La guerre se fait aussi sur le terrain de l’information. Alors que Vladimir Poutine a annoncé ce jeudi une opération militaire en Ukraine, la chaîne russe RT, ex-Russia Today, est dans le viseur de plusieurs pays européens. L’Arcom (anciennement connu sous le nom de CSA) a annoncé ce jeudi « veiller avec une particulière vigilance » aux informations diffusées sur la version française de la chaîne et n’exclut pas l’usage d’outils pouvant aboutir à la suspension de sa diffusion. La veille, le gouvernement britannique a demandé un réexamen de la licence accordée à la chaîne publique russe en anglais, le ministre de la Défense jugeant que Vladimir Poutine avait « perdu la boule ».
Début février, l’Allemagne a interdit RT sur son territoire car RT n’avait pas obtenu, ni même demandé, l’autorisation nécessaire pour diffuser en Allemagne. En représailles, la Russie a fermé le bureau de la radiotélévision allemande Deutsche Welle à Moscou. Comment RT, souvent décrite comme un outil de propagande du Kremlin, traite-t-elle le confit entre la Russie et l’Ukraine ?
Une adhésion au discours officiel russe
Dès son lancement en France en 2017, la chaîne, financée par le gouvernement russe pour répondre à une stratégie de soft power, a éveillé les soupçons. RT et Sputnik, autre média russe considéré comme proche du Kremlin, avaient été accusés par Emmanuel Macron de s’être comportés durant la campagne présidentielle française « comme des organes d’influence (…) et de propagande mensongère ». A première vue, RT a pourtant tout d’une chaîne d’information en continu « normale » : un habillage semblable à celui de BFMTV ou de CNews, un flux continu d’actualités françaises et internationales, l’intervention d’experts sur des sujets variés, des bandeaux rouges d’alerte… C’est « une chaîne qui se présente d’abord comme un média alternatif dans l’espace médiatique international, décrivait Maxime Audinet, auteur de Russia Today, un média d’influence au service de l’État russe, sur France Inter début février. Ce qu’on observe, c’est que dans le cadre d’événements qui concernent la Russie sur le plan intérieur, la couverture est extrêmement partiale, voire manipulatoire ».
Et quelques heures après l’annonce d’une opération militaire contre l’Ukraine, ça ne loupe pas. Lorsqu’on navigue sur le site Internet, le choix des angles reprend très nettement la version du Kremlin. « On retrouve les mêmes motifs, les mêmes explications et souvent les mêmes titres que sur d’autres médias officiels russes. Cela laisse dubitatif sur l’indépendance éditoriale de cette chaîne », souligne Valentyna Dymytrova, maîtresse de conférences en Sciences de l’information et de la communication à l’université Lyon-3.
Si l’allocution d’Emmanuel Macron enregistrée à l’Elysée est relayée sur le site de RT, des articles affirment que l’opération militaire ne menace pas la population civile, que les bombardements sont dirigés dans le Donbass. Or, selon un communiqué des gardes-frontières ukrainiens, des unités militaires russes ont pénétré dans la région de Kiev à partir de Biélorussie pour mener une attaque avec des missiles Grad sur des cibles militaires. « On ne parle pas du périmètre réel de l’action militaire, poursuit la spécialiste de l’Ukraine. Ils reprennent le discours prononcé par Vladimir Poutine selon lequel il faut « démilitariser » et « dénazifier » l’Ukraine », poursuit la spécialiste.
Taddeï, la caution impartialité
Pourtant, RT se vantait de compter dans ses troupes le journaliste Frédéric Taddeï, à la présentation de l’émission de débats Interdit d’interdire. Rompu à l’exercice du débat contradictoire avec Ce soir (ou jamais !) sur France Télévisions, il servait d’argument en faveur de la diversité des opinions. Mais devant l’accélération du conflit ces derniers jours, Frédéric Taddeï a décidé de quitter l’émission par loyauté pour la France. « Si on veut rester sur les ondes d’un pays, il faut respecter un certain nombre de principes propres à ce pays », note Valentyna Dymytrova. Il faut regarder l’ensemble de l’offre d’information et pas seulement une émission qui peut sortir du lot. D’ailleurs, RT version française, version allemande ou version espagnole n’ont pas tout à fait les mêmes lignes éditoriales. Elles s’adaptent à leur terre d’accueil et aux attentes des différentes populations.
RT pâtit également d’un taux de refus très important de la part des invités, comme l’expliquait la chaîne à France Inter, ce qui explique une certaine unanimité des opinions exprimées. Dans le contexte de tensions actuelles, le traitement de l’information de RT va être observé à la loupe. Si la France ou le Royaume-Uni venaient à interdire la chaîne, la Russie ne tarderait pas à répondre comme elle l’a fait en fermant le bureau de la radiotélévision allemande Deutsche Welle à Moscou après la décision de l’Allemagne. Doit-on s’attendre à une nouvelle guerre des ondes ? Tous les faisceaux concordent.
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