- Tania Dutel joue depuis le début du mois de février le spectacle Les Autres, les mardis, à L’Européen (Paris 18e).
- L’humoriste de 32 ans aborde entre autres le sujet du viol. « Je n’ai pas envie de traumatiser les gens. Mais il faut qu’on en parle davantage pour qu’on se rende compte de tout ce que cela implique, qu’on puisse faire avancer les choses », explique-t-elle à 20 Minutes.
- « Je trouve qu’il y a une responsabilité dans l’humour, déclare-t-elle. Il y a des sujets que je ne veux pas aborder. Pour moi, le principal, lorsqu’on fait du stand up et qu’on veut parler d’un thème délicat, c’est que ce soit drôle. »
Son nouveau seule-en-scène, qu’elle joue les mardis en mars à l’Européen (Paris 18e) et dans toute la France s’intitule Les autres. On pense à la phrase de Sartre sur « l’enfer » qu’ils représentent. Et c’est justement le propos de Tania Dutel. « Ces autres me pourrissent la vie, j’en ai fait un spectacle », écrit l’humoriste dans le dossier de presse. Son show aborde différents registres, du comique d’observation à l’absurde – comme ce rendez-vous dans les catacombes pas romantique pour un sou – et se fait plus grave lorsque la trentenaire aborde, notamment, le thème du viol. Tania Dutel réfléchit à l’impact contre-productif que peut avoir un bon mot, veille à être la plus inclusive possible et sait que l’humour n’est pas qu’une affaire d’éclats de rire. 20 Minutes l’a rencontrée.
Dans votre écriture, vous jouez beaucoup des ruptures de ton. Vous évoquez un sujet a priori banal et, tout à coup, vous insufflez de la trivialité quand on ne s’y attend pas. On vous a encouragée à cultiver cette patte ou il y a encore des réflexes misogynes estimant qu’une femme ne peut être dans ce registre ?
Il suffit d’aller voir les commentaires sous mes vidéos. Un humoriste en particulier m’a dit qu’il ne fallait pas que je parle de ça. C’est drôle parce que, quelques mois plus tard, je l’ai vu sur scène parler de sa bite. « Ce n’est pas beau dans la bouche d’une femme » est une réflexion récurrente. Une spectatrice m’a dit en message privé : « C’est dommage, vous pourriez être drôle, mais quand vous parlez comme ça, c’est pas joli. » C’est quand même bête de dire ça. J’ai eu l’occasion d’en discuter avec une anthropologue qui m’expliquait que, comme je parle de sujets dits tabous – ce qui est absurde car les sujets féminins touchent la moitié de la population et la sexualité une grande majorité de personnes –, les femmes, qui sont tellement conditionnées à ne pas s’exprimer sur ces sujets, en voyant une autre femme oser en parler, éprouvent une sorte de haine.
Quel a été le point de départ de l’écriture de ce nouveau seule-en-scène ?
Comme à chaque fois, j’ai voulu parler d’anecdotes personnelles qui puissent parler à tout le monde. A l’exception du date dans les catacombes, qui est arrivé à très peu de gens, j’imagine, en principe, il est possible de se reconnaître dans ce que je raconte. Je voulais aussi vraiment parler du fait que l’on vit en permanence par rapport aux autres.
Au milieu du spectacle, vous évoquez le sujet du viol, car cela vous est arrivé, et vous déclarez au public : « Je m’excuse si cela fait remonter des choses, mais je ne suis pas désolée d’en parler »…
Oui, parce que ce n’est pas un sujet facile. C’est usant, même, d’en parler. Mais j’en parle de façon plus générale parce que je sais que dans la salle il y a beaucoup de victimes de ça. Je n’ai jamais reçu autant de messages que depuis que je fais ce spectacle. Le lendemain de la deuxième représentation, une femme m’a écrit qu’elle était venue accompagnée de sa meilleure amie qui a pris conscience ce soir-là qu’un rapport qu’elle avait vécu et qu’elle avait cru à peu près « normal » mais qui ne la mettait pas bien était en fait un viol.
C’est pour susciter ces prises de consciences que vous en parlez ?
Je n’ai pas envie de traumatiser les gens. Mais il faut qu’on en parle davantage pour qu’on se rende compte de tout ce que cela implique, qu’on puisse faire avancer les choses et que des personnes arrêtent de violer, en fait. Je parle d’une réalité. Il y a des femmes qui portent plainte. Les hommes s’en tirent toujours et c’est la femme qui passe pour la fautive.
L’humoriste Tristan Lopin, qui parle également dans son nouveau spectacle du viol qu’il a subi enfant, disait à « 20 Minutes » qu’il lui était difficile de ressasser cela à chaque représentation, mais qu’au final, c’était pour lui thérapeutique. C’est la même chose pour vous ?
La première fois que je l’ai joué, cela a été violent pour moi. Comme cela l’avait été la première fois où j’ai abordé le sujet des troubles alimentaires. Mais ensuite, quand je suis sur scène, c’est comme si je mettais une barrière entre mon « vrai » moi et la personne qui est face à un public.
Sur la sempiternelle question du « Peut-on rire de tout ? », comment vous positionnez-vous ?
Je trouve qu’il y a une responsabilité dans l’humour. On peut rire de tout si c’est fait intelligemment. Il y a des sujets que je ne veux pas aborder. Pour moi, le principal, lorsqu’on fait du stand up et qu’on veut parler d’un thème délicat, c’est que ce soit drôle. Je n’ai pas envie de rendre drôle le sujet du viol. Dans mon positionnement, je préfère me moquer de moi, ce qui n’est pas un truc super à faire, en vrai… mais je réfléchis à ce que je fais.
Ce que vous dites fait écho à ce dont parle l’humoriste néo-zélandaise Hanna Gadsby dans « Nanette », c’est-à-dire que l’auto-dérision peut, parfois, nuire à l’estime de soi…
Je me moquais beaucoup plus de moi avant qu’aujourd’hui. Je n’ai d’ailleurs pas l’impression de le faire dans mon spectacle. Pour moi, le but, et c’est la même chose quand je parle des troubles alimentaires, c’est d’aider les gens, qu’ils se rendent compte qu’ils ont des problèmes et puissent les prendre en charge et les régler.
Il y a des humoristes qui estiment que tant qu’une blague est drôle, même si elle fait souffrir quelqu’un, si elle fait rire le plus grand nombre, il faut la faire…
J’ai l’impression, en voyant beaucoup d’humoristes jouer que les femmes sont beaucoup plus dans la prise de conscience de l’impact des vannes. J’entends encore trop d’hommes faire des blagues hyper misogynes et pour eux, c’est complètement normal. Ils disent « Oui mais ça fait rire les gens ». Super ! Cela me rappelle cet humoriste noir avec qui j’avais échangé. Sur scène, il prenait un accent d’un pays africain et le public rigolait. J’essayais de lui faire comprendre que ces rires étaient racistes. C’est génial qu’il fasse rire les gens mais ce n’était pas le bon rire. Il m’a dit ne pas y avoir pensé avant.
Vous hésitez, parfois, à faire certaines vannes ?
J’ai une blague dans mon spectacle qui me pose problème. Je pensais encore ce matin à l’enlever parce que je ne suis pas en adéquation avec elle. C’est quand je parle de mon ancien camarade de classe qui avait la mucovisidose et qui courait plus vite que moi – ce qui était vrai – et que j’ajoute qu’aujourd’hui il est décédé… En vrai, je ne sais pas s’il est mort ou non, j’essaie de le retrouver… Les gens rigolent, donc c’est pour ça que je la garde mais je suis mal à chaque fois que je la fais parce que c’est quelqu’un que je défendais tout le temps au collège. Les autres se foutaient de sa gueule parce qu’il avait des glaires et ça me rendait folle. Je me demande pourquoi, moi qui prenais sa défense, je rigole de lui sur scène vingt ans plus tard. Je ne suis pas du tout en accord avec ça. J’envisage de l’enlever du spectacle.
Source: Lire L’Article Complet