Bifidus, lactobacillus… Que croire des promesses santé dont sont gratifiés ces micro-organismes ajoutés dans les laitages ? Trois spécialistes démêlent le vrai du faux des probiotiques.
Parcourir les rayons laitages et parapharmacie des supermarchés s’apparente désormais à une visite à la ferme d’un nouveau genre. Les probiotiques, ces micro-organismes vivants, sont partout.
C’est quoi des probiotiques ?
Des bactéries « amies » (lactobacilles, bifides, streptococcus thermophilus…) et des levures qui nous veulent du bien. Elles chassent d’abord les « mauvaises » bactéries nichées dans le côlon pour s’installer à leur place. Mais l’effet des probiotiques n’est que temporaire, car « ils ne s’accrochent pas à la muqueuse intestinale et ne s’y multiplient pas, clarifie Marie-Christine Boutron, gastro-entérologue et chercheure à l’Inserm.
De fait, « ils tiennent leur rôle durant une dizaine de jours après absorption, puis ils disparaissent. »
Où les trouve-t-on ?
Dans les yaourts nature classiques, dans ceux enrichis en bifidobactéries et en lactobacilles (B’A, Activia, etc.), dans les mini-bouteilles de laits fermentés également enrichis (Actimel, Yakult, etc.). Tous renferment des probiotiques.
Le souci ? Les acides gastriques n’en font qu’une bouchée, et c’est l’hécatombe lors du trajet digestif : le yaourt classique n’arrive dans le côlon qu’avec 1 % de micro-organismes vivants, tandis que, plus costauds et surtout ajoutés à doses massives dans les pots, environ 20 % des probiotiques des laitages enrichis survivent. On les trouve également au rayon gélules et poudres à diluer : dans les compléments alimentaires et dans l’ultralevure, un médicament vendu sans ordonnance.
Des alliés pour lutter contre les allergies…
« L’eczéma atopique de l’enfant représente la seule forme d’allergie contre laquelle les probiotiques auraient une action préventive. Aucune étude n’a permis de démontrer de bénéfices contre les allergies de l’adulte ou celles d’origine alimentaire », avertit Gérard Corthier, l’un des spécialistes du sujet à l’Institut national de la recherche agronomique, où il dirige l’unité de recherche « Physiologie du système digestif, microbiologie et alimentation humaine ».
…Et les ballonnements
« Les bifidobactéries semblent apaiser les douleurs abdominales, ballonnements, spasmes, et elles réduiraient l’inconfort intestinal en général « , remarque la docteure Boutron. Pour être sûre d’engloutir le maximum de probiotiques vivants, choisissez des laitages dont la date de péremption est la plus lointaine. « On peut aussi faire une cure d’ultralevure une semaine par mois, notamment si la gêne est liée ou majorée par le syndrome prémenstruel », conseille la gastro-entérologue.
« En fait, il faut tester sur deux ou trois mois et voir s’il y a un bénéfice, car le soulagement potentiel dépend de la flore de chacune. Elle est aussi différente d’une personne à l’autre qu’une empreinte digitale. En revanche, si l’on souffre d’une intolérance au lactose – le sucre du lait – et que notre ventre gonfle quatre heures après avoir bu du lait, on le remplace par un yaourt. Enrichis ou non, tous font l’affaire. La teneur en lactose est la même, mais leurs bactéries facilitent la digestion ».
Les probiotiques peuvent-ils rééquilibrer la flore intestinale ?
« Il est mensonger de parler de “rééquilibrage ou de régénérant actif”. Aujourd’hui, on ne peut dire qu’on la rééquilibre, car on ignore ce qui correspond à une flore équilibrée, s’agace Gérard Corthier. Certains s’appuient sur le fait qu’après ingestion de probiotiques, on trouve parfois dans l’intestin une “bonne” bactérie auparavant absente.
De là, ils parlent de rééquilibrage, mais cela correspond seulement à 10% de la flore totale. Certes, quand les probiotiques améliorent le transit, ils agissent sur la flore, mais agir ne signifie pas rééquilibrer. Actuellement, aucune étude irréfutable ne prouve qu’un probiotique rééquilibre la flore. » Et pour booster un transit paresseux ? Les laitages contenant des bifidobactéries sont supposés réguler les transits intestinaux trop lents, « à raison de trois ou quatre pots par jour », précise le chercheur. À l’inverse, on emporte de l’ultralevure en voyage car c’est un bon remède contre la tourista.
Et renforcer l’immunité ?
« Pas sûr, mais peut-être », avance Gérard Corthier, sachant que 70% de nos défenses immunitaires siègent dans l’intestin. Et en effet, les probiotiques d’Actimel, composés de « Lactobacillus casei defensis », ont réussi à décrocher le feu vert de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) pour porter l’allégation « aide à renforcer les défenses naturelles ».
Qu’en est-il en réalité ? « Le corps se défend légèrement mieux, poursuit le scientifique. Si c’était déjà le cas avant, vous ne verrez pas de différence ; s’il se défendait mal, cela fera un petit mieux. Ce n’est pas bidon, ni un produit miracle pour autant. À quelle dose pour obtenir un effet ? Une fiole, selon la pub, mais Fabiola Flex, une ex-pro du marketing de l’industrie agroalimentaire et auteure de « N’avalons pas n’importe quoi ! » (éd. Robert Laffont/Denoël), nous apprend que « ce sont deux fioles par jour, et non une seule, qu’ont avalées les personnes testées dans les études remises à l’Afssa « .
De plus, attention aux copies des mini-bouteilles : la mention « L casei » ne suffit pas. C’est le mot qui suit qui compte – « defensis » pour Actimel et « shirota » pour Yakult, par exemple –, car cela correspond à la spécificité de la souche et, donc, à ses atouts potentiels. Or l’industrie agroalimentaire ne prête pas à la concurrence les bactéries découvertes dans ses laboratoires et dont les brevets ont été précieusement déposés.
Conclusion : à l’intérieur d’une fiole-clone vendue sous une autre marque se trouve une bactérie cousine de la famille « L casei », dont les propriétés sont différentes…
Des expérimentations sur les tumeurs intestinales
« Il faut rester très prudent, car nous en sommes au stade expérimental, avertit la docteure Boutron. Des études chez l’animal indiqueraient un effet protecteur des yaourts sur les tumeurs de l’intestin. Les bactéries lactiques posséderaient, en effet, certaines enzymes capables de détoxifier dans l’intestin, par exemple, des éléments issus de la dégradation de la viande brûlée.
Mais de l’animal à l’homme, il y a un monde, d’autant que la cancérogenèse humaine est autrement plus complexe. Reste que consommer un ou deux yaourts par jour est nutritionnellement excellent.
Probiotiques et perte de poids
Une étude américaine réalisée au Centre des sciences du génome de l’université de Washington montre en effet que des souris génétiquement modifiées, totalement dépourvues de flore intestinale, prennent moins de poids et ont 42 % de masse grasse en moins que les souris normalement dotées d’une flore. Pourtant, les premières mangent trois fois plus.
L’hypothèse ? Certaines bactéries intestinales agiraient directement sur une protéine responsable du stockage des graisses. Reste à passer de Minnie Mouse modifiée à… nous.
Sont-ils efficaces sous forme de compléments alimentaires ?
« Difficile de savoir ce qui marche, il y a encore beaucoup d’incertitudes et peu de produits fiables contenant des probiotiques efficaces. Il faut tester avec prudence, sans dépasser deux comprimés par jour. C’est sans danger, mais les probiotiques fermentent et, à haute dose, la production de gaz est importante, prévient Gérard Corthier. Surtout, dites-vous qu’il n’y a rien d’indispensable : faire l’impasse sur les probiotiques ne signifie pas que vous passerez à côté d’un essentiel qui vous empêchera d’être en forme. »
- Régime FODMAP, une méthode pour soulager ballonnements et intestin irritable
- Les prébiotiques, les atouts de la flore intestinale
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