Gülsen a 46 ans, et elle est parfois surnommée « la Madonna turque ». Elle est suivie par des millions d’abonnés sur les réseaux sociaux, ses tubes sont régulièrement en tête des ventes depuis plusieurs années en Turquie. Fin août, elle a été arrêtée, détenue pendant quatre jours à la prison de Bakirkoy, puis placée en résidence surveillée pendant deux semaines, avant de se voir signifier une interdiction de quitter le territoire.
Elle risque aujourd’hui trois ans de prison pour « incitation à la haine d’une partie du peuple contre une autre », au seul motif, lors de l’un de ses concerts au printemps dernier, d’avoir lâché cette phrase en public en voulant taquiner l’un de ses musiciens : « Il a fait une école religieuse, c’est pour ça qu’il est pervers ». En découvrant les images quelques semaines plus tard sur le réseau Tik Tok, un procureur zélé a donc décidé de poursuivre la chanteuse, avec l’appui de la presse conservatrice qui ne supporte pas la moindre attaque contre ces écoles coraniques, collèges et lycées appelés « Imam Hatip ». Ces établissements sont de plus en plus nombreux en Turquie, promus par le pouvoir du président Erdogan, qui tient les rênes du pays depuis 20 ans. Ils accueillent désormais près de deux millions d’élèves.
Tenues dénudées et défense de la cause LGBT
C’est aussi la personnalité de Gülsen qui irrite le pouvoir, précisément en raison de son petit côté Madonna. Elle est volontiers provocatrice dans ses textes et surtout dans son apparence vestimentaire. Dans son dernier clip, Lollipop, sorti au printemps dernier, elle adopte des tenues légères et des poses lascives, vraiment à la Madonna. Insupportable pour les conservateurs. Et le clip possède presque un aspect prémonitoire : au début, on y voit Gülsen menottée et conduite derrière les barreaux, qui se ferment brutalement pour l’emprisonner.
La chanteuse est aussi un porte-drapeau de la cause LGBT en Turquie. Et cela aussi, bien sûr, déplaît profondément à la presse conservatrice qui s’est réjouie de son arrestation fin août, avec cette formule : « Il faut combattre ces ennemis de la religion, ces pervers LGBT qui sont aussi les ennemis du président Erdogan ». Au moins c’est clair. Lors de l’audience aujourd’hui, la chanteuse a répondu que l’on cherchait à « punir son existence en tant que personne ». Gülsen, c’est donc aussi le symbole d’un pays profondément divisé entre laïcs et religieux ; il y avait beaucoup de femmes voilées dans la salle du tribunal cet après-midi.
Les artistes dans le viseur d’Erdogan
La pop star n’est d’ailleurs pas la seule artiste à être la cible du pouvoir, il s’en faut même de beaucoup. Une autre star turque, Sezen Aksu, est également poursuivie, pour « atteinte aux valeurs religieuses », pour avoir évoqué Adam et Eve dans l’une de ses chansons. De nombreux musiciens ou écrivains sont inquiétés. Et ces derniers mois, plus de dix festivals ont été interdits, au motif d’une mixité excessive ou des risques liés à la consommation d’alcool.
Mi-octobre, une nouvelle loi sur la presse a également été adoptée. Elle entend combattre « la divulgation de fausses informations ». Il est probable qu’elle constitue surtout un outil pour la censure, à huit mois d’une élection présidentielle qui s’annonce sous haute tension à la mi-juin. Le président Erdogan veut rester au pouvoir, mais il fait face à une opposition déterminée, et il risque de payer la facture d’une situation économique catastrophique (près de 100% d’inflation).
Pour Gülsen en tout cas, la prochaine audience vient d’être fixé au 21 décembre. Et d’ici là, elle restera frappée d’interdiction de quitter la Turquie.
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