Depuis Boileau au XVIIe jusqu’au romancier Pierre Louÿs à la fin du XIXe, la paternité des œuvres fait couler de l’encre. Une étude linguistique menée par deux chercheurs prouverait l’inanité de cette polémique.
«Dans ce sac ridicule où s’enveloppe Scapin, je ne reconnais plus l’auteur du Misanthrope», dénonçait déjà, il y a plus de trois siècles, Boileau dans son Art poétique. Ce mystère, et surtout le doute bientôt attaché à la genèse des œuvres de Molière, fera l’objet d’une accusation de plagiat défendue par le romancier Pierre Louÿs à la fin du XIXe. Selon lui, Pierre Corneille aurait écrit tout ou partie des pièces de Jean-Baptiste Poquelin.
Aujourd’hui, une nouvelle étude scientifique menée par deux chercheurs du CNRS et de l’École nationale des chartes, qui se fonde sur une analyse statistique réalisée à l’aide d’un algorithme de linguistique, c’est-à-dire une reconnaissance des manières d’écritures d’un auteur, prouverait «scientifiquement» que Molière est bien l’auteur de L’Avare, du Malade imaginaire et de Tartuffe.
Molière et Shakespeare même combat?
En 1919 donc, le romancier français Pierre Louÿs affirma avoir dévoilé une supercherie littéraire: Molière n’aurait été que le prête-nom de Pierre Corneille, une polémique qui rappelle celle selon laquelle, derrière le pseudonyme de Shakespeare, se cachaient un ou plusieurs auteurs qui n’étaient pas le célèbre dramaturge anglais.
Ceux qui défendent cette théorie, relancée au début des années 2000, pensent que les styles des deux dramaturges montrent trop de similitudes. Et ils posent cette question: «comment un comédien, présumé sans grande éducation littéraire, à la fois valet de chambre du roi et directeur de troupe de théâtre, aurait-il pu écrire tant de chefs-d’œuvre», comme le rappelle une étude publiée mercredi dans la revue américaine Science Advances.
Florian Cafiero, ingénieur de recherche au CNRS qui a travaillé avec Jean-Baptiste Camps, maître de conférences à l’École des Chartes, semble désormais balayer cette interrogation, en affirmant: «Sur toutes les caractéristiques qu’on étudie, Corneille n’est jamais près de Molière. Le résultat est sans appel.»
Des algorithmes utilisés par les polices scientifiques
Le chercheur explique aussi pourquoi des «fausses» ressemblances peuvent apparaître lors d’une première lecture: «Le théâtre du XVIIe siècle est très codifié, il y a la règle des unités, une versification elle aussi très codifiée, des manières de faire rythmer. Il y a des sources d’inspiration qui sont les mêmes. Tout va vite se ressembler.» Les conclusions de Florian Cafiero sont sans appel: «Molière fait partie de ceux qui s’isolent le mieux. Il s’identifie extrêmement bien. Il n’y a vraiment pas de doute.»
L’étude, qui se concentre principalement sur des comédies, repose sur l’analyse d’un corpus de 70 pièces, incluant d’autres auteurs du XVIIe, avant de le restreindre à 37 pièces de Corneille, de son frère Thomas Corneille, de Molière, de Rotrou et de Scarron. Les chercheurs ont utilisé la méthode dite de «linguistique computative» qui consiste à analyser statistiquement plusieurs caractéristiques, dont les préfixes, suffixes et même des mots de liaison comme «et», «de», et «si».
Ce savoir-faire comparatif est employé par les meilleures polices scientifiques du monde. Il sert notamment à confondre les corbeaux, les faussaires et les plagiaires. Pour Florian Cafiero, il serait un gage d’une vérité scientifique indiscutable: «Ces parties inconscientes de la linguistique, pour beaucoup, signent quel auteur on est.»
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