• Polémique autour de la série-docu "La reine Cléopâtre" sur Netflix
  • Cléopâtre VII, une reine fantasmée
  • Réduite à son apparence et sa sexualité
  • Une "pharaonne" aux racines incertaines

Elle a vécu il y a plus de 2000 ans mais fascine toujours les scientifiques, les artistes et le public. Cléopâtre VII, dernière reine d’Égypte ultra populaire, fait l’objet de nombreux fantasmes. Incarnant la grandeur et les mystères antiques des pharaons, le plus souvent d’un regard occidental, sa vie et son règne ont largement été dépeints dans des fictions ou des documentaires.

Certains questionnent les mythes autour de cette reine puissante qui a traversé les âges. D’autres les alimentent, enrichis par des interprétations souvent misogynes de son oeuvre et de son apparence, éclipsant sa stratégie politique.

Polémique autour de la série-docu « La reine Cléopâtre » sur Netflix

Récemment, un documentaire Netflix produit et narré par Jada Pinkett Smith, qui n’est même pas encore sorti sur la plateforme, a provoqué l’ire de l’Égypte, mais aussi d’historiens internationaux qui se réfèrent aux origines grecques connues de Cléopâtre. En castant une actrice noire pour interpréter la reine dans sa série sur les reines africaines, la femme de Will Smith a été critiquée, accusée de réviser l’Histoire de sa dynastie.

Sur les réseaux sociaux, de nombreux militants d’extrême-droite se sont emparés de la polémique, symbole selon eux du « remplacement » et de la soi-disant « cancel culture » des Blancs au profit de personnes racisées.

Une pétition rassemblant 85 000 signatures, désormais supprimée, réclamait tout simplement le retrait du projet. Adele James, qui interprète la célèbre reine, a été même victime d’une vague intolérable de racisme sur les réseaux sociaux.

Cléopâtre est l’incarnation, forcément suspecte, de la femme de pouvoir.

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Cléopâtre VII, une reine fantasmée

À ce jour, pourtant, aucune théorie scientifique n’a confirmé ou infirmé l’origine ethnique de Cléopâtre, du côté de sa mère, et encore moins sa couleur de peau. Derrière cette crispation au sujet de la reine, d’autres légendes perdurent.

Pour y voir plus clair l’égyptologue Florence Quentin, autrice des ouvrages Les grandes souveraines d’Égypte et L’Égypte ancienne, vérités et légendes (Éd. Perrin) démêle pour Marie Claire les idées reçues sur Cléopâtre.

Marie Claire : Pourquoi Cléopâtre est-elle la plus célèbre reine d’Égypte ?

Florence Quentin : Elle a été la dernière reine d’une Égypte indépendante pour laquelle elle s’est battue sa vie durant. Cléopâtre est aussi l’incarnation, forcément suspecte, de la femme de pouvoir ! Son destin exceptionnel, sa fin tragique, sa légende noire forgée par les auteurs latins dès l’Antiquité, ont subjugué la postérité qui a décliné le personnage dans l’art, la publicité et jusque dans la pop culture. Un archétype de femme fatale, ce qui est tout à fait exagéré bien sûr.

Quelle relation entretenait Cléopâtre avec César ?

Une relation intime puisqu’elle a un enfant de lui, le petit Césarion, mais aussi une puissante alliance politique et une admiration réelle : elle a environ 18 ans quand elle rencontre celui qui est à la tête de l’Empire romain et il la confirme, grâce à une intervention militaire, dans son rôle de reine d’Égypte face à sa soeur Arsinoé et son frère Ptolémée XIII qui l’avaient détrônée.

À Rome où elle le rejoint en 46 avant J.C., il l’a fait peut-être même représenter sous les traits de la « Venus de l’Esquilin » [sculpture romaine en marbre, ndlr].

L’assassinat de César va bouleverser cet équilibre. Elle rentre à Alexandrie mais n’a plus d’allié. Le prochain sera Marc-Antoine, qui a aussi besoin de ses richesses pour mener ses campagnes. Avec lui, elle aura 3 enfants.

Mariés, ils forment un couple mythique : une union à la fois charnelle et politique mais aussi mythologique car ils se présenteront au peuple égyptien comme deux divinités : Isis et Dionysos [Osiris, dans la mythologie égyptienne, ndlr].

Cléopâtre, consciente que son avenir politique repose sur la qualité de la relation qu’elle établira avec Marc-Antoine, alors le maître romain de l’Orient, va décider de le conquérir mais au-delà du calcul politique, leur lien est puissant.

La légende lui attribue une rare beauté, et un nez « éloquent », mais l’archéologie nous en livre un portrait assez différent.

Quelles sont les plus grosses idées reçues sur la reine ?

Sa réputation de séductrice, de calculatrice, d’ensorceleuse, d’ambitieuse sans scrupules ! Cela fait beaucoup pour une femme puissante et flamboyante, et la dernière reine d’Égypte, dans une Rome antique particulièrement misogyne en comparaison à l’Égypte d’alors.

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Réduite à son apparence et sa sexualité

Était-elle vraiment considérée comme une beauté exceptionnelle ?

La légende lui attribue une rare beauté, et un nez « éloquent », mais l’archéologie nous en livre un portrait assez différent.

Sur les pièces de monnaie ou sur le buste de Berlin, elle révèle de grands yeux, un visage ovale entouré; de cheveux ondulés, un petit front, une bouche bien dessinée et ourlée

Mais ses traits apparaissent parfois assez masculins et son nez, plutôt aquilin, un peu plongeant… Loin des canons de beauté de la « perfection hollywoodienne » d’une Elizabeth Taylor (Cléopâtre) ou du « charme latin » de Monica Bellucci (Asterix et Obélix : mission Cléopâtre) !

Cette réputation lui vient de certains textes latins comme ce qu’en dit Plutarque, qui plutôt que de perfection au sens classique, évoque la séduction qu’elle dégage : « On prétend que sa beauté, considérée en elle-même, n’était pas si incomparable qu’elle ravit d’étonnement et d’admiration : mais son commerce avait un attrait auquel il était impossible de résister ; les agréments de sa figure, soutenus des charmes de sa conversation et de toutes les grâces qui peuvent relever un heureux naturel, laissaient dans l’a^me un aiguillon qui pénétrait jusqu’au vif. Sa voix était pleine de douceur ; et sa langue, telle qu’un instrument à plusieurs cordes, qu’elle maniait avec la plus grande facilité, prononçait également bien plusieurs langages différents. »

Cléopâtre est également décrite comme une grande séductrice à la sexualité affirmée, voire débridée. Qu’en est-il ?

Cette réputation de femme sulfureuse – elle était surnommée « la putain des dieux » par les Romains – qui aurait soumis Antoine comme son esclave sexuel, lui a été attribuée dès l’Antiquité par les auteurs latins et la propagande pro-Octave [fils adoptif de César devenu l’empereur Auguste, ndlr] qui ne cesse de la salir : derrière ces accusions, se devine la misogynie romaine qui ne supporte pas qu’une femme puisse être au pouvoir d’un royaume légendaire et dont elle entend bien conserver l’indépendance face à « l’ogre romain » , l’Empire.

Toute sa vie, elle aura noué des alliances pour que l’Égypte ne devienne pas une simple province romaine.

À ce sujet, on lui attribuerait l’élaboration d’un premier sex-toy qui vibrerait à l’aide d’abeilles.

Encore une légende à mon avis. En revanche, ce qui est certain, c’est qu’elle est l’autrice d’un ouvrage sur les cosmétiques, le « Kosmétikon » avec des recettes végétales, animales et liquides dont le but était de soigner des maladies qui altéraient l’apparence physique.

Était-elle une stratège politique ?

Oui, une fine politique. Polyglotte, lettrée, formée par les plus illustres savants du « Musée » d’Alexandrie, elle parlait 7 langues. Toute sa vie, jusqu’à sa défaite face à Octave, elle aura noué des alliances pour que l’Égypte ne devienne pas une simple province romaine.

Le moment venu, elle n’hésitera pas à faire assassiner sa soeur Arsinoé, qui a montré qu’elle était une menace… Mais chez les Ptolémées, c’était une pratique courante !

Cléopâtre saura aussi se comporter en cheffe de guerre, en tant que reine grecque et « pharaonne » couronnée par les prêtres égyptiens.

Une « pharaonne » aux racines incertaines

Quelles étaient les origines ethniques de Cléopâtre ?

Difficile de répondre : son père était grec macédonien, mais on ignore qui était sa mère – les pharaons étaient polygames.

Pouvait-elle être métisse ?

Il existe une hypothèse vers laquelle je tendrais : sa mère aurait été Égyptienne, donc Cléopâtre aurait été de type mixte, car elle était proche du clergé local et qu’elle a été couronnée « pharaonne », se présentant comme la nouvelle déesse Isis. C’est aussi la première des Ptolémées à parler l’Égyptien.

Par contre, les documents qui nous sont parvenus, même si l’on ne peut s’y fier à 100 %, ne montrent pas une femme d’origine ethnique noire-africaine.

Nous n’avons jamais retrouvé son squelette, ni sa tombe, qui doit être au fond de la Méditerranée, au large d’Alexandrie.

Dès la fin des années 2000, des chercheurs de la BBC ont affirmé qu’elle pouvait avoir du sang africain, après expertise d’un squelette. Cette théorie est-elle toujours d’actualité ?

Nous n’avons jamais retrouvé son squelette, ni sa tombe, qui doit être au fond de la Méditerranée, au large d’Alexandrie. Mais à Ephèse (Turquie), des scientifiques pensent avoir identifié le squelette de sa soeur, Arsinoé. Cette princesse aurait été en partie africaine, mais tout cela reste au conditionnel. Or, même si les deux femmes avaient le même père, ça ne veut pas dire qu’elles avaient la même mère, puisque les pharaons avaient plusieurs épouses et concubines.

En fait, les origines de Cléopâtre ne font pas l’objet d’un consensus dans le milieu scientifique. Nous posons des questions plus que d’affirmations…

Que vous évoque la polémique autour du documentaire Netflix qui met en scène une reine Cléopâtre noire ?

C’est une falsification de l’Histoire, une manière de s’approprier une icône pour incarner des revendications. Mahmoud al-Semary, un avocat égyptien, a même attaqué, la plateforme ! Pour lui, c’est une fronde clairement afrocentriste.

La fiction peut tout se permettre, mais le problème c’est que Netflix diffuse un documentaire qui a pour but d’être éducatif, de transmettre des connaissances historiques fiables. Et cette présentation laisse entendre que Cléopâtre était indiscutablement noire et ainsi, que les enseignants et historiens « auraient menti » toutes ces années. C’est là qu’on entre dans la veine complotiste.

Pourquoi ne pas plutôt rendre hommage aux reines nubiennes dont l’Afrique peut être fière comme la « super-héroïne » Amanishakhéto qui, vers 20 av. J.-C, alla jusqu’en Égypte combattre les troupes romaines d’Octave Auguste avec un courage exceptionnel et qui s’était même fait construire sa propre pyramide à Méroé ?

Comment Cléopâtre est-elle décédée ?

Marc-Antoine se donne la mort après sa défaite à Actium face à son adversaire Octave. Cléopâtre décide alors de se suicider – sans doute avec un poison dont elle connaissait les secrets et pas à cause d’une morsure de serpent comme cela a été montré dans l’art depuis des siècles – pour échapper au spectacle humiliant de se voir traînée dans Rome, enchaînée, dans « le triomphe du vainqueur », c’est-à-dire Octave.

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