• Le stage ‘par défaut’, l’illustration des carrières inaccessibles
  • L’occasion de booster la confiance en soi des élèves
  • Un premier pas professionnel pour susciter des vocations
  • De l’importance d’être confronté à la vraie réalité du "métier rêvé"
  • Un déterminisme social qui a des conséquences sur la vie professionnelle future

Ce lundi 12 décembre 2022 débute, pour la plupart des élèves de troisième de France, le stage d’observation en milieu professionnel. 

Ce dernier, conventionné, est “d’une durée de 5 jours consécutifs ou non, individuellement ou collectivement et obligatoire pour tous les élèves” en dernière année de collège, rappelle le site du Ministère de l’Education. 

S’il est censé susciter des vocations et faire découvrir le monde du travail aux élèves avant l’entrée orientée au lycée, dans les faits, le stage de troisième semble encore perpétuer les disparités sociales. 

Parents sans “contacts”, élèves issu.es de zones d’éducation prioritaire parfois « mal-vues » dans les grandes entreprises, accompagnement plus ou moins poussé du corps professoral : certaines différences biaisent d’entrée cette expérience. 

Le stage ‘par défaut’, l’illustration des carrières inaccessibles 

Peu de chiffres sont communiqués quant à ces disparités. En 2010, un article de Rue 89 (repris par l’Observatoire des Inégalités) établissait une liste comparative des lieux des stages de 3ème entre un collège du Vème arrondissement de Paris et un établissement d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). 

Se confrontent alors “Hotêl Ritz”, “studio d’enregistrement” ou “cabinet d’architecte” à “Super U”, “Alain Affelou” et “plomberie”. S’il ne s’agit pas de dévaluer ces différents corps de métiers, il convient de noter que le “prestige” de ces stages n’est pas le même, la seconde salve reflétant plus de choix par “défaut” que la première. 

À 32 ans, Océane est professeure de collège. Au début de sa carrière, alors qu’elle est professeure principale dans un établissement en zone d’éducation prioritaire, elle fait le même constat. Beaucoup d’élèves voulaient avoir accès à des domaines précis, mais par manque de contacts, ils finissaient par prendre un stage par défaut”, regrette-t-elle. 

L’occasion de booster la confiance en soi des élèves

Celle qui est toujours sur le terrain le martèle : ce n’est pas “juste” une semaine d’observation.  “C’est le premier moment où les élèves sont confrontés à une vision concrète du futur, il est primordial de leur montrer qu’ils ont des opportunités, qu’importe leur situation sociale, familiale, ect…”, nuance la professeure. 

À 15 ans, Wesley est en seconde. L’année dernière, il commence les recherches pour son stage. Voulant travailler dans “le droit ou le journalisme”, il patauge. “Je n’avais pas de proches qui pouvaient m’aider dans ces domaines”, explicite-t-il. 

C’est grâce à une intervention de « Viens voir mon taff » – une association dont l’initiative est de « rapprocher des jeunes sans réseau de professionnels pour leur stage de 3ème » – que le jeune homme a pu bénéficier d’un “vrai” stage. 

“Quand l’équipe est venue dans ma classe, il n’y avait pas d’offres en journalisme. Mais après cette présentation, ils ont vraiment été derrière moi et m’ont appelé dès qu’ils ont eu une annonce qui pouvait me correspondre”, se remémore Wesley. 

Alors, il passe 5 jours avec des attachés de presse au service communication des Aéroports de Paris. Au programme : réunions, organisation d’interviews et de reportages… “J’ai découvert un monde que je ne connaissais pas, c’était incroyable”, témoigne-t-il. 

Bien qu’il ne pense pas poursuivre dans la communication (il veut être avocat en droit international, ndlr), Wesley a pris confiance grâce à ce stage qu’il “n’aurait pas dû avoir », “ça m’a montré que je pouvais avoir beaucoup d’opportunités”, sourit-il. 

Un premier pas professionnel pour susciter des vocations

La professeure de collège explique également que le travail de l’association ne s’arrête pas là. “Il y a aussi un panel de propositions pour ceux qui sont perdus”. 

C’était le cas d’Aiché, aujourd’hui en première et âgée de 16 ans. “J’étais perdue, prête à prendre n’importe quoi”, avoue-t-elle quand elle évoque son année de troisième. 

Son souci ? Ne pas vouloir faire de ce qu’elle aime, ses hobbies, une profession. “Quand l’association est venue dans ma classe, j’ai dû remplir un questionnaire sur ce que j’aimais donc ça ne m’a pas aidée”, développe-t-elle. 

Alors, l’équipe de « Viens voir mon taff » lui propose de participer à un stage dating. Elle y découvre les rouages du monde de l’informatique. “J’ai choisi de faire mon stage dans ce domaine et ça m’a beaucoup plu. Cela m’a fait me poser beaucoup de questions sur les études et j’ai refait des stages pour être sûre de ce que je voulais. Aujourd’hui, je sais que je veux travailler dans l’informatique, pourquoi pas en cyber-sécurité”, annonce l’adolescente. 

Ce premier stage, mais aussi les deux suivants qu’Aiché a entrepris, lui ont également permis de “construire un réseau professionnel, ce que je n’aurais jamais pu faire seule”, souligne-t-elle.

Océane appuie également l’importance du stage de troisième dans la découverte de voies, mais aussi de l’apprentissage des codes de l’entreprise. “On a tendance à entendre que ce stage ne ‘sert à rien »’, mais “C’est aussi avoir les codes professionnels et se constituer un réseau dès la fin du collège”. 

De l’importance d’être confronté à la vraie réalité du « métier rêvé »

“Si je n’avais pas eu mon stage dans un domaine qui me plaisait, je n’aurais tout simplement pas fait de stage”, confirme Erhen, 16 ans, aujourd’hui en première. 

En 2020, en pleine pandémie de Covid-19, les stages d’observation deviennent exceptionnellement facultatifs. Et le jeune homme est formel : mieux vaut ne pas faire de stage qu’un stage par défaut. 

“Je voulais faire de l’animation, mais mes parents ne pouvaient pas m’aider. Un professeur m’a parlé de « Viens voir mon taff » et l’association m’a proposé un stage parfait pour moi”, se réjouit-il encore. 

Pour cinq jours, Erhen intègre une école de court-métrage. Pour lui ce n’est pas une révélation, mais une confirmation. “Ça m’a permis de voir ce que c’était et de m’assurer que c’était ce que je voulais faire plus tard. Parce qu’avoir des envies et des rêves et connaître la réalité du terrain, c’est différent”, nuance-t-il. 

C’est un point fondamental que soulève ici l’adolescent : à l’aube d’une orientation plus précise au lycée, ce stage est des plus importants pour valider des projets ou amorcer la recherche d’une nouvelle voie. 

“Selon le retour de mes élèves, beaucoup choisissent une voie en lien avec le stage. Souvent, ils reprennent même contact avec les anciennes entreprises pour d’autres stages ou des alternances”, complète la professeure engagée. 

Un déterminisme social qui a des conséquences sur la vie professionnelle future

Une porte ouverte vers un “métier rêvé” qu’Emeline, 27 ans aurait “adoré avoir”. “Mon grand-père était comptable et j’ai toujours aimé entendre ses histoires professionnelles. Même si j’avais quelques contacts dans le milieu, on m’a répondu que ce n’était pas un ‘métier de fille’, que c’était pour les ‘matheux’. Et puis, j’étais dans un collège que l’on qualifiait de ‘difficile”. Dans les boîtes que j’ai démarchées seule, je sentais que ça dérangeait”, confie-t-elle. 

Un constat qui se note à plus grande échelle, selon un rapport de l’INJEP (Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire) de 2018, reprenant deux études de 2017. 

“Ces études font apparaître des déterminations institutionnelles qui semblent décourager certains élèves (au regard de leur territoire d’habitation, de leur milieu social, de leur origine ethnique et de leur sexe) d’accéder au stage qu’ils souhaiteraient, contraignant ainsi leur orientation”.

“69 % des élèves des établissements hors REP (réseaux d’éducation prioritaire, ndlr) des Yvelines font le stage de leur choix, ils ne sont que 43 % dans les établissements REP de ce département”, illustre ce même rapport. 

Emeline rapporte qu’elle a fait un stage dans son ancienne école maternelle, “parce qu’ils prenaient tout le monde”. Si elle se résigne, elle pense tout de même trouver une voie qui lui plaît “en substitution”. 

“Aujourd’hui, je suis prof. Je suis la seule de ma famille a avoir un bac+5, mais je ne suis pas heureuse. C’est un métier de passion et ce n’est pas la mienne”, souligne-t-elle. 

Si elle ne blâme pas “que” son stage de troisième comme unique raison de cette vie professionnelle non-épanouissante, elle le désigne comme “l’élément déclencheur” et annonce même penser à une ré-orientation. 

En parallèle, Océane, la professeure engagée, raconte qu’elle se mobilise pour ses élèves en partie pour ça. “Je veux juste montrer à tous ces jeunes, à un moment charnière de leur éducation, que tout est possible, qu’on peut les aider et que leur milieu social ou leurs connaissances ne les enferment pas dans des stages et des métiers ‘par défaut’”, termine-t-elle. 

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