Manger sain sans se ruiner tout en rémunérant correctement tous les acteurs de la filière… Un véritable numéro d’équilibriste complexe, mais faisable !
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Qu’on ait envie de manger sain ou de protéger la planète, on mérite tous le meilleur dans notre assiette. Sauf que manger, n’a jamais été aussi compliqué qu’aujourd’hui. Nous n’avons plus confiance, sauf dans le bio. Et encore… même l’image du bio est entachée depuis quelques années. Des associations de consommateurs comme l’UFC Que Choisir ou 60 millions de consommateurs révèlent régulièrement la présence de traces de pesticides dans des carottes ou du riz bio. Des vidéos de l’ONG L214 ont mis à jour l’horreur de certains abattoirs, même dans la filière bio, censée pourtant respecter le bien-être animal. Alors à quel bio se fier ? Y a t-il un « bon bio » et un « mauvais bio » ? Faut-il se résigner à payer le double, parfois le triple du prix en conventionnel pour bien manger ? Femme Actuelle a mené l’enquête pour vous apporter des repères.
Le bio à deux vitesses : comment ça marche ?
« Bon bio » contre « mauvais bio », les acteurs de la filière sont divisés sur le sujet. « Le cahier des charges est le même pour tout le monde, tranche Didier Ferréol, président du Synabio, syndicat national des entreprises bio. Pas de produits de synthèse, pas d’OGM et respect du bien-être animal. » D’ailleurs, ce sont parfois les mêmes fabricants qui fournissent sous différentes marques aux magasins spécialisés et aux GMS. C’est le cas de la marque Bjorg, distribuée en grandes surfaces, et de Bonneterie, présente uniquement en magasins bio. Le cahier des charges du label européen est le même pour tous les pays (même l’Espagne!), mais certains lui reprochent de ne pas être assez exigeant. « Je fais la distinction entre le bio et LA bio, qui fait référence à l’agriculture biologique qui a été pensée dans les années 70 », détaille Anne Monloubou, fondatrice du supermarché coopératif Supercoop, à Bègles. Les acteurs de LA bio iraient ainsi plus loin, prenant en compte d’autres aspects comme la juste rémunération des travailleurs, le respect de la saisonnalité des produits, la conservation des sols, le maintien de la biodiversité, etc. « Peut-on considérer que des tomates bio produites sous-serre en plein hiver dans le Sud de l’Espagne par des travailleurs quasi-esclaves, sont encore des produits bio ? » interroge à juste titre le sociologue Eric Birlouez, spécialiste de l’agriculture et de l’alimentation. En hiver, quand la production de fruits et légumes est au point mort dans une large partie du continent européen, l’Espagne continue d’inonder les rayons de nos supermarchés avec des fraises et des tomates bio de toutes sortes. Dans la région d’Almeria en Andalousie, les terres sont bâchées et chauffées sur une superficie équivalent à trois fois celle de Paris pour continuer à produire toute l’année. Pas du tout écolo donc, mais bio selon le cahier des charges européen.
Laura Boudier, fondatrice de ZeDrive, premier drive zéro déchet en Nouvelle-Aquitaine, fait partie des « puristes » de la bio. Ancienne coordinatrice du Drive Fermier de Gironde, elle sillonne depuis des années sa région à la rencontre des producteurs : « J’ai pu constater, qu’il y a des gens qui se sont orientés vers le bio pour des motifs purement financiers, car c’est un marché porteur. Ils vont faire un bio que je qualifie de scolaire, c’est-à-dire se contenter de ne pas dépasser les seuils du cahier des charges, opter pour de la monoculture et appliquer les mêmes méthodes industrielles que le conventionnel. A l’autre bout du spectre, il y a aussi des producteurs qui ne sont pas certifiés bio alors qu’ils pourraient l’être mais qui refusent par militantisme de payer un label pour justifier de bien produire. » Tout le monde n’a pourtant pas le temps de jouer les Sherlock Homes du bio, ni les moyens de payer 4,40€ sa plaquette de 250 g de beurre de baratte ou 7,90€ le kilo de Clémentines bio, aussi savoureuses et éthiques soient-elles.
Quel est le prix juste des produits bio ?
Mais qu’on ne s’y méprenne pas, « la première motivation des Français à acheter bio c’est la santé, pas l’environnement, poursuit Eric Birlouez, auteur de Petite et grande histoire des légumes (éd. Quae). Dans les enquêtes menées par le CREDOC, il y a 10 ans, quand on posait la question ouverte « Quand je vous dis aliment de qualité, vous pensez à quoi ? », les Français répondaient « le goût ». Aujourd’hui, la qualité est associée au bio et au « sans », c’est-à-dire au « sans pesticide », « sans viande », « sans gluten », etc. » Sur la question du prix du bio, les consommateurs se plaignent que le bio soit hors de prix. « C’est oublier que proportionnellement nous n’avons jamais aussi peu dépensé pour notre alimentation », complète le sociologue. L’alimentation à domicile représente 12% de nos dépenses, 20% si on ajoute l’alimentation extérieure et les boissons. Alors que dans les années 60, cela représentait 35% de nos dépenses. « La valeur que l’on accorde à notre alimentation commence par le budget que l’on est prêt à y consacrer, estime Eric Birlouez. Cette baisse de valeur monétaire, mais aussi symbolique, explique aussi que nous ayons tendance à beaucoup gaspiller. On ne prête pas attention à ce qui n’a pas ou peu de valeur. »
Redonner de la valeur à notre alimentation, oui ! Mais pas pour donner plus aux distributeurs qui pratiquent parfois des marges importantes. « C’est un secret bien gardé des acteurs de la grande distribution, quoique les chiffres circulent désormais de plus en plus, détaille Anne Monloubou, la fondatrice de Supercoop. En moyenne les magasins bio spécialisés pratiquent une marge de 35%. Dans la grande distribution, les marges sont plutôt de l’ordre de 25% avec de grandes variations selon les produits. Et il est faux de croire que le bio de supermarché est forcément moins cher. » A titre d’exemple, la barquette de 4 pommes bio Gala emballées sous plastique chez Carrefour sont vendues 2,99€ (soit 6,64€ le kilo!) alors que Supercoop vend ses pommes bio à 2,50€ le kilo. Chez Supercoop, la marge est la même pour tous les produits et se situe à 17%. Le modèle économique des supermarchés coopératifs repose sur du volontariat de tous les clients membres de la coopérative (à raison de 3h toutes les 4 semaines). Avec 1300 foyers adhérents à celui de Bègles, c’est 12 emplois qui sont économisés et permettent ainsi de réduire les marges et donc le prix final qui est 15 à 30 % moins cher. Depuis 2016, 25 magasins du même type ont ouvert en France. Une goutte d’eau pour l’instant, qui fait pourtant des émules.
Autre piste pour payer moins cher ses produits bio : les distributeurs spécialisés sont de plus en plus nombreux à lancer leurs propres marques pour les produits de base comme le lait, le beurre, les pâtes, les céréales, les biscuits etc. pour contrer la montée en puissance des GSM. « Cela n’a pas de sens de parler de « bio pas cher », car le consommateur de produits bio achète différemment, estime Philippe Bramedie, président fondateur du réseau de franchisés Les Comptoirs de la Bio. Il mange moins de produits transformés donc au final cela permet d’équilibrer ses dépenses. Aujourd’hui on sait faire du lait français bio à 0,90€ le litre où toute la chaîne de valeur est respectée, vendre du beurre à moins de 2€, 6 œufs pour 1,50€ et des bananes produites de manière équitable à 1,40€ le kilo. Il faut aller à l’encontre de cette idée reçue que le bio est réservé à une élite de gens fortunés et venir dans nos magasins pour se rendre compte de la réalité. » Mais la vigilance est de mise, même chez les enseignes spécialisées bio, qui sont soumises pour certaines aux lois de la grande distribution. Sur 3000 magasins bio spécialisés en France la moitié est sous franchise (BioCoop, la Vie Claire…) ou a été rachetée par des géants de la GSM (Naturalia appartient au groupe Casino et BioCbon à Carrefour). L’Association Nationale des Epiciers Bios, qui fédère les 1500 magasins bio indépendants a ainsi récemment lancé une marque collective de produits d’entrée de gamme de première nécessité, Elibio : 2,55€ les 250 g de café moulu Arabica, environ 6€ le litre d’huile d’olive et 2,20€ le litre de jus de pommes bio. «En fédérant les volumes d’achats nous arrivons à faire des économies d’échelles sur le transport. Producteurs, grossistes et magasins, tous ont accepté de diminuer leurs marges en toute transparence. » Pour savoir où trouver la gamme Elibio près de chez vous, le site internet recense tous les points de vente. Aujourd’hui elle ne compte que 70 références mais devrait rapidement doubler.
Pour les adeptes des courses en ligne, deux nouveaux épiciers bio 100% digital ont fait leur apparition ces dernières années. Ils s’appellent la Fourche ou encore Aurore Market et réduisent leur marge à 10%. Dans leurs « rayons » on ne trouve que des produits secs des mêmes marques présentent en magasins spécialisés et vendus jusqu’à 50% moins cher. Et pour les produits frais, misez sur les circuits courts !
Que vaut le bio des discounter ?
Lidl, Aldi et le dernier né des discounters Supeco (lancé par Carrefour)… tous se sont mis à proposer du bio. La différence avec le bio des enseignes de supermarché classique ? Il n’y en a pas vraiment. Ce sont les mêmes logiques d’approvisionnement qui sont utilisées, sauf que la marge du distributeur est réduite et donc le prix final à priori plus bas. Cela fait 10 ans que Lidl propose du bio dans ses 1500 magasins en France et a entamé sa mue pour sortir de son image de hard discounter en proposant « le meilleur rapport qualité-prix ». « Au début nous n’avions que quelques fruits et légumes, raconte Michel Biero, directeur exécutif Achats Lidl France. Aujourd’hui cela représente 10 % de nos références permanentes, soit 150 produits. » L’enseigne compte 300 à 350 références bio supplémentaires qui sont vendues en « one shot » toutes les premières semaines du mois quand les salaires tombent. La croissance du bio chez Lidl est le double de la croissance du marché bio en France, selon les chiffres avancés par le distributeur. Un client sur 4 chez Lidl sort avec un produit bio dans son panier et dépense en moyenne 50% de plus que le panier moyen. De quoi donner envie de miser sur le bio ! « Cela m’agace quand on me dit que je marge davantage sur les produits bio. Nous achetons les fruits et légumes bio deux fois plus cher que le conventionnel. Pour autant nous ne le vendons pas 3 fois plus cher comme le font certains de nos concurrents. Notre marge est même plus basse que sur le conventionnel », affirme Michel Biero. Le discounter reconnait s’approvisionner en bio à l’étranger, jusqu’à 80% en hiver pour les fruits et légumes, quand la production française n’arrive pas suivre les volumes demandés par Lidl. Pour proposer des produits bio accessibles, Lidl commercialise à 90% ses marques propres et réalise des économies à tous les niveaux : le transport ou encore en caisse, avec un temps de scan des produits optimisés. Parmi les autres enseignes, Carrefour a ouvert 7 magasins Supeco dans l’Est de la France, un nouveau concept de discount importé d’Espagne. L’enseigne mise beaucoup sur le vrac, avec plus de 250 produits proposés (huiles, riz, pistaches, savon, bonbons…) dont 150 bios.
Cet article est extrait du tout dernier hors-série Femme Actuelle « Dépenser moins, consommer mieux », disponible en kiosque au prix de 6,90€.
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