• Du jeudi 13 au dimanche 16 juillet se tient la Japan Expo, au Parc des expos Paris-Nord, rassemblement annuel des fans de mangas (entre autres…)
  • 20 Minutes accompagne cet événement en explorant chaque jour l’actualité de la culture manga en France.
  • Vous avez enfin compris dans quel sens lire un manga et vous pensez être au top de la lecture jeunesse ? Il est (déjà) temps de vous remettre à la page et de découvrir le webtoon, nouvelle hype qui commence à déferler sur la France.

Depuis le lycée de Perpignan, la plage n’est qu’à 30 minutes de bus. Rien de très inaccessible pour Ines, élève de seconde de 14 ans, en cet après-midi de juillet. Si ce n’est ce cours de maths mal collé à 15 heures, dernier résistant de la dernière semaine de cours de l’année. Pour s’occuper entre deux créneaux horaires quand on est adolescent et qu’on n’a pas un sou en poche, les plus de 20 ans de la cité catalane vous diront qu’ils flânaient à l’époque au rayon manga de la Fnac, à feuilleter gratuitement les Naruto, One piece et autres mastodontes des années 2000. Pour Ines, même plus besoin de bouger jusqu’à l’enseigne. Ces aventures dessinées à lui, il les feuillette directement sur son portable. Un style de BD nommée webtoon, dont le sauvetage de la journée d’Inès explique en partie que le phénomène déferle en France ces derniers mois.

Emergeant en Corée au début des années 2000, le webtoon est en train de s’emparer du monde entier, tant il correspond à son époque. Il s’agit d’une bande dessinée à lire sur son portable, que l’on télécharge sur des plates-formes conçues pour, façon Netflix des planches. « Il exploite enfin tout le format numérique de la BD. Ce n’est pas un gadget, il dispose d’une vraie identité Web », vante Maëva Poupard, scénariste de bandes dessinées sous le nom de Rutile et autrice notamment de Colossale, blockbuster français du genre.

Pensé et adapté au numérique

Fini la BD qui se contorsionne difficilement plus qu’elle ne s’adapte à votre écran tactile, où le saut des pages est complexe et où les bords semblent être à la limite de l’asphyxie. Le webtoon est tout entier dévoué à la lecture sur portable. A commencer par la manière de le lire : en scrollant de bas en haut comme les adolescents, le public cible, le font avec les vidéos TikTok. « Avec la démocratisation du portable, des vidéos sur les réseaux sociaux et l’avènement plateformes de streaming, le smartphone s’est démocratisé comme outil de divertissement propre », estime Oscar Lemetayer, assistant d’édition numérique chez Ankama.

Mais il n’y a pas que le mimétisme du doigté ou l’habitude des écrans pour expliquer le succès. Le numérique, c’est avant tout une certaine idée de la liberté – et du potentiel de création : écran vide pour faire durer le suspense ou les silences, animation, effet sonore, page à la taille infini ou au contraire minuscule pour varier le rythme des intrigues… Une nouvelle façon de raconter les histoires, plus dynamique, plus libre aussi, qui rappelle le succès du manga quelques décennies plus tôt. La filiation entre les deux succès ne s’arrête pas là, pour Diane Ranville, enseignante en BD & nouveaux médias à Sciences po Grenoble et autrice, notamment du webtoon Our Powers. Tout comme le manga avait bénéficié de la fascination pour le Japon du début des années 2000, le webtoon s’appuie sur la toute-puissance du soft power coréen actuel, BTS et autres artistes de K-pop en tête.

Des nouvelles histoires pour une nouvelle génération

Une nouveauté de style, de genre et de codes, mais aussi d’histoires. Certes, devant le succès grandissant du format, des vieux monstres de la bande dessinée s’adaptent en webtoon, notamment ces bons vieux Mickey, Donald et Picsou – Disney a lancé sa propre plateforme Ducktoons le 12 juin. Une façon, pour ces papis du 9ème art, de proposer des formats et histoires originales. Une page quasi-vierge qui fait bien plaisir à Inès : « Dès que tu dis que tu aimes un manga, un vieux vient t’expliquer que One Piece, Bleach ou DBZ c’est mieux et que tu n’y connais rien. Et me lancer dans One Piece maintenant ? C’est déjà plus de 100 tomes à rattraper. En webtoon, y a pas encore de grands monstres sacrés ni de  »C’était mieux avant », c’est à nous de les trouver. »

Un renouveau salutaire également pour nos deux scénaristes. « C’est l’occasion de voir de nouveaux auteurs et autrices et de fournir à la littérature de nouvelles histoires », plaide Diane Ranville. Quant à Rutile, « c’est grâce au format webtoon et Colossale que j’ai rencontré le succès, avec un nouveau public, une nouvelle narration, de nouvelles opportunités ». Comptez six millions de lectures uniques pour ses aventures de Jade, jeune aristocrate qui préfère la musculation aux soirées mondaines imposées.

Le plaisir perdu des épisodes à « snacker »

On l’a vu avec les adaptations de Picsou, le webtoon n’est pas avare de recycler les vieilles recettes. Et pas seulement dans les personnages. La BD numérique a refait sortir un concept qui manque parfois cruellement de nos jours : l’épisodique. « Chaque histoire est conçue en épisode indépendant qui se suffit », vante Oscar Lemetayer. Avant un début de nuance : « Evidemment, on s’arrange pour quelques cliffhangers ou fin mystérieuse pour garder le public intéressé ». Il faut bien inciter le lecteur à lire la suite.

Inciter, mais pas non plus obliger. Et de l’avis des principales intéressées, c’est une sacrée bouffée d’air frais : « On retrouve un art perdu, celui d’attendre le prochain épisode une semaine, ce qui fait monter la tension et l’excitation, sourit Rutile. Les lecteurs sont contents de cette temporalité et de cette unité par épisode, ils n’ont pas à rester éveillé 300 pages d’affilée, et reprennent plaisir à  »snacker » une œuvre en la consommant en morceau ».

Le jardin secret

Le plaisir et la zénitude fonctionnent aussi pour les auteurs et autrices, appuie Diane Ranville : « Il n’y a plus besoin de sortir tout un album pour diffuser des épisodes sur les plates-formes. Au moins, on voit directement si cela plaît ou pas, et ensuite il n’y a pas à s’acharner pour rien », d’autant que – numérique oblige-, le format se prête particulièrement aux commentaires et débats en ligne, donnant un retour direct. A l’heure des séries où tous les épisodes sortent en même temps, du binge-watching et où les vidéos tendances de YouTube dépasse une heure, « Un début, une fin, savoir combien de temps on va lire, ça fait du bien aussi », déclare un Inès conquis.

Le tout contenu dans un objet phare des adolescents, le téléphone portable. « Quand vous achetez un manga ou une BD en format physique, votre parent la voit, va pouvoir juger son contenu, commenter votre choix. Là, tout est contenu dans le portable, généralement le jardin secret de l’ado, où le parent ne s’introduit pas et ne s’en mêle pas », souligne Rutile. Qui dit internet dit aussi des prix moins cher que ses concurrents physiques. « Même le manga est devenu très cher », poursuit-elle.

Au pays de la BD franco-belge, où le manga est aussi roi – la France est le deuxième pays le plus consommateur derrière l’inamovible Japon, le webtoon s’impose petit à petit. « Entre l’année dernière et aujourd’hui, tous les éditeurs s’y sont mis », constate Diane Ranville. Et à en croire Oscar Lemetayer : « On n’en est qu’au commencement du webtoon ». Un succès tel que le webtoon se décline désormais… en format papier. De quoi occuper les adolescents jusque dans les rayons de la Fnac.

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