Ils organisent des raids lors desquels leurs « soldats » matraquent leurs victimes de messages haineux et misogynes, diffusent des fake news, des montages dégradants de leurs cibles et prêchent une parole sexiste à la rhétorique bien rodée et réchauffée. Les masculinistes, ces hommes qui détestent les femmes, ont une influence inquiétante et grandissante en ligne, particulièrement sur les réseaux sociaux, dont ils maîtrisent les rouages à la perfection.

Cette communauté, principalement masculine mais qui trouve aussi son public auprès de certaines femmes, entretient des liens étroits avec les incels (autoproclamés « célibataires involontaires ») qui reprochent aux femmes leur misère sexuelle, sont reconnus comme un groupe terroriste aux États-Unis et sont déjà responsables de tueries sexistes. Mais aussi avec l’extrême-droite américaine qui se nourrit de leur discours ultra-conservateur et anti-féministe.

Les masculinistes exaltés par le procès de Johnny Depp et Amber Heard 

Le mouvement a gagné une bataille importante, d’image notamment, en avril 2022. Pendant de longues semaines, les yeux d’internautes du monde entier se sont tournés vers le tribunal de Fairfax, dans l’État américain de Virginie. Depuis l’une des salles d’audience, le procès en diffamation de deux stars d’Hollywood, Johnny Depp et Amber Heard, était retransmis en direct sur internet et commenté massivement sur les réseaux sociaux.

Lors de ce procès ultra médiatique et explosif, il était question de violences conjugales et de violences sexuelles, d’accusations réciproques des deux anciens partenaires. Mais internet avait déjà choisi son camp. Porté par les réseaux masculinistes, qui se sont emparés de ce règlement de compte judiciaire suivi comme une téléréalité sensationnaliste, les défenseurs de Johnny Depp ont orchestré et participé à une humiliation publique de l’actrice d’Aqua Man, à coups de vidéos moquant ses témoignages de violences sexuelles, de diffusion tronquée et biaisées de preuves prouvant soi-disant l’innocence de leur idole… 

Un acharnement médiatique sans précédent, dont Marie Claire avait dénoncé les ficelles, et décrypté dans un nouveau documentaire de la réalisatrice Cécile Delarue pour France 5. Au fil de l’émission de Karim Rissouli, La Fabrique du mensonge, la journaliste illustre comment les masculinistes ont réussi à soulever des hordes d’internautes pour faire taire la parole d’Amber Heard, et par extension, prendre sa revanche sur la libération de la parole des femmes cinq ans après #Metoo. Interview.

Qu’est ce que le masculinisme, qui a connu un écho particulier sur internet lors du procès en diffamation opposant Amber Heard et son ex-mari Johnny Depp ?

C’est une idéologie large, avec des courants différents en son sein, qui consiste tout simplement à penser que les avancées féministes et la volonté sociale que les hommes et les femmes soient égaux sont un danger pour la société.

Pour eux, les femmes prennent trop de place et certains se mettent même à tuer des femmes, par peur de ce qu’elles représentent. Ils aspirent à un retour en arrière, le « bon vieux temps ».

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Une communauté à l’aise avec les codes des réseaux sociaux

Comment s’organisent-ils en ligne ?

La particularité de cette idéologie là est qu’elle a beaucoup fleuri sur les réseaux sociaux, avec cette idée que les membres pensent quelque chose que les autres ne pensent pas. Donc ils essayent de trouver un entre-soi alternatif en ligne, sur des forums, des tchats, de rencontrer d’autres personnes avec qui on parle de choses dont on ose pas forcément parler avec son voisin, car c’est politiquement incorrect.

Ça peut démarrer par de l’entraide entre hommes qui se sentent lésés par la société progressiste d’aujourd’hui, puis ça se politise et se radicalise. Ils deviennent une communauté.

Ce qui est particulier c’est que, dans ces groupes, les acteurs sont ainsi très au fait de comment marche la viralité, les algorithmes, ils maîtrisent les outils et se sentent donc très à l’aise derrière leur écran.

Qui sont les masculinistes ? Dans votre documentaire on comprend que ce n’est pas un bloc uniforme, avec une tranche d’âge définie.

Ce sont des hommes, mais aussi des femmes, de tous âges, qui estiment que la place de ces dernières n’est pas là où elle est actuellement. Ils ont une vision beaucoup plus traditionnelle des rapports entre les deux sexes.

Néanmoins, ce qui m’a justement dérouté dans cette enquête, c’est de constater à quel point cette idéologie masculiniste, contrairement à ce que je pouvais imaginer, est très développée chez les plus jeunes de moins de 25 ans. C’est pourtant la génération post-MeToo, qui ont atteint la majorité sexuelle après cette libération historique de la parole des femmes sur les violences sexuelles ! On pourrait se dire que la plupart a donc été élevée dans un respect du consentement et des femmes, et avec la conscience que les violences sexuelles existent et doivent être entendus.

En réalité le procès Depp-Heard a exposé le fait que ces personnes étaient particulièrement passionnées par l’affaire, sur les réseaux sociaux et dans le monde entier. Cette génération s’est montrée, peut-être par opposition, extrêmement attirée par un discours complètement réactionnaire qui part du principe que les femmes mentent, alimenté par la culture du viol et l’idée que les victimes de viol l’ont cherché ou sont en partie responsable de leur agression, et que finalement tous ces abus ne sont pas si graves.

La jeune génération, toujours plus connectée que la précédente, serait donc davantage vulnérable face à ce discours misogyne ?

Tout à fait. Quand on voit les ravages d’Andrew Tate [influenceur misogyne et masculiniste incarcéré pour viols et séquestrations, ndlr] sur TikTok… La viralité de ses propos est inquiétante.

Autre exemple avec l’échange sur Twitter qu’il a eu avec Greta Thunberg [dans cette passe d’armes très suivie, il se moque de l’activiste écologiste en lui présentant sa multitude de voitures polluantes, ndlr]. Elle est justement son exact opposé, le symbole de cette jeune génération également. Mais si il s’est permis d’aller la chercher publiquement et si leur échange a été aussi entendu, c’est parce qu’il avait lui-même un force de frappe.

Dans les cours de récré, au lycée, au collègue, les gamins du monde entier tombent sur son contenu et le repartagent.

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Museler les femmes à tout prix

En quoi les masculinistes voient-ils le mouvement #Metoo comme une menace ?

C’est leur pire cauchemar. Une femme qui se lève et qui est entendue c’est horrible pour un masculiniste, alors un effet de masse qui met à jour un fait de société systémique qu’on a tous préféré ne pas voir ou cacher pendant des siècles, c’est l’horreur absolue.

La dimension émouvante des discours de victimes est aussi un problème pour les masculinistes, puisqu’elle a fait évoluer la société d’une façon qu’ils redoutent.

Pourquoi le discours masculiniste prend à ce point de la crédibilité et de l’ampleur ?

C’est parce que c’est le même qui existe depuis des siècles, voire des millénaires, sous une autre forme. Dans le procès Heard/Depp, je pense qu’on avait d’une certaine façon envie que l’homme gagne, tout simplement. Bien que l’on soit plus éduqués aux questions d’inégalités maintenant.

C’était aussi plus facile de rire des punchlines de Johnny Depp qui raconte s’être enfilé environ un litre de vin rouge le lundi matin [scène filmée par Amber Heard pour montrer les accès de violences de son ex-époux alcoolisé, ndlr] plutôt que d’écouter la femme qui raconte son viol en pleurs. On va tout de suite avoir plus de distance vis à vis d’elle.

C’est pour cela que dès qu’une femme parle, elle se met en danger. Que ce soit face aux masculinistes revendiqués, à ceux qui s’ignorent, et face à l’opinion publique en général.

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De TikTok à Instagram, aucune protection

Alors, quand on est une femme, comment se protéger sur les réseaux sociaux ?

Le problème est le même que si on demande à une femme de prendre des mesures lorsqu’elle sort le soir dans la rue pour ne pas avoir d’ennuis.

C’était vraiment intéressant de parler avec Nina Jankiwicz, ex directrice du conseil de la communication à la Maison blanche victime d’un raid numérique, qui a écrit un livre justement sur la difficulté que c’est pour une femme de s’exprimer sur les réseaux sociaux. Elle donne pleins d’astuces, comme ne jamais divulguer son trop d’informations sur sa personnalité, de ne pas donner d’indices sur son adresse, d’être vigilante à propos de ses codes d’accès. Pour autant, ça n’a rien changé. Elle a écrit ce livre et trois mois plus tard elle a été victime d’une vague de harcèlement masculiniste intensif.

Mais alors dans ce cas, les femmes ne doivent pas parler ? Doivent forcément faire attention à ce qu’elles disent et à la façon dont elles le disent pour ne pas faire peur ?

C’est une question que je me suis moi-même posée avec la sortie du film, me demandant s’il fallait que je ferme mes réseaux sociaux alors que c’est un de mes outils principaux en tant que journaliste… Je ne sais pas ce qu’il faut faire, mais il faut avoir conscience que ça existe.

Il est justement reproché aux plateformes en ligne de ne pas prendre leurs responsabilités pour protéger les femmes.

Tout le monde est un peu démuni vis à vis de ces vagues de harcèlement. Et malheureusement, ces discours haineux ça fait de la bande passante et donc de l’engagement sur les plateformes.

Dans le film je montre qu’Amber Heard a accepté de donner l’accès à ses messages privés Instagram, notamment les milliers d’insultes qu’elle recevait constamment, pour montrer à quel point c’était un phénomène de société.

Cependant, j’ai remarqué que depuis quelques semaines le réseau social diffuse quelques messages de prévention lorsque vous voulez contacter une personne avec qui vous n’être pas connectée.

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