Elle collectionne les récompenses collectives et individuelles, les trophées et les exploits : à 33 ans, Cléopâtre Darleux est une athlète émérite et une femme engagée.
Rare sportive en activité à être revenue au plus au niveau après être devenue maman (en 2019, ndlr), elle a accepté de se livrer sur son parcours et sa vie dans l’ouvrage Vivre selon ses valeurs comme Cléopâtre Darleux (Ed. Leduc, collection ABlock).
À cette occasion et à quelques semaines de l’Euro Féminin de handball 2022, nous sommes revenues avec elle sur sa carrière, sa place en équipe nationale et ses combats.
Marie Claire : Dès le début de votre ouvrage, vous parlez de votre enfance. En quoi cette enfance à forger la femme et l’athlète que vous êtes aujourd’hui ?
Cléopâtre Darleux : Je pense que pour tout le monde c’est un peu le cas, toutes les expériences qu’on vit nous définissent quelque part et forgent notre caractère et nos valeurs. Je suis issue d’une famille nombreuse et tout ce que j’ai vécu dans mon enfance m’a vraiment construite. Par exemple, quand on était petits, on a fait beaucoup de sport, on multipliait les activités… La vie à la maison était rythmée par des moments de bagarre et en même temps on était hyper soudés entre frères et soeurs. Et je retrouve ces dynamiques aujourd’hui en tant que femme.
Assez tôt, vous plongez dans le handball. Pouvez-vous nous en parler ?
J’ai commencé le handball assez jeune, autour de 7 ans, parce qu’une de mes grandes soeurs avait commencé avant moi. J’avais très envie de faire comme elle. Mon autre soeur nous a d’ailleurs rejointes peu de temps après : on a ainsi joué ensemble toutes les trois pendant de longues années, 6 ans je crois. J’en garde de super souvenirs.
Au départ, j’étais sur le terrain, j’allais que très rarement dans les buts. Et c’est autour de 12 ans que j’ai commencé à aller plus souvent dans les cages tout en continuant à jouer à d’autres postes.
Le choix de devenir gardienne de but, c’est arrivé vers l’âge de 12 ans, quand j’ai voulu tenter les sélections au pôle espoir à Strasbourg (elle est originaire de Mulhouse, ndlr) et qu’il fallait choisir un poste.
Qu’est-ce qui vous a attirée vers le poste de gardienne ?
Bien que je n’aime pas spécialement la solitude et je préfère être dans un collectif, ce poste est particulier. J’aime l’idée d’être dans une bulle.
C’est aussi un poste où on peut faire la différence en match. Bon, c’est vrai qu’à l’inverse, ça peut être un poste ingrat qui peut être dur parfois. Mais il est aussi gratifiant. Je ne suis pas sûre que j’avais toute cette vision à mes 13 ans, mais disons qu’il y avait quelque chose de spécial qui me plaisait.
J’avais aussi beaucoup de caractère, j’étais très compétitrice avec de la hargne et c’est exactement ce qu’il fallait pour aller dans les cages.
On est passé de 20% de joueuses syndiquées à plus de 50 %, et même si ce n’est toujours pas assez, on va dans la bonne direction.
Le handball, et notamment le hand féminin, a beaucoup changé ces dernières années. Quel est votre regard sur votre discipline et sa mise en lumière ?
Clairement, le handball féminin a ainsi beaucoup évolué et j’ai pu vivre ces changements de très près.
À mes débuts, il n’y avait pas tout ce professionnalisme. Aujourd’hui on a un championnat et des clubs qui se professionnalisent, avec des centres de formations, des coachs qui sont de plus en plus compétents. Et puis il y a eu les beaux résultats de l’équipe nationale ces dernières années : ça fait aussi augmenter le nombre de jeunes qui s’intéressent à ce sport, qui peuvent trouver des modèles dans les joueuses.
Au sein même du championnat en France, il y a aussi un syndicat qui prend de l’ampleur, car les joueuses se rendent compte de l’importance de cette structure. C’est passé de 20% de joueuses syndiquées à plus de 50 %, et même si ce n’est toujours pas assez, on va dans la bonne direction.
Vous écrivez : « après les Jeux de Pékin en 2008, il y a eu un changement de génération. J’ai saisi ma chance”. Racontez-nous vos débuts en Bleues…
Au départ, j’ai commencé par des stages – je n’avais pas joué de matchs – avant les jeux de Pékin (2008, ndlr), c’était des débuts impressionnants. C’était l’Equipe de France, j’étais admirative depuis toujours. Ma chance a été que dans la sélection à ce moment-là, j’avais au moins 6 de mes coéquipières de club. Ça m’a aidée à me sentir plus à l’aise même si j’étais encore sur la réserve.
Après ces Jeux, je suis directement rentrée dans le bain de la sélection nationale, parce qu’il se trouve qu’on était que deux gardiennes. J’ai eu ma chance et l’opportunité de m’exprimer sur le terrain. J’avais un peu de temps de jeu mais ça m’a permis de me confronter assez jeune au très haut niveau, et donc de progresser plus vite.
Que représente l’Équipe de France pour vous ?
Tout simplement le Graal, l’élite. Après beaucoup de sélections, on s’habitue un peu et on est moins impressionnée. Mais jeune, c’était vraiment pour moi le plus important, j’avais vraiment pour objectif de pouvoir gagner un titre avec les Bleues. Le titre de Championnes du Monde en 2017, ça a été une vraie première consécration.
À quelques semaines de l’Euro féminin 2022, comment vous sentez-vous ?
Aujourd’hui, c’est vrai que mon rapport à ces rassemblements et ces compétitions est complètement différent. D’abord parce que je suis mère de famille et donc c’est toujours plus dur de partir pour moi, et je le ressens même en club d’ailleurs.
Comme on a une compétition tous les ans, on s’habitue un peu, ce n’est pas comme une Coupe du Monde de Football ou des Jeux Olympiques qui ont lieu tous les quatre ans et qui ont vraiment une part d’exceptionnel.
Mais je pense que quand la préparation va vraiment débuter, on va pouvoir se donner des objectifs clairs. Quand j’y serais, je donnerai tout pour faire le meilleur résultat possible. Quitte à partir, je ne veux pas que ce soit pour rien. Je sais ce que je laisse à la maison.
Aujourd’hui, Paris 2024 c’est ce qui me fait avancer.
Vous parlez des JO comme un événement exceptionnel et vous avez déjà participé à plusieurs Olympiades. Paris 2024, c’est un rendez-vous spécial à vos yeux ?
Il faut savoir qu’à la base, j’aime beaucoup les compétitions qui nous permettent de voyager. Un championnat du monde au Danemark ou au Brésil, ce n’est vraiment pas la même ambiance. Paris 2024, ce ne sera pas aussi dépaysant, mais ce sera quand même hyper particulier.
Déjà c’est en France, donc ça serait une vraie chance de pouvoir y participer, si je suis sélectionnée bien sûr et que je suis en forme… Comme en plus on a gagné à Tokyo (en 2021, ndlr), on a une chance énorme de pouvoir prétendre à une seconde victoire. On a l’équipe pour le faire.
Ces Jeux de Paris, c’est vraiment un rendez-vous qui n’arrive qu’une fois dans une vie. Aujourd’hui, c’est mon objectif à moyen terme et ce qui me fait avancer.
Outre votre statut de championne de handball, vous êtes aussi une femme engagée. C’est important de faire entendre votre voix ? De prendre position ?
Oui complètement. Quand on est jeune, on a moins l’occasion de prendre la parole publiquement. Et il y a tellement de choses à faire, et ce dans de très nombreux domaines… C’est important pour moi de pouvoir me servir de mon expérience et de ma petite notoriété pour porter des causes et faire bouger les lignes.
Déjà dans mon sport, dans le handball, j’ai envie d’aider les jeunes générations à évoluer dans de meilleures conditions. Et si en dehors du hand, je peux mettre ma pierre à l’édifice pour construire un monde meilleur, je le fais sans hésiter.
Quelles sont les grandes causes qui vous tiennent à cœur ?
L’égalité femme/homme, c’est vraiment un sujet qui me porte. Ça me révolte de voir qu’il existe encore autant d’inégalités de genre, et ce, que ce soit dans le sport, mais plus globalement dans la société. Je trouve ça fou que les choses avancent si lentement, alors que le sujet est connu de tous et qu’on en parle beaucoup. C’est vraiment un combat qui me tient à coeur.
Sinon je suis également très engagée sur la question de la maternité chez les sportives.
Et de manière plus générale, sur la question de l’écologie. C’est également un combat qui me tient à coeur même si j’ai du mal à faire beaucoup de choses aujourd’hui. Mais plus tard, après ma carrière, c’est tout à fait un secteur pour lequel j’aimerais travailler.
En 2019, vous avez ajouté une nouvelle casquette à toutes celles que nous avons citées précédemment : celle de maman. Qu’est-ce que la maternité a changé dans votre vie de sportive, sur le terrain et en dehors ?
Ce qui a changé, c’est avant tout mon équilibre personnel. Dans ma vie privée, j’ai une vraie stabilité, je me sens bien dans ma vie. Je me sens aussi comme quelqu’un de « normal », en comparaison avec la vision qu’on peut avoir d’une vie d’athlète de haut niveau dans leur bulle. Que je sorte d’un match qui s’est bien ou mal passé, quand je rentre à la maison je dois de toute façon penser à autre chose et c’est vraiment agréable.
Et aussi, même comme je l’évoquais, c’est parfois difficile de partir en compétition, en même temps je sais aussi pourquoi je le fais. Je suis plus claire avec mes objectifs et ce que je veux aujourd’hui.
Comment gérez-vous la pression et le stress en compétition et au quotidien ?
C’est vrai que selon les périodes, je peux ressentir beaucoup de stress. Je fais un peu de yoga, de la relaxation. Ça passe aussi par du travail de préparation mentale : nous avons un psychologue qui travaille avec nous en Équipe de France et son accompagnement est vraiment très intéressant.
Au quotidien, j’essaye aussi de relativiser en prenant en compte mes acquis, mes réussites… Et je fais tout mon possible pour être prête, ça permet de relativiser une fois sur le terrain en me disant que j’ai mis toutes les chances de mon côté.
Enfin, quel conseil auriez-vous aimé qu’on vous donne plus jeune ?
J’ai reçu de bons conseils plus jeune : que le travail paye par exemple, qui est fondamental pour performer.
Sinon j’aurais aimé qu’on me pousse à plus regarder les autres, à trouver des modèles pour m’inspirer et prendre exemple. Et aussi, à faire attention à mon alimentation : jeune, on se rend moins compte à quel point cela fait partie de la performance, et ce, sur le long terme également.
Enfin, dernier conseil que j’aurais aimé entendre et que j’aimerais livrer aux jeunes générations : acceptez de dire que vous êtes stressé.e. On a le droit de dire qu’on est stressé et d’en parler, ça permet de se libérer un peu et de pouvoir travailler dessus.
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Vivre selon ses valeurs selon Cléopatre Darleux, Ed Leduc, collection Ablock
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