Comment peut-on ne pas se rendre compte que l’on est enceinte ? Comment un tel phénomène peut-il se produire et comment s’en sortir ? Le point sur le déni de grossesse, une pathologie qui touche entre 800 et 2000 femmes par an.
Le 26 février 2016, Alexandra, âgée de 34 ans, meurt au CHU de Reims. Les mois précédents son décès, la jeune femme consulte quatre fois pour d’intenses douleurs dans le ventre. On lui diagnostique d’abord une mycose, puis une cystite et enfin une thrombose hémorroïdaire. Un jour, elle est prise de violentes hémorragies avant de décéder deux jours plus tard aux urgences. Au cours de toutes les consultations, jamais Alexandra n’a reçu de prescription pour une échographie. La cause de son décès ? Une infection généralisée liée à une grossesse extra-utérine. Alexandra ignorait qu’elle était enceinte, elle a fait ce que l’on appelle un déni de grossesse. Ni son bébé ni elle n’ont survécu.
On ne parle, malheureusement, souvent que de ces cas extrêmes, mais la question du déni de grossesse se pose plus souvent qu’on ne le croit. Le point avec Gaëlle Guernalec-Levy, auteure de « Je ne suis pas enceinte : Enquête sur le déni de grossesse« .*
Pouvez-vous définir le déni de grossesse en quelques mots ?
Gaëlle Guernalec-Levy : en psychiatrie, le déni est un mécanisme de défense inconscient permettant à un sujet d’éviter la perception d’une réalité vécue comme traumatisante. Le déni de grossesse est le fait, pour une femme, de ne pas avoir conscience de son état de grossesse parfois jusqu’à l’accouchement. L’une des principales manifestations du déni c’est… l’invisibilité de la grossesse.
Comment une femme peut-elle ne pas se rendre compte qu’elle est enceinte ?
Pour comprendre ce phénomène, il faut essayer de considérer que ce que l’on pense savoir de la grossesse correspond souvent à des idées reçues, sur un plan physiologique et psychique.
Par exemple : une femme enceinte n’a plus ses règles, elle sait donc qu’elle est enceinte. Non. Un grand nombre de femmes sont réglées de façon très irrégulière et une absence de règles n’est pas un symptôme. 10% des femmes enceintes saignent régulièrement pendant la grossesse, ce qu’on appelle les « règles anniversaires ». Et les femmes qui se retrouvent enceintes en prenant la pilule (ça existe) peuvent continuer à avoir des saignements réguliers. Sous pilule, les règles sont artificielles.
Dans le cas du déni, le bébé sent qu’il n’est pas forcément le bienvenu, il se positionne différemment, très haut dans la cavité utérine, ou bien il s’allonge le long de la colonne vertébrale.
Autre exemple : une femme enceinte grossit. Oui, mais pas forcément tout de suite, par forcément beaucoup. Dans le cas du déni, le bébé sent qu’il n’est pas forcément le bienvenu, il se positionne différemment, très haut dans la cavité utérine, ou bien il s’allonge le long de la colonne vertébrale. La femme n’a pas de ventre proéminent. D’ailleurs il est très impressionnant de voir comme une femme avec un ventre plat peut se retrouver en quelques heures avec un ventre énorme parce que le déni vient d’être levé à 7 mois de grossesse.
Enfin : les mouvements du fœtus. Cette perception des mouvements est assez subjective et dépend aussi de la façon dont le bébé est positionné. Les femmes qui font un déni ont des symptômes. Elles les interprètent simplement différemment parce que pour des tas de raisons elles ne se pensent pas enceintes. Lorsque le bébé bouge, elles s’imaginent avoir des ballonnements.
Y a t-il des femmes qui peuvent être plus touchées par le déni de grossesse que d’autres ?
Même si la population touchée par le déni est très hétérogène, en termes d’âge ou d’origine sociale, certains psychiatres pensent qu’on peut retrouver des traits de personnalité communs, une certaine immaturité, des difficultés de communication, une relation troublée à la mère (ça pourrait presque concerner la moitié de la population féminine). Cela reste très vague. D’autant qu’il n’y a pas de profil type.
Y a-t-il des signes qui peuvent aider à détecter le déni de grossesse ?
Si le déni est vraiment très fort et que la grossesse reste invisible, il est compliqué de le détecter. Même l’entourage le plus proche ne voit rien, ne perçoit rien et il arrive également que les médecins passent parfois à côté d’une grossesse très avancée.
Est-il possible d’éviter un déni de grossesse ?
À moins de faire des tests de grossesse tous les mois, non. Mais il ne faut pas tomber dans la psychose, il y a quand même beaucoup plus de risques de vouloir un bébé et de ne pas y arriver que de ne pas en vouloir et de faire un déni… Une femme qui est à l’écoute de son corps, de ses sensations, qui est au clair avec sa sexualité et ses désirs de maternité (ce qui n’est pas forcément évident) a priori, ne fera pas de déni.
Pourquoi le déni de grossesse n’est-il pas considéré comme une pathologie ?
Pourquoi le serait-il ? Il s’agit d’un trouble psychique ponctuel. En faire une pathologie ce serait enfermer ces femmes dans la maladie psychiatrique. Or, elles ne sont pas malades, encore moins folles.
Les femmes qui font un déni de grossesse mettent simplement en place, de façon inconsciente, un mécanisme de défense très puissant.
Non, ce qui me semblerait plus judicieux ce serait, lorsque le déni se termine par le meurtre de l’enfant (une minorité des cas heureusement, le néonaticide concerne moins de 10% des dénis de grossesse) de reconnaître la spécificité de ces crimes sur un plan judiciaire. Les poursuivre pour homicide volontaire sur mineur de 15 ans, crime le plus grave, assorti des circonstances aggravantes et passible de la réclusion criminelle à perpétuité semble, à mon sens, disproportionné et hors de propos.
Lorsque les experts se prononcent pour le déni de grossesse ayant conduit à l’infanticide (ce qui pourrait tout à fait être établi très vite pendant l’instruction) il faudrait trouver une autre incrimination assortie des circonstances atténuantes. Car dans ces cas-là (et je ne parle pas du cas de l’affaire des « bébés congelés » de Véronique Courjault mais bien des cas pour lesquels le déni ne fait aucun doute), les experts sont en général d’accord : il n’y a pas d’intentionnalité, pas de préméditation dans le fait de tuer l’enfant. C’est l’accouchement qui fait basculer la femme dans le meurtre.
Quelle est l’incidence sur les enfants issus d’un déni de grossesse ?
Cette question est fondamentale mais il est difficile d’y répondre aujourd’hui. Il existe peu d’études sur le devenir de ces enfants et sur la construction du lien mère-enfant.
Longtemps ce sujet n’a intéressé personne et les mères ont tendance, une fois le bébé né et accepté à positiver l’événement, à percevoir ce bébé comme un « cadeau tombé du ciel » et à ne pas vouloir subir le regard d’un psychologue qu’elles vont percevoir comme inquisiteur. Il semble que grosso modo ces enfants aillent bien, d’un point de vue physiologique et psychologique. A la naissance ce sont plutôt des bébés de taille normale, sans malformation. Et je n’ai pas l’impression qu’on trouve plus de mères maltraitantes parmi celles qui ont fait un déni.
L’important me semble-t-il est que les circonstances de la grossesse ne soient pas occultées, que cette histoire familiale ne soit pas un tabou et que l’enfant comprenne que ses parents ont été confrontés à un événement très perturbant mais qu’ils ont eu la force de le surmonter et d’y faire face. Évidemment, on ne peut que conseiller à ces mamans d’essayer de comprendre avec l’aide d’un spécialiste la survenue de ce déni mais il faut aussi les rassurer : une fois qu’elles sont devenues mères, elles feront comme les autres, du mieux qu’elles peuvent et ce sera déjà très bien.
Déni de grossesse et déni de parentalité
Pour mieux comprendre le déni de grossesse, il est important d’en distinguer les différents types :
- Le déni de grossesse partiel, lorsque la femme découvre qu’elle est enceinte très peu avant le terme de sa grossesse.
- Le déni de grossesse total est déterminé lorsque la femme donne naissance à un bébé sans même savoir qu’elle était enceinte et que l’accouchement s’accompagne d’un état de sidération. Il n’est pas rare dans ces cas-là qu’il se solde par la mort du bébé, soit accidentellement, soit par manque de soins.
- Le déni de parentalité survient quand le couple, ou l’un des deux, n’est pas prêt à devenir parent et se manifeste lorsque le bébé est déjà né. Dans les cas extrêmes (rares), il peut conduire à l’infanticide, mais plus généralement, il se traduit par le fait de confier systématiquement un bébé à des personnes tierces (famille, baby-sitter), ou de laisser les enfants livrés à eux-mêmes en leur donnant beaucoup d’argent de poche par exemple. Ces parents n’ont pas conscience que leurs enfants ont besoin de leur présence. On a vu également des cas où les pères oubliaient leur enfant dans la voiture. Inconsciemment, un tel acte peut dénoter un déni de parentalité de la part d’un père qui, s’il désirait l’enfant, se sent dépassé par sa présence.
*Merci à Gaëlle Guernalec-Levy, auteure de Je ne suis pas enceinte : Enquête sur le déni de grossesse (Editions Stock).
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