Le réalisateur, producteur, scénariste, cadreur et passionné de cinéma, Claude Lelouch est l’invité exceptionnel du Monde d’Elodie toute cette semaine.

Celui que le cinéma n’a jamais quitté depuis ses sept ans, période pendant laquelle sa mère le plongeait dans les salles obscures pour échapper à la Gestapo, évoque ses souvenirs heureux et moins heureux.

Parmi ses 50 films, on remonte celui de sa vie avec : Un homme et une femme (1966), L’aventure, c’est l’aventure (1972), Les uns et les autres (1981), Itinéraire d’un enfant gâté (1988) et Roman de gare (2007). 

Claude Lelouch, après avoir été l’acteur principal de son père, cinéaste amateur, est devenu celui du documentaire de Philippe Azoulay sorti en mai 2022 : Tourner pour vivre.

franceinfo : Votre film, Un homme et une femme a connu un succès colossal, un retentissement mondial avec un Oscar du meilleur film étranger en 1966 et 1967. Ce film vous a finalement permis d’exister enfin, d’être reconnu. 

Claude Lelouch : Oui, j’ai eu le sentiment de renaître. Ce film a fait de moi un cinéaste libre. Et cette liberté, j’en profite depuis presque 50 ans. D’un seul coup, c’est comme si on m’avait donné un passeport pour faire ce métier. Moi, je viens du cinéma d’amateur et je me considère encore comme un cinéaste amateur puisque les cinéastes amateurs sont des bricoleurs. Et c’est vrai que ce succès aurait pu faire de moi un cinéaste américain puisque le succès américain a été colossal. L’Amérique m’a tout proposé à l’époque.

Et vous avez tout refusé ?

J’ai tout refusé parce que je savais que si j’avais eu droit à ce miracle, c’était pour faire le cinéma que je pratiquais et non pas un cinéma de producteur. J’ai eu, tout de suite, Marlon Brando et Steve McQueen qui voulaient faire un film avec moi, donc je ne pouvais pas refuser. Je  suis allé aux Etats-Unis et j’ai compris très vite que c’était une machine de rêve qui était un peu truquée et qu’il fallait autant de gros plans pour Brando que pour McQueen, autant de répliques pour les deux, qu’il fallait que ça se termine bien, etc. J’ai dit : non, ce n’est pas le cinéma que je fais.

« Quand je fais un film, je ne connais pas sa fin. Je fais un cinéma qui est le cinéma de la spontanéité du moment. »

à franceinfo

C’était le propre même d’Un homme et une femme et j’ai dit si j’ai eu droit à ce miracle, c’est pour continuer ce sillon, et non pas faire du cinéma de commande. Je me suis dit : alors, ils engagent Claude Lelouch et ne me laissent pas faire du Lelouch, alors je leur ai dit non. Ça m’a permis d’avoir des relations formidables avec toutes ces stars qui m’ont fait rêver et continuent. Je suis devenu très copain avec Steve McQueen, ça n’a pas empêché, mais je n’avais plus le « final cut », ce sont les producteurs les grands patrons du cinéma américain.

On a eu la reconstruction avec Un homme et une femme, ensuite Vivre pour vivre qui raconte une nouvelle fois l’histoire d’un couple, mais cette fois-ci fragile, pas loin de divorcé, avec Yves Montand et Annie Girardot. Être scénariste, c’est raconter la vie des autres et n’est-ce pas aussi, un peu, raconter sa propre vie ?

Constamment. On pioche dans notre vécu. C’est déjà tellement dur de parler de choses qu’on connaît que si en plus, il faut parler des émotions des autres… Moi, je ne me sens pas capable de ça.

C’est dur de lâcher prise ou pas ? Parce que finalement, vous vous racontez à travers vos histoires, mais vous vous êtes toujours protégé.

Oui, mais si je lâche prise, je vais m’ennuyer. Vous savez, il vaut mieux avoir des emmerdes que de s’emmerder.

Il y aura Un homme qui me plaît avec Jean-Paul Belmondo en 1969, Le Voyou avec Jean-Louis Trintignant en 1970, L’aventure, c’est l’aventure avec Lino Ventura, Jacques Brel et Aldo Maccione en 1972. Quand ce dernier sort, les affrontements idéologiques étaient à leur apogée. Mai 68 avait réduit le fossé entre le patron et les ouvriers, mais vous avez maintenu ce film !

Oui, parce que c’était ma réponse aux événements de 68 que je n’avais pas pris très au sérieux. J’ai cru que c’était une merveilleuse récréation et de cette cour de récréation sont nés Smic, smac, smoc parce qu’on me reprochait de ne parler que d’hommes et de femmes riches. J’allais donc parler de smicards. C’était un film d’essai pour essayer une caméra et finalement c’est un film que j’aime beaucoup. Et puis derrière, j’ai fait L’aventure, c’est l’aventure

« ‘L’aventure, c’est l’aventure’ montre à quel point ma digestion des événements de Mai 68 m’avait plus amené à rire qu’à pleurer. »

à franceinfo

C’était aussi une façon de montrer que vous étiez un cinéaste engagé, en tous cas dans votre façon d’être. Vous n’étiez pas dans le politiquement correct.

J’ai toujours été engagé dans le juste milieu. Je pense qu’on marche sur un fil et je crois beaucoup à ces équilibristes qui essayent de garder l’équilibre. J’ai toujours eu peur des extrêmes. Je pense que la réponse à tous nos problème, c’est le juste milieu. Quand je fais un film, je suis au milieu de mon équipe. Je ne suis pas plus avec celui qui a le plus bas salaire ou celui qui a le plus haut. Je m’aperçois que tout le monde est utile.

L’homme du milieu, on pense que c’est un homme qui ne veut pas prendre de risques ou qui ne veut pas se mouiller, ce n’est pas vrai, c’est quelqu’un qui ne veut pas tomber du fil. Cette position de juste milieu m’a toujours permis de me dire : je ne m’inquiète de rien finalement, j’accepte tout.

Bon, j’ai un peu peur de Poutine en ce moment parce que s’il devient fou, la prochaine guerre mondiale sera la fin du monde et ça, cela peut être très grave. C’est la seule chose qui m’inquiète un petit peu. Mais j’ai le sentiment que le peuple russe qui est un peuple merveilleux va mettre en l’air Poutine.  

Le film L’aventure, c’est l’aventure est devenu culte. Est-ce que ce n’est pas finalement la plus belle récompense dans le cinéma ?

Très bientôt, on va fêter les 50 ans de L’aventure, c’est l’aventure. Le temps qui passe est le seul critique valable. Et ce critique est plutôt sympa avec moi pour l’instant.

Source: Lire L’Article Complet