Mine d’informations culinaires, pétrie de bons sens, le livre « Pour une révolution délicieuse » d’Olivier Roellinger nous invite à revoir sensiblement nos habitudes alimentaires. L’occasion d’en apprendre un peu plus avec son auteur, fervent défenseur du « bien manger ».

Chef étoilé hautement engagé, Olivier Roellinger a dévoilé, cette année, Pour une révolution délicieuse. Un livre perçu pour certains comme un manifeste et qui permet surtout de questionner nos habitudes alimentaires et leurs impacts écologiques. Il y livre des clefs tout en rappelant qu’il en devient vital d’agir, pour la planète, mais aussi pour les futures générations. Un message positif qui ne peut que résonner en nous, surtout face à l’urgence environnementale. Rencontre.

© Laurent Renault / EyeEm

Vous venez de sortir le livre « Pour une révolution délicieuse, quel a été le point de départ ?

Olivier Roellinger: Ce livre est le fruit d’une réflexion qui a plus de quarante ans. Avant j’étais un peu dans ma tour d’ivoire, à la recherche de reconnaissances, j’avais les étoiles dans le viseur. Mais j’ai fait un premier constat. Je suis né à Cancale où j’ai bien été obligé de me rendre compte que les quantités de poissons dans la mer diminuaient drastiquement et que certaines espèces disparaissaient. On assiste à un véritable pillage des océans par l’industrie de la pêche. Et s’il y a certains contre-exemple, comme les noix de Saint-Jacques qui ont été sauvées grâce à une bonne gestion, ce n’est pas le cas de la grande majorité. Je suis sensible à la problématique des pêcheurs. Puis j’ai été préoccupé par la qualité des eaux. Le niveau de pollution est énorme et certaines algues sont devenues hautement toxiques tuant faune marine et humains – Je recommande par ailleurs la lecture du livre Algues vertes: l'histoire interdite d'Inès Léraud et Pierre Van Hove pour ceux qui souhaiteraient approfondir le sujet. Plus généralement, en tant que cuisinier-témoin, je me suis rendu compte que je pouvais jouer un rôle au-delà de ma cuisine. Enfin, il y a dix ans, un grave problème de santé m’a également fait prendre du recul. Tout comme la naissance de mon petit fils qui a été un facteur supplémentaire pour me donner envie d’exposer ma pensée et de réfléchir dans l’intérêt des futures générations.

Doit-on changer notre façon de cuisiner ?

Oui, il faut (ré)apprendre à cuisiner. On dit que « L’amour c’est vouloir faire du bien à quelqu’un », pour moi, cuisiner est un premier acte d’amour. Il faut se rappeler que la cuisine est une activité agréable, à part entière, qui ne doit pas être vu comme une contrainte mais comme un plaisir. Dans des vies où les professions éloignent du pragmatique et du sens, faire quelque chose avec ses mains, procure de la satisfaction. C’est bon pour la planète, pour le portefeuilles et surtout pour la santé. Il ne faut pas oublier que l’alimentation est notre premier médicament.

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Est-ce qu’il faut arrêter de manger de la viande selon vous ?

Il est évident que certains élevages sont déplorables. Les animaux sont traités dans des conditions épouvantables, bourrés d’antibiotiques. A tel point qu’ils en deviennent antibiorésistants. Ce qui est catastrophique pour eux et ceux qui les mangent. Ces lieux sont des usines à protéines. Mais ils existent aussi des élevages rondement menés et qui respectent les animaux. Je place l’homme avant l’animal.

Et que pensez-vous des produits laitiers ?

Comme pour la viande, il faut toujours regarder d’où ils proviennent. Dans certaines exploitations, les vaches sont surexploitées, forcées à produire jusqu’à 45 L, quand d’autres petits producteurs, plus respectueux, ne dépassent pas les 8 L. Il est primordial de respecter l’animal avant tout. Puis ce breuvage collecté, trafiqué et ensuite mis dans un emballage en aluminium, je ne suis pas sûr qu’on puisse appeler ça du lait. Cela n’a rien à voir avec le vrai lait cru des fermes, qu’on fait bouillir et qui n’est pas indigeste.

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Est-ce que la solution est de devenir vegan ?

Je trouve le veganisme un peu trop ambigu. C’est un positionnement propre à la vie en milieu urbain. En ville, on ne voit plus jamais de cadavres, ni de corbillards… C’est un positionnement d’adolescent, un rejet envers la campagne. Cette ambiguïté est aussi présente dans le langage anglo-saxon, quand on voit que le mot pour designer l’animal diffère de celui qui désigne l’aliment (pig/porc).C’est un refus de la mort, alors que pour moi, la mort fait partie de la vie.

Quels sont les mauvaises habitudes à perdre ?

Il faut sortir des grandes surfaces et accepter notre part de responsabilité. Ce n’était manifestement pas une bonne idée de confier notre alimentation à l’industrie quand on sait que leur but premier est de faire du profit, sans jamais prendre en considération notre santé ou l’environnement. C’est une remise en question totale de notre société qu’il faut opérer. J’invite donc à boycoter tous les sodas et les repas tous préparés. Ils sont d’ailleurs bourrés de sucre, de gras et de sel, utilisés massivement pour masquer la médiocrité de leurs composants, tout comme l’usage de colorants. Par ailleurs, j’invite à ne pas tomber dans le panneau du marketing. Car il ne faut pas oublier qu’ils sont très malins et que beaucoup d’argent est en jeu. Il y a un cynisme dingue. Quand on voit que ce sont les plus gros pollueurs et qu’ils se mettent à faire de la « greenologie »arguant qu’ils doivent « répondre aux nouvelles attentes sociétales » qui proviennent en réalité de leurs comportements et méthodes épouvantables : utilisation massive de pesticides, océans vidés, souillés, le plastique qu’on retrouve dans les poissons… Ils sont assez malins pour retourner leur propre image. Et ça marche quand on sait que leurs produits « bio » assurent aujourd’hui le plus de bénéfices.

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Et vos conseils pour mieux consommer ?

Le premier, c’est d’aller faire ses courses l’après-midi. Pas quand on a faim. Pour manger avec la tête et le cœur et pas seulement avec l’estomac. Le second c’est d’acheter des produits de saison. Cet hiver, il faut acheter des poireaux, des pommes de terre, des carottes et des marrons. Faire rôtir des betteraves et des potimarrons. Ressuscitons le coing, qui est délicieux. Les tomates se dégustent en été. Le troisième serait d’arrêter le gaspillage. Un reste de pâtes ne devrait jamais finir à la poubelle, surtout quand il peut faire un fabuleux gratin.Enfin c’est de faire les marchés, et de renouer avec les petits producteurs et les commerces de proximité non franchisés. Il y a plus de 30 ans, quand les premiers producteurs bio ont lancé le mouvement, ils ont été beaucoup stigmatisés. On se moquait d’eux les taxant de bobo/ fumeurs de pétards. Aujourd’hui on est bien obligé de reconnaître qu’ils avaient raison. Pour mes épices, j’en rencontre en Inde, à Madagascar, au Mexique… Eux aussi le réalisent, l’éveil est planétaire. L’important n’est pas de juger ou de pointer du doigt. Certains agriculteurs sont aujourd’hui pris dans un engrenage dont ils ne sont pas responsables. Il faut les aider à convertir leur agriculture, ce qui prend du temps et de l’argent.

Etes-vous optimiste malgré tout ?

Je le suis, car nous sommes très nombreux à vouloir faire changer les choses et nous pouvons le faire, si nous nous y mettons tous. Les politiques manquent parfois d’audace, alors que nous sommes derrière eux. L’alimentation aujourd’hui est incroyablement polluante et sa transformation en profondeur est la clef vers une transition écologique. Personne n’en parle alors que c’est une question de santé publique. Il faut apprendre dans les écoles à bien manger, respecter la nature, ne pas gaspiller. Mais la jeunesse du monde en a déjà conscience. Elle sait que la nature est notre garde-manger. Comme disait Bergson "L’avenir ce n’est pas ce qui va arriver mais ce que nous allons faire ».

Pour une révolution délicieuse d'Olivier Roellinger, aux éditions Fayard, 18 euros

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