Grâce aux progrès des techniques de préservation de la fertilité, nombre de femmes traitées pour un cancer peuvent envisager une future grossesse. Mais certaines jeunes patientes, abasourdies par l’annonce de la maladie, ont des difficultés à se projeter dans l’avenir.

Les techniques de procréation médicalement assistée se perfectionnent à si grande vitesse que tous les espoirs deviennent possibles. Fin septembre 2019, la naissance du premier bébé conçu par maturation d’ovocyte in vitro (MIV) chez une patiente guérie d’un cancer du sein a été annoncée.

Cette prouesse, réalisée à l’hôpital Antoine-Béclère (Clamart), constitue une avancée remarquable pour les 58 400 nouvelles femmes atteintes d’une tumeur mammaire chaque année en France, dont 3000 ont moins de 40 ans. Dans leur cas, le recueil d’ovocytes matures n’est toujours pas envisageable : cela impose une stimulation hormonale des ovaires qui risquerait d’aggraver leur cancer. Les femmes qui doivent entreprendre de suite une première chimiothérapie, sans chirurgie préalable, ne peuvent donc pas en bénéficier.

Dans la MIV, des ovocytes immatures sont donc prélevés, puis maturés en laboratoire pendant 24 à 48 heures avant d’être congelés en vue d’un projet ultérieur de grossesse. « Je me suis dit que ça ne coûtait rien d’essayer. De toutes façons, il n’y avait pas d’autres solutions », a confié Claudy au magazine Rose. Elle s’en réjouit aujourd’hui : son fils Jules est né cinq ans presque jour pour jour après l’annonce de son diagnostic de cancer.

Depuis trois autres bébés ont vu le jour de la même manière à l’hôpital Antoine-Béclère.

Des approches différentes selon les traitements

« Les techniques de préservation de la fertilité proposées aux patientes diffèrent selon les protocoles thérapeutiques auxquels elles sont soumises, explique le Dr Florence Coussy, gynécologue et oncologue à l’Institut Curie. Celles qui subissent en premier lieu une chirurgie mammaire peuvent bénéficier d’une stimulation ovarienne, ce qui permet de prélever des ovocytes matures ». Ces derniers sont alors vitrifiés, c’est-à-dire plongés dans l’azote liquide à -196°C. Si la patiente est déjà en couple stable, ses ovocytes peuvent être fécondés in vitro (FIV), avant congélation, avec le sperme du conjoint. L’avantage est certain car le taux de grossesse ultérieure est plus élevé, dans la mesure où les embryons survivent mieux à la décongélation que les ovocytes : 22% environ contre 10% par tentative de grossesse.

J’étais tellement déprimée par l’annonce de mon cancer et de tous les traitements lourds à venir que je n’ai pas eu le courage d’en rajouter

« Pour les femmes non éligibles à la stimulation hormonale, le blocage ovarien peut être proposé », poursuit le Dr Coussy. Il consiste à mettre les ovaires au repos et les protéger des méfaits de la chimiothérapie en administrant par piqûre mensuelle des agonistes de la GnRH (hormone de libération des gonadotropines hypophysaires). « À l’arrêt de la chimiothérapie, on constate une meilleure reprise des cycles et de l’ovulation », observe la spécialiste.

Revers de la médaille : les patientes se retrouvent avec davantage de bouffées de chaleur provoquées par cette ménopause forcée transitoire.

La cryoconservation des ovaires

Autre procédé existant : la conservation de tissu ovarien. Destinée aux femmes qui ne peuvent être soumises à une stimulation hormonale ou aux filles pré-pubères, elle consiste à prélever un fragment d’ovaire (son cortex) sous cœlioscopie. Conservé dans l’azote liquide, il pourra être greffé à la patiente après rémission de son cancer dans l’espoir d’obtenir une grossesse naturelle ou par FIV.

« Elle est peu proposée en cas de cancer du sein car on ne dispose pas de beaucoup de recul sur son efficacité », précise le Dr Florence Coussy. Mais elle s’avère pertinente pour les jeunes filles pré-pubères atteintes d’un cancer hématologique par exemple, surtout si leur traitement est hautement toxique pour les ovaires (radiothérapie pelvienne ou chimiothérapie à base d’akylans). 150 naissances dans le monde ont déjà été obtenues après cryoconservation du cortex ovarien, dont 20 en France selon la Fondation ARC pour la recherche sur le cancer.

Une consultation spécifique

La loi impose une information sur les possibilités de préservation de la fertilité à toutes les femmes qui vont être exposées à des traitements susceptibles d’altérer leur chance de grossesse.

« Les oncologues sont de plus en plus sensibilisés à cette question », souligne le Dr Coussy qui intervient à la consultation d’oncofertilité de l’Institut Curie. Les centres qui ne disposent pas d’une telle consultation doivent orienter rapidement les patientes, avant le début de leur traitement anti-cancéreux, vers un centre de PMA ou un centre de conservation des ovocytes (Cecos) agréé pour l’autoconservation des gamètes dans le cadre du cancer.

Un choix personnel

« Cette démarche m’a énormément soutenue psychologiquement, relate Lucie, 31 ans. Envisager le retour à la vie normale après les traitements m’a donné une perspective d’avenir. Ça m’a beaucoup aidé à supporter la chimiothérapie car j’imaginais le bout du tunnel ». Caroline, à l’inverse, a préféré éluder cette question.

« J’étais tellement déprimée par l’annonce de mon cancer et de tous les traitements lourds à venir que je n’ai pas eu le courage d’en rajouter, témoigne-t-elle. À l’époque du diagnostic, je n’avais que 19 ans. Je ne savais pas encore si je voulais avoir des enfants plus tard, alors j’ai décidé de ne pas m’imposer un passage au bloc opératoire supplémentaire pour mettre mes ovocytes à l’abri. Je m’en mordrais peut-être les doigts mais j’étais incapable à l’époque de tout gérer de front ».

Une course contre la montre

La cryoconservation des ovocytes ou des embryons n’est proposée qu’aux très jeunes femmes. « Passé 39-40 ans, la procréation médicalement assistée (PMA) est très rarement proposée dans le contexte du cancer du sein », remarque Florence Coussy. Entre la chirurgie, la chimiothérapie et parfois la radiothérapie, il faut déjà compter au moins un an de traitement.

« Puis on demande aux patientes d’attendre encore au moins deux à trois ans avant de se lancer dans un projet de grossesse, insiste le Dr Coussy, car c’est la période où le risque de récidive est le plus important ». En outre, la majorité des femmes traitées pour un cancer du sein se voient prescrire une hormonothérapie durant cinq à dix ans à l’issue des autres traitements.

Pour une femme de plus de 35 ans, ce délai constitue un véritable problème : c’est une perte de chance considérable d’être maman car sa fertilité décroît vite. Et les techniques de PMA ne sont remboursées en France que jusqu’à 43 ans. Mais bonne nouvelle : il est désormais possible d’envisager une pause de un à deux ans pour concevoir un enfant, puis reprendre son hormonothérapie après. Une étude belge présentée au congrès de cancérologie de Chicago (Asco) de 2017 a en effet prouvé qu’être enceinte après un cancer du sein n’augmente pas le risque de récidive, même en cas de cancer hormono-dépendant. 

Et inutile de se faire peur : seule une minorité de femmes auront besoin d’une assistance médicale à la procréation. « Après un cancer du sein, 90% des grossesses sont spontanées », se félicite Florence Coussy. Les traitements endorment certes les ovaires mais ceux-ci reprennent souvent leur activité après. Rassurant !

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