• Charge mentale, décharge de désir
  • La société patriarcale sur le banc des accusés
  • La reconquête de soi
  • À deux, c’est mieux ?
  • Face aux diktats : la résistance

C’est un élan qui surgit de façon imprévue et nous porte vers l’autre, impérieusement. Une pulsion fiévreuse qui rend tout autour de nous très flou, sinon notre partenaire et son corps. Mais le désir sexuel sait aussi se jouer de nous : il peut parfois disparaître sans crier gare, nous laisser désemparé•e, jouant les grands absents dans une relation.

D’ailleurs, bien malin qui saurait précisément le définir… « C’est compliqué d’en parler, estime Violaine Gelly, sexothérapeute et thérapeute de couple. Car il n’existe que des désirs singuliers et différents d’une personne à l’autre ». Même son étymologie laisse un peu perplexe : « II vient du latin « desiderare », rappelle Aurore Vincenti, thérapeute et éducatrice en sexologie. “Sidus” signifiant l’astre, “desiderare” voudrait donc dire “détourner le regard, cesser de regarder”. Sous-entendant ainsi qu’on désire ce qui est loin de nous… ».

Charge mentale, décharge de désir

Cette définition, qui peut sembler brumeuse, met toutefois au jour une réalité. Pas évident de désirer ce qui est proche, en l’occurrence un partenaire avec qui on vit depuis des années. Dans leurs cabinets, les thérapeutes que nous avons interrogés notent d’ailleurs que c’est la problématique n°1 de qui vient les consulter : le désir s’est enfui. Le principal responsable de cette érosion est vite trouvé : notre mode de vie.

« Quand des gens rentrent du travail à 20 heures, qu’il faut encore gérer la vie familiale, à 23 heures, le corps est K.-O., souligne André Letzel, sexologue, conseiller conjugal et psychanalyste. Cela me semble assez normal que le feu d’artifice érotique soit impossible… « 

Les spécialistes le soulignent : ce sont souvent les femmes qui accusent ce coup de mou. Pour Aurore Vincenti, cela n’a rien d’étonnant. Elle convoque ainsi un récent article de la chercheuse canadienne Sari van Anders, qui voit en l’hétéro-normativité une cause de cette baisse de libido. « La répétition des tâches ménagères, le fait de “materner” le partenaire, mais aussi l’objectivisation du corps des femmes… Être dans le stress et dans le soin induit une baisse de désir chez les femmes », résume-t-elle.

La société patriarcale sur le banc des accusés

Sans oublier la chape culturelle qui pèse sur elles. Certes, avec l’émergence du consentement, les choses commencent à évoluer. Mais, rappelle Bénédicte Maufrais, conseillère conjugale et familiale, pendant des millénaires, les femmes ont été éduquées à dire oui au rapport sexuel. « Aujourd’hui, elles savent qu’elles n’y sont plus obligées mais un fond de culpabilité demeure…« .

D’autant que le désir impérieux des hommes en matière de sexe est encore inscrit dans bien des esprits. Aurore Vincenti se souvient ainsi d’une patiente qui lui expliquait que, quand son mari venait vers elle, elle savait où il voulait aller…

Téléguidée, mécanique, culturellement intégrée, la relation sexuelle laisse, dans ce type de cas, bien peu de place au désir – de l’autre – pour émerger. Psycho-sexologue et sexo-thérapeute, auteur du livre Le désir sexuel. Le stimuler, le retrouver, alimenter la flamme ! (Ed. In Press), Sébastien Landry note lui aussi combien les injonctions peuvent plomber nos envies. 

« Notre sexualité est freinée par la société, estime-t-il. Beaucoup de personnes font taire leur pulsionnel en raison de leur éducation, de croyances… Ils font ce qu’ils pensent devoir faire. » Là encore, la jeune génération, plus consciente de la dimension fluctuante du désir, que l’orientation sexuelle peut « bouger » au cours d’une vie, a quelques longueurs d’avance sur ses aîné•es. André Letzel résume la situation : « Pour désirer, il faut être au clair avec soi-même et se demander : “Est-ce que je me l’autorise ?”. »

La reconquête de soi

Même si le désir implique un tiers, il importe dans un premier temps de se tourner vers soi. Dans le cabinet de Sébastien Landry, beaucoup de patient•es ne se sont jamais demandé ce dont ils avaient envie, ce qu’ils aimaient. Or, s’enflamme-t-il, « on s’en fiche des codes ! On s’en fiche de ce qui “ne se fait pas” ! ».

En premier lieu, la question du désir se pose donc entre soi et soi. Il faut définir ce qui nous plaît mais aussi être capable de se considérer avec estime et attention. Car comment désirer l’autre quand on ne se sent pas soi-même désirable ? Or, avec le temps, notre corps change, et le regard qu’on porte sur lui peut se charger de davantage de jugement que de bienveillance.

Pour Aurore Vincenti, il est donc essentiel de retrouver du temps pour soi. Et quand, dans son cabinet, les femmes lui objectent ne pas pouvoir le trouver, elle leur donne quelques pistes pour en glaner.

« Lors de la douche, on peut, au lieu de se savonner à la va-vite, prendre quelques minutes pour être pleinement à l’écoute de ses sensations corporelles, puis, par exemple, s’enduire le corps d’huile. » Face aux mères de jeunes enfants, elle conseille de s’allonger par terre avec le petit et de s’étirer, de revenir au contact du sol. Et puis, bien sûr, de se livrer à un peu d’introspection : qu’est-ce que cette chute de désir raconte de moi ?

À deux, c’est mieux ?

Dans cette reconquête, le partenaire a bien sûr un rôle à jouer. « Il est possible d’avancer ensemble, estime Aurore Vincenti. La clé majeure, c’est évidemment l’écoute. Que les choses soient nommées et donnent lieu à une discussion fertile.« 

Bénédicte Maufrais invite à s’interroger sur ce qui pourrait expliquer, dans ce que l’on traverse, cette mise en sommeil. Mais aussi de chercher ce qui faisait qu’avant cela fonctionnait. Sauf que ce n’est pas forcément évident de renvoyer à l’autre qu’on ne le désire plus. Pour Violaine Gelly, on peut amorcer ainsi la discussion : « Je n’ai pas de désir en ce moment. Et toi ? » Mais aussi mettre l’accent sur ce dont on a envie avec l’autre… d’une autre façon : une sortie à deux, la mise en place d’un projet, une soirée dans les bras l’un de l’autre.

Sébastien Landry propose à ses patient•es de mettre en place des rendez-vous en s’interdisant la pénétration. Aurore Vincenti approuve : « Quand l’homme va chercher d’autres formes de sexualités moins tournées vers le pénis, il peut faire des découvertes fabuleuses. Et c’est la palette du couple qui s’enrichit. »

Face aux diktats : la résistance

« On a aussi le droit de se ficher un peu la paix…  » Avec cette phrase, Violaine Gelly jette moins un pavé dans la mare qu’elle ne nous invite à regarder les ronds qui se forment à la surface de l’eau. Et de souligner les impératifs dont nous faisons l’objet.

« Avant, rappelle-t-elle, il y avait une injonction au plaisir. Il “fallait” avoir plusieurs orgasmes par semaine. Aujourd’hui, on nous dit qu’il faut avoir envie. » Et ceux qui ne suivent pas la norme devraient se couvrir la tête de cendres. Dans son cabinet, la sexothérapeute entend souvent des patient•es parler de leur baisse de libido, en concluant d’un « ce n’est pas normal ». Mais, interroge, Violaine Gelly, « c’est quoi, être normal•e ? ».

Elle évoque alors des couples heureux et amoureux dont les rapports sexuels n’excèdent pas les trois fois par an. « Tant que personne n’est en souffrance et que le désir circule, c’est OK, note-t-elle. Ce n’est pas grave si, à un moment donné, celui-ci ne se fixe pas sur la sexualité. »

Selon Aurore Vincenti, il est d’ailleurs essentiel que celui-ci se joue ailleurs que dans un lit. « Car il n’y en aura pas dans le lit s’il n’y en a pas ailleurs… » S’abstraire des bruits du monde, rester sourd•e à ce qu’il nous dicte en termes de sexualité, profiter dans le silence l’un de l’autre, comme on l’entend et en prenant son temps… Telle serait, finalement, la meilleure façon de percevoir ce que le désir veut nous murmurer à l’oreille.

Article publié dans le magazine Marie Claire respiration HS07 – printemps été 2022

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