A deux pas des Champs-Elysées et de la place de la Concorde, le n°55 de la rue du Faubourg Saint-Honoré cache un palais qui a vu défiler l’histoire de France et du monde depuis trois décennies. Un ancien hôtel particulier devenu palais présidentiel par la force des choses. Symbole d’un autre temps, le palais de l’Elysée n’a guère suscité un amour démesuré chez ses heureux locataires. Chacun vit en lui une trace d’un ancien temps, trop pesant certainement, une sorte de prison dorée à laquelle il est pourtant impossible d’échapper. Cette sensation commune n’empêcha guère chaque président d’y imprimer son empreinte, voire même de faire entrer l’Elysée dans la modernité comme Georges Pompidou le fit dans les années 70. Du Général de Gaulle à Emmanuel Macron, retour sur l’histoire d’une adresse pas comme les autres…
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Le palais de l’Elysée, trois siècles d’Histoire et de secrets
Merveille de l’architecture classique, le bâtiment fut édifié entre 1718 et 1722 par l’architecte Claude Mollet à la demande du comte d’Evreux. Avant de devenir le lieu de résidence des présidents de la République depuis le tout premier d’entre eux, Napoléon III, l’hôtel de l’Elysée a connu de nombreux propriétaires parmi lesquels la Marquise de Pompadour ou Lamartine. Vu du ciel, le bâtiment ressemble un peu à un gros « m » minuscule, posé sur la rue du faubourg St Honoré, avec ses trois cours principales et son jardin sur la façade arrière. Le rez-de-chaussée compte une douzaine de salons dont le Salon Murat où se tient le Conseil de ministres depuis la présidence Pompidou. Le premier niveau du Palais compte aussi deux salles à manger (dont l’une décorée par Pierre Paulin est restée en l’état), des bureaux, un jardin d’hiver, une salle des fêtes, un vestibule et une chapelle. Au premier étage, on trouve les appartements privés du président, mais également ses bureaux, son secrétariat ainsi que plusieurs salles de réunions.
Bien entendu, l’Elysée a connu de nombreuses transformations architecturales et changements de décorations depuis bientôt trois siècles, mais l’essentiel de ses meubles et œuvres d’arts proviennent des entrepôts du Mobilier National dans lesquels chaque résident est autorisé à piocher pour aménager les lieux à sa convenance. Certains comme le général De Gaulle, se contenteront d’y poser leurs valises, mais d’autres comme son successeur, Georges Pompidou, iront beaucoup plus loin en introduisant la modernité à l’intérieur de ces murs historiques.
Le palais de l’Elysée sous la présidence De Gaulle (1958-1969)
Le 21 décembre 1958, Charles de Gaulle s’installe à contre cœur à l’Elysée. Le général n’aime pas le palais et regrette que la présidence ne soit pas installée dans une des anciennes demeures royales comme Versailles ou Vincennes. À l’oreille d’Yvonne, il ironise : « Nous voilà donc dans un meublé».
C’est dans le Grand Salon Doré qu’il choisit d’installer son lieu de travail. Une tradition que reprendront tous ses successeurs à l’exception de Valéry Giscard d’Estaing qui s’installera dans le salon d’Angle. De Gaulle aménage son bureau avec un modèle Louis XV qu’il fait venir du ministère de la Marine. Ce bureau plat, créé en 1740 par l’ébéniste Charles Cressent est considéré comme le meuble le plus précieux du Palais.
Si le couple présidentiel établit ses appartements privés de l’aile ouest du Palais, le général ne s’y sent pourtant pas chez lui et rejoint sa propriété de « La Boisserie » à Colombey-les-deux-églises au moins un week-end par mois. Le reste du temps, il doit toutefois résider au Palais et tient d’ailleurs à en payer la taxe d’habitation sur ses deniers personnels. Il investit les lieux sans rien modifier du décor et de l’ameublement en place, à l’exception d’un lit de 2,10m qui convienne à sa grande taille. « Il n’a pas déplacé un seul guéridon » témoignera même Georges Pompidou.
Par manque d’enthousiasme et par soucis d’économie, le Général n’ordonne pas de véritables travaux dans le Palais durant les 10 années de sa présidence. C’est son successeur qui s’attachera à les réaliser.
Le palais de l’Elysée sous la présidence de Pompidou (1969-1974)
Le président Pompidou est le premier à introduire la modernité dans le palais de l’Elysée. Grand amateur d’art contemporain, il choisit de décorer ses appartements privés avec une sculpture d’Hans Arp et des tableaux de Giacometti, d’Ernst ou de Nicolas de Staël. Il en bouleverse aussi l’aménagement en les meublant avec des pièces commandées au Mobilier National et d’autres de Mies van der Rohe, Saarinen et même une table signée Yves Klein.
Son règne à l’Elysée est indissociable de Pierre Paulin. Ce dernier se voit confier en 1969 par le Mobilier National la commande du président, à savoir l’aménagement des appartements privés du palais. Nous sommes après mai 68, en pleine Trente Glorieuses, Pompidou lui aurait dit : « Les français ont besoin de modernité, je vais leur donner l’exemple avec votre aide ». Sa mission se concentrera sur trois pièces, situées au rez-de-chaussée : une salle à manger, un fumoir et un salon bibliothèque.
Malgré tous ces aménagements, le président Pompidou avoue qu’il n’aime pas vivre à l’Elysée : « Je ne suis pas fait pour vivre dans un Palais. Je ne suis tout à fait à l’aise que chez moi, dans un cadre que j’ai choisi ». Le couple présidentiel réside donc aussi souvent que possible à son domicile de l’Île Saint-Louis.
Le palais de l’Elysée sous la présidence de Giscard d’Estaing (1974-1981)
Valéry Giscard d’Estaing choisit de ne pas habiter à l’Elysée et continue de résider à son domicile de la rue de Bénouville dans le XVIème arrondissement avec sa famille. Il va toutefois entreprendre de nombreux travaux et modifications du Palais durant tout son mandat. Le plus jeune président de la Vème République a des goûts très classiques qui le poussent à envisager le Palais tel qu’il était du temps de la marquise de Pompadour. Après une fouille des archives et documents d’époque, le bâtiment fait l’objet d’une profonde réhabilitation, les corniches et les boiseries ressurgissent, les peintures et dorures d’antan sont décapées, c’est un véritable retour au classicisme.
Seul président de la Vème république à installer son lieu de travail dans le Bureau d’Angle, il y fait installer le bureau en acajou qu’il utilisait déjà au ministère des finances.
En novembre 1977, Giscard d’Estaing décide de transformer l’ancien abri anti-aérien en poste de commandement militaire. Baptisé « Jupiter », la partie la plus secrète de l’Elysée se compose de plusieurs bureaux, une salle de réunion et une chambre des cartes. C’est dans ce souterrain que le système de déclenchement de la force nucléaire sera désormais installé.
Le président Giscard d’Estaing prévoit dès 1980 de rénover la salle des fêtes du Palais, mais c’est son successeur qui entreprendra ces travaux.
Le palais de l’Elysée sous la présidence de Mitterrand (1981-1995)
Quand il prend ses quartiers dans le palais en mai 1981, François Mitterrand doit d’abord terminer les travaux de modernisation entamés par son prédécesseur. Électricité (on fait disparaître les dernières prises 110 volts), téléphonie (on remplace l’ancien système à fiches), informatique, le miracle technologique fait son entrée à l’Elysée. On procède aussi à des travaux de rafraîchissement de peintures, remplacement de moquettes et des sanitaires.
Réputé pour son amour des arbres, François Mitterrand prend un soin particulier du jardin dont il confie l’aménagement et l’entretien au paysagiste Jacques Wirtz.
Pour installer ses bureaux, le président décide de réinvestir le Grand Salon Doré, qui sera d’ailleurs réaménagé par Pierre Paulin après sa réélection en 1988. Le bureau Cressent cède alors sa place à un mobilier neuf et beaucoup plus contemporain dessiné par le designer. Pourtant avant de céder sa place à son successeur en 1995, François Mitterrand fera remettre le Salon Doré dans l’état dans lequel il était sous la présidence De Gaulle.
Danielle Mitterrand choisit quant à elle d’installer ses quartiers de travail dans le Salon de la Coupole. La pièce sera d’ailleurs réaménagée par Isabelle Hebey en 1985.
Enfin l’aménagement des appartements privés est confié à de jeunes designers dont Philippe Starck, qui ne manque pas de donner une touche contemporaine à ces lieux. Mais une fois encore, le couple présidentiel ne s’y sent pas chez lui et préfère son domicile de la rue de Bièvre…
Le palais de l’Elysée sous la présidence de Chirac (1995-2007)
Jacques Chirac est le premier président à occuper véritablement le Palais. Plus qu’une nécessité, il en fait même une question de principe qu’il résume ainsi : « Quand on est aux commandes, on l’est jour et nuit ».
Jacques Chirac est d’ailleurs souvent qualifié de « résident de la République », puisqu’il arrivait tout droit de l’Hôtel de Ville de Paris, et avait auparavant occupé celui de Matignon et celui de Beauvau.
À son arrivée à l’Elysée, Bernadette Chirac décide de transformer les appartements du roi de Rome situés sous les combles de l’aile Ouest du Palais en suite privée qu’elle occupera avec sa fille et son petit-fils. Les travaux sont confiés à l’architecte d’intérieur Alberto Pinto, grand ami du couple Chirac qui les décore dans le style Napoléon III. Le président demande toutefois à conserver la chambre et la bibliothèque telles que les avait décorés Jean-Michel Wilmotte pour son prédécesseur. Bernadette confie d’ailleurs un jour que « l’esprit de François Mitterrand rode toujours à l’Elysée, avec la complicité des Chirac ».
Le palais de l’Elysée sous la présidence de Sarkozy (2007-2012)
Lorsqu’il succède à Jacques Chirac qui occupait pleinement les lieux, Nicolas Sarkozy ne souhaite pas habiter à plein temps l’Elysée. Après sa victoire, il lui arrivera ponctuellement d’investir le Pavillon de la Lanterne à Versailles, jusqu’alors dévolu aux Premiers ministres pour leur résidence secondaire. Il souhaite réserver l’Elysée aux feux des projecteurs et à l’exercice du pouvoir, et préserver sa vie privée en profitant parfois de cette seconde résidence à 30 minutes de Paris.
Au Palais, Nicolas Sarkozy a lui aussi installé ses bureaux dans le Grand Salon Doré, mais a également investi le Salon des Portraits où le mobilier contemporain tranche avec les peintures classiques.
Si sa présidence n’a été le théâtre d’aucun réaménagement notable des lieux, la Cour des Comptes aura toutefois recommandé un vrai travail de restauration du Palais entre 2009 et 2011. La salle des fêtes, et la façade sur le jardin ont donc d’abord été rafraîchi avant une reprise des peintures et un changement des moquettes dans les salons Murat et celui des Ambassadeurs. Enfin un ravalement de la façade sur rue, qui devenait vieillissante, a achevé ces travaux de restauration au mois d’août 2011.
Le palais de l’Elysée sous la présidence de Hollande (2012-2017)
Si François Holllande promis le changement en matière de politique, côté déco, il préféra ne rien changer. En 2012, il passe de son bureau à l’Assemblée Nationale aux dorures de l’Elysée. Peu habitué à ce décor digne d’un théâtre d’un autre temps, il conservera toutefois au même titre que ces prédécesseurs le fameux « salon doré » et sa superbe table de travail créée par Charles Cressent, un ébéniste du XVIII ème siècle. Soucieux de se mettre au travail rapidement, il fera installer une table de réunion et quelques chaises dans son bureau pour favoriser le travail d’équipe.
C’est le président Hollande qui laissera entre les mains du Centre des Monuments Nationaux (le CMN) les clés d’une autre bâtisse, importante dans l’histoire de la République : le Fort de Brégançon. Cette maison de vacances pas comme les autres trône fièrement sur l’azur méditerranéen du haut d’un immense roche de 35 mètres, au large de la commune de Bormes-les-Mimosas. En 1968, le Général de Gaulle décide d’en faire une résidence présidentielle. François Hollande n’y fera escale qu’un été, en 2012. Un an plus tard, il décide de de l’ouvrir au grand public en le confiant au CMN.
Le palais de l’Elysée sous la présidence de Macron
S’il n’y avait qu’un point commun à trouver entre Georges Pompidou et le plus jeune président de l’histoire de la République Emmanuel Macron – outre un amour des Lettres – on trouverait une volonté de modernité qui passerait également par le choix du décor. Comme Pompidou en son temps, Macron décide d’utiliser le décor comme un vecteur de messages. Pour preuve son premier entretien télévisée ce dimanche 15 octobre, où spectateurs comme spécialistes scrutèrent attentivement la décoration de son bureau soigneusement revisitée par Brigitte Macron et ses équipes. Une pièce jugée moins institutionnelle que les autres grâce à son mobilier moderne, un décor plus en phase avec l’idée qu’on se fait d’un président au travail en 2017.
Durant l’échange, chacun a pu remarquer la mise à l’honneur de la création contemporaine et du design : table de Florence Knoll, fauteuils de Patrick Jouin, bureau de Francesco Passaniti, tapisserie de Pierre Alechinsky, tapis de Claude Lévêque et des maquettes de la fusée Ariane et d’un Canadair posés sur la cheminée du bureau. Parmi ces choix symboliques – appartenant au président ou au Centre des Monuments Nationaux – une immense affiche derrière Emmanuel Macron a retenu l’œil des spectateurs : un portrait d’une Marianne moderne accompagnée de la devise nationale et du drapeau tricolore. C’est une oeuvre de l’artiste de street art Shepard Fairey alias Obey, plus connu pour son portrait moderne et plein d’espoir de Barack Obama baptisé « Hope » et son engagement sans faille pour le mouvement Occupy Wall Street. Cette oeuvre est une reproduction d’une immense fresque que le graffeur avait réalisé suite aux attentats du 13 novembre à Paris.
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