont le groupe des Spécialistes, composé de Tepa et de Princesse Aniès qui est une amie à moi. Je n’étais pas encore photographe professionnel, je faisais beaucoup de photos pour des magazines mais vraiment en autodidacte pur, sans réel matériel. Kool Shen devait organiser un shooting pour la sortie de ce single et pour des photos de presse, cela devait être réalisé par un autre photographe. Au final il n’a pas pu venir et ils m’ont appelé 2-3 jours avant pour me le proposer. J’étais carrément motivé mais je n’avais aucune notion du travail en studio. Je suis arrivé sans préparation du tout, comme un saut en parachute. J’ai rencontré un assistant lumière qui m’a épaulé sur ce shoot, tout s’est super bien passé sauf que je n’avais pas des masses de photos nettes, je faisais beaucoup de flou car j’avais du mal à régler mon appareil. Et il y a cette photo-là, c’est la fin de la séance. Le connaissant ce n’était pas quelque chose que Kool Shen aimait faire, à la fin il m’a fait un gros doigt d’honneur et ça s’est terminé comme ça. »
Le basculement : « Paradis assassiné » de Lino (2005)
« Un projet m’a particulièrement permis de rencontrer tous les artistes du rap français. C’était à la même période, il s’agissait d’une compilation intitulée Illicite Projet produite par deux producteurs musicaux qui s’appelaient Medeline. Ils avaient l’ambition de réunir 90 % des plus gros artistes de rap français, ça allait de Booba à Diam’s, Ministère A.M.E.R., Nèg’ Marrons, 113, Stomy Bugsy, Disiz la Peste, Ärsenik… Je travaillais en duo avec un autre photographe et moi je m’occupais de la DA de cette compilation. A chaque fois que les artistes venaient enregistrer leurs morceaux je les rencontrais et je les shootais. En dehors du fait que c’était un gros projet, j’ai surtout lié des contacts avec ces gens-là et ça m’a permis de travailler avec Nessbeal, le Secteur Ä… Ça a été l’élément clé. L’album de Lino d’Ärsenik qui s’appelait Paradis assassiné a été ma première vraie grosse commande de maison de disques en tant que directeur artistique. »
L’art de la mise en scène : « Force et honneur » de Lacrim (2017)
« Il y a 4-3 ans, on m’appelait beaucoup pour la mise en scène. J’ai beaucoup de références de films, d’affiches et de séquences qui m’ont marqué, que j’ai redigérées à ma sauce pour des pochettes. Il y a forcément Force et honneur de Lacrim, où on était vraiment dans un truc complètement cinématographique dans le sens où j’ai fait construire un décor, avec une lumière en douche et quelque chose de très pictural. C’est très Scorcesien et ce sont des films énormément iconiques pour le milieu du rap français. »
Retour à un style plus épuré : « Stamina » de Dinos (2020)
« Dernièrement j’ai un travail plus dans la symbolique et l’émotion. C’est plus épuré. Il y a toujours un lien avec le côté cinématographique dans la lumière, comme Stamina de Dinos que j’ai shooté un peu comme un photographe de plateau. On est proche du documentaire mais aussi de Clint Eastwood et de ce type de films très granuleux. C’est une lumière beaucoup moins léchée mais qui rend la photo plus intemporelle. Ce sont des choses qui m’intéressent plus, de retravailler à l’argentique et réussir à faire quelque chose d’iconique et de très simple à la fois. »
La cover « punchline » : « Dans les mains » de ZKR (2020)
« Quand je dis iconique, c’est de réfléchir à quelque chose de très « punchline » comme on dit dans le rap. C’est l’idée d’avoir un symbole, un geste, un regard, un détail qui fait que ça sort du lot. L’artiste ZKR avait fait un projet qui s’appelait Dans les mains et je ne sais pas pourquoi, quand il m’a parlé de ça, je l’ai imaginé en train de faire un bras de fer avec un policier. C’est sorti à un moment il y avait pas mal de problématiques autour de tout ce qui passait dans les quartiers avec la police, et ce lien un peu difficile. Pour moi c’est une pochette punchline dans le sens où, sans forcément mettre un truc politique derrière, je la voulais marquante, simple et efficace. On ne sait pas s’il fait la paix, s’il est en guerre. Je voulais mettre l’artiste et le flic au même niveau, on ne prend pas vraiment parti. »
« On peut aussi parler de punchline avec la pochette de BLO de 13 Block. Ce sont des artistes qui ont beaucoup parlé de leur quartier de Sevran, je voulais garder ce grain et cet univers un peu lugubre et ramener quelque chose qui brille. Je voulais les faire briller dans le ghetto avec ce lustre. »
La cover culte : « Dans la légende » de PNL (2016)
« A cette époque j’étais beaucoup dans le process d’appel d’offres de labels, c’étaient surtout des rencontres organisées. PNL eux, ont un peu inversé la vapeur dans le sens où ils ont fait un appel d’offres sur leurs réseaux sociaux. Je me suis dit que c’était peut-être le moment de s’adapter, d’arrêter d’attendre qu’on m’appelle pour proposer, mais d’essayer de sortir de ma zone de confort. Je me suis mis à la place du public et j’ai proposé plein d’idées. L’idée était de faire un shooting photos mais ça ne s’est pas fait et je ne les ai jamais rencontrés. Mais il y a eu tellement une communication fluide que je ne l’ai pas mal vécu dans le process créatif. Aujourd’hui il y a plein d’artistes que tu ne vois pas forcément et ça se passe super bien. On se voit lors du shoot mais ni avant ni après. Tout se fait à distance maintenant, et surtout depuis le Covid où on passe nos vies à faire des call ou des Zoom. Ils étaient visionnaires à ce niveau-là au final. »
La cover magique : « Imany » de Dinos (2018)
« Avec Dinos ou encore Youssoupha, on a souvent eu des shootings où on laissait place à l’accident et à l’improvisation. Ça nous a créé des instants et des moments assez fusionnels et fous. Sur Imany pour Dinos, le shoot a dû durer une demi-heure mais c’était intense en émotions. Tout se faisait naturellement, la lumière était magnifique… On a fait une photo de groupe avec ses amis et tout s’est fait sans préparation, sans travail de mise en scène. A chaque fois que je changeais d’angles il était naturellement au centre, tout le monde l’entourait, il y avait quelque chose de magique. »
« J’ai eu la même chose avec 13 Block et dernièrement avec le collectif 667 notamment Freeze Corleone. Eux travaillent un peu à l’américaine, il n’y a pas énormément de préparation mais ils savent exactement ce qu’ils veulent et ce qu’il faut dégager sur l’image. C’est une espèce de bordel organisé assez incroyable à vivre. Il se passe un truc assez fou, et j’ai eu la même chose avec Lala & ce. Ils ont un fluide, un karma… Je ne sais pas comment on peut appeler ça. Ce sont des choses qui me font du bien parce que parfois on est sur des shootings ultra-organisés avec des managers, des producteurs etc., comme sur des shoots de pub, et on ne retrouve pas cette magie-là. »
Les covers virales : « Land » de Kekra et « Monument » d’Alkpote
« L’impact que j’ai eu sur Kekra… Je me souviens que sur Internet c’était incroyable, je recevais des messages de partout, d’Américains, d’Anglais… J’ai eu la même avec Sadek quand on avait fait VVRDL où je l’avais shooté avec deux mamies qui comptaient des billets de banque à côté de lui. On avait cartonné sur Internet.
Il y avait la pochette d’Alkpote aussi, Monument, où je l’avais fait sortir d’une vulve géante. Sur les réseaux, les gens se disaient » mais qu’est-ce qu’ils ont fait ? ! « (rires) C’est toujours cool en fait. Lui je le considère un peu comme Philippe Katerine, tu t’amuses quoi, tu y vas à fond et tu casses tous les codes. »
Une exposition et un livre à venir
En dehors des pochettes d’albums, le travail de Fifou s’expose aussi. En janvier dernier, il a organisé « Tunnel », une exposition éphémère commune à Paris avec le photographe Ciesay. « Le concept était de créer un lien entre deux photographes ou deux artistes qui partagent la même vision mais qui n’ont pas forcément le même style, explique Fifou. Mais on ne s’attendait pas à autant d’impact, on l’a fait purement en indépendant sans réelle communication et on est monté à pratiquement 10.000 personnes en trois jours, c’était incroyable. L’idée est de développer un peu plus ce concept d’exposition pour en faire une récurrente tous les ans avec différents artistes. »
La prochaine devrait être programmée pour début 2023. Le photographe a également un projet de livre, une rétrospective sur ses 20 années de « coverman ».
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