Enquête.- En septembre dernier, l’influenceuse Maeva Ghennam vantait les mérites du lifting de la vulve, s’attirant les foudres des internautes. Comme elle, d’autres femmes très jeunes, passent chaque année le cap de la chirurgie pour réduire la taille de ce qui les complexe tant : leurs lèvres internes.
À 21 ans, Sonia (1) possède une vulve comme il en existe tant d’autres, avec des lèvres externes charnues, recouvertes de poils, et des lèvres internes qui dépassent de la fente. En ailes de papillon, diraient certains. Pourtant, comme des centaines de femmes par an, elle a décidé de «couper ce truc qui pend», explique-t-elle. L’étudiante en faculté de langues a eu recours à une nymphoplastie (ou labiaplastie) en 2018, une chirurgie de l’intime visant à réduire la taille des lèvres.
Pendant longtemps, alors que ses amies jaugeaient dans le reflet du miroir leur look, leurs boutons d’acné ou leurs fessiers, l’adolescente n’avait d’yeux que pour son sexe. Non pas par excès de curiosité mais plutôt par dégoût. «Je ne voyais plus que ça, comme un gros nez moche au milieu de la figure. Sauf qu’ici ça ressemblait plutôt à des oreilles de cockers, raconte la jeune femme. Je n’arrêtais pas de les manipuler, en me demandant pourquoi j’étais « anormale ». Je me rappelle un jour avoir scotché mon sexe pour imaginer à quoi il ressemblerait s’il était complètement lisse.»
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Un attrait constant et plus jeune
En France, l’engouement pour la nymphoplastie est bien réel. D’après la Société française des chirurgiens esthétiques plasticiens (SOFCEP), 4 600 Françaises, tout âge confondu, ont eu recours à cette opération en 2016, contre 1839 en 2010. Aujourd’hui, en l’absence de données plus récentes (non communiquées par l’Assurance maladie), les soignants interrogés pour cette enquête témoignent d’une demande toujours constante : entre 3 à 50 interventions par an, selon les établissements, de Paris à Nantes, en passant par Lille.
À titre de comparaison, aux États-Unis, la procédure connaît une forte croissance depuis les cinq dernières années : +53% selon l’American Society of Plastic Surgeons (ASPS). Dans une thèse consacrée au sujet, Sara Piazza, psychologue clinicienne, docteure en psychopathologie et psychanalyste, parle d’une véritable banalisation chez les Anglo-saxons. Elle raconte comment certaines patientes vont jusqu’à se présenter chez le chirurgien esthétique, photo d’actrice porno ou page de Playboy à l’appui, disant «je veux ressembler à ça.»
«Cette chirurgie est très à la mode depuis une dizaine d’années», confirme Ghada Hatem, gynécologue et fondatrice de la Maison des femmes de Saint-Denis, pour parler du cas français. «La nymphoplastie est l’un des premiers motifs de consultation de la chirurgie intime, renchérit Sylvie Abraham, chirurgien esthétique parisienne, spécialisée dans ce domaine. Par an, une centaine de femmes me consultent pour avoir un avis ou passer à l’acte.»
Les professionnels de santé sont d’autant plus surpris que cette requête émane d’une population de plus en plus jeune. «90% de ma patientèle a moins de 20 ans, affirme Géraldine Giraudet, chirurgien gynécologue au CHU de Lille. Récemment, une lycéenne m’a confié que quatre autres copines de sa classe s’étaient déjà fait opérées avant elle, toutes par le même chirurgien esthétique.»
En pratique, les chirurgiens gynécologues et esthétiques emploient généralement la technique dite «longitudinale», soit le retrait de l’excès de peau sur toute la longueur de chacune des parties emmenant le bord libre. Coût total de l’opération : 400 euros dans un hôpital public, jusqu’à 5.000 dans une clinique privée.
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Une gêne esthétique et physique
Pour justifier l’intervention, beaucoup de patientes évoquent une gêne fonctionnelle. À l’aube de ses 16 ans, Amélie a été contrainte d’abandonner sa passion pour l’équitation. «Chaque fois que je montais à cheval, il fallait que je m’arrête tous les quarts d’heure pour aller aux toilettes et « remettre » correctement mes lèvres, se souvient-elle. Sans ça, le frottement de la selle associé à celui de mon pantalon était susceptible de m’irriter pendant des heures après.»
La plupart du temps, la douleur s’accompagne d’un lourd complexe. Après des années de «honte» à l’école, Lin, 19 ans, veut «corriger» sa vulve, qu’elle juge «asymétrique», «dégoûtante» et «trop sombre». «Me déshabiller et prendre une douche dans les vestiaires de la piscine a toujours été une torture. J’ai l’impression que tous les regards sont fixés sur mon entrejambe. C’est pire une fois dans l’eau, je crains que ma lèvre s’échappe et finisse par dépasser de mon maillot de bain.»
Par ricochet, cette faible estime de soi se répercute sensiblement dans l’intimité. «Ma première fois a été extrêmement douloureuse, mes lèvres se sont coincées quand il m’a pénétré. Après ça, psychologiquement c’était l’horreur, résume Sonia. Même si j’en avais envie, je redoutais qu’on me touche « en bas ».»
«Certaines patientes sont tellement embarrassées qu’elles préfèrent me montrer leur vulve en photo sur leur portable avant d’être examinées», commente Fabienne Marchand, chirurgien gynécologue à la Polyclinique Santé Atlantique Elsan à Nantes.
La gynécologue parisienne Sophie Berville-Lévy, spécialiste des pathologies vulvaires, s’est penchée sur les ressorts de cette intervention en 2013 avec la psychologue clinicienne Sara Piazza, à travers une étude menée auprès de 71 patientes consultant pour nymphoplastie. «Leur score de qualité de vie sexuelle (aussi appelé FSFI) était très inférieur à la moyenne, note la gynécologue. Il était question pour ces femmes d’éviter à tout prix l’exposition de leur vulve, soit en évitant le sexe oral soit en éteignant les lumières pendant les rapports.»
Le poids des représentations
Seulement, au regard de la médecine, aucune des patientes interrogées par la psychologue et le gynécologue ne présentait d’indications pathologiques d’une hypertrophie vulvaire (excès de lèvre supérieur à 4 cm). Si la physiologie n’est pas un problème, comment expliquer alors ce malaise chez les adolescentes ?
L’influence de la pornographie apparaît comme le coupable idéal. Or, selon Ludivine Demol, chercheure doctorante à l’université Paris-VIII et spécialiste de la thématique, elle ne représenterait «qu’une goutte d’eau» dans cette problématique. «Dans le porno comme ailleurs, il existe autant de formes de vulves que de types d’épilation. Si le problème venait de lui, on aurait déjà observé une hausse des opérations chez les actrices», nuance-t-elle.
«Le complexe concerne davantage l’imaginaire fantasmée du féminin», observe la psychologue Sara Piazza. Et pour cause, cette recherche d’un abricot rose, sans forme et prépubère remonte bien avant YouPorn et l’apogée du X. «Depuis l’Antiquité, que ce soit dans l’histoire de la médecine ou de l’art, l’inconscient collectif s’est construit avec l’idée que la forme du sexe féminin témoigne de son rapport à la sexualité, abonde la psychologue clinicienne. La fente, lisse, sans poils ni clitoris est valorisée, tandis que l’excès de peau fait référence au débordement ou encore au masculin. Le retirer revient à cadrer, domestiquer cette déviance.»
Aujourd’hui, la récente polémique Maeva Ghennam le confirme. En septembre dernier, la star de télé-réalité de 24 ans se félicitait d’une intervention esthétique de la vulve. «J’ai de la chance, j’ai vraiment un beau vagin, confie-t-elle dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux. J’ai pas les lèvres ou quoi qui dépassent (…) Là, c’est comme si j’avais 12 ans !».
«Il y a un fracture sociale entre celles qui découvrent une éducation sexuelle nouvelle, une diversité de vulves dessinées sur Instagram et celles qui conservent une vision très hétéronormée de la sexualité et du corps de femmes», commente la gynécologue Sophie Berville-Lévy.
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Gagner du temps
Face à tant d’injonctions sur les parties génitales, les soignants ne cachent pas leur frilosité à accepter une telle intervention, auprès d’un public très jeune. «Il y a une forme de dysmorphophobie physiologique à l’adolescence et je ne suis pas sûre qu’il faille opérer des complexes à un âge où cela peut fluctuer encore», s’interroge la gynécologue parisienne Sophie Berville-Lévy.
Mais les conditions de prise en charge par l’Assurance maladie viennent leur complexifier la tâche. Les critères d’accès – excès de lèvres ou douleurs – sont en effet difficilement vérifiables et quantifiables. Ainsi, l’intervention est toujours remboursée à hauteur de 57,44 euros, un montant certes peu élevé mais qui vient «légitimer» la pathologie aux yeux des patientes.
Commence alors une véritable négociation dans le cabinet. «On essaye de gagner du temps en dialoguant, en leur demandant d’attendre la majorité, de revenir l’année prochaine», raconte la gynécologue parisienne. Il arrive que cela fonctionne. «C’est au rôle du médecin d’expliquer qu’il n’existe pas de vulve normale, seulement des variations physiologiques, souligne Natalie Rajaonarivelo, chirurgien plasticien à Paris. Parfois après un simple examen, la jeune femme repart rassurée car elle a eu l’avis d’un professionnel.»
Un choix libre et éclairé ?
En cas de doute, le médecin peut faire appel à un œil externe au dossier : un psychologue, un sexologue ou une consultation d’éthique clinique, comme il en existe au Centre hospitalier de Saint-Nazaire. Le philosophe Guillaume Durand (2) la dirige et a déjà été confronté à la demande de Louise, 17 ans, gênée par ses lèvres dans l’intimité et lors de sa pratique de l’équitation. «Nous l’avons évalué autonome dans sa décision car elle était capable d’exprimer son choix, d’en comprendre les conséquences – irréversibilité, risques post-opératoires – et de nous donner des arguments plus ou moins rationnels», détaille le maître de conférences à l’université de Nantes.
Le philosophe invite à revoir la place accordée au récit personnel de la patiente. «On fait de ces jeunes adolescentes des sortes de marionnettes, sous le joug du groupe et des médias, déplore Guillaume Durand. Or beaucoup ont une grille de lecture, sont capables de jugements et de lucidité. La chirurgie esthétique peut être, en dépit de la morale commune, un acte aidant l’individu à s’accomplir, à contribuer à son bien-être physique, psychique et social. Au nom de quelle démocratie doit-on rejeter cette conception de l’existence et du rapport au corps ?»
Regretteront-elles un jour leur acte ? «Dès lors qu’on fait des choix, on peut regretter mais cela fait partie de l’existence, conclut le philosophe. Quoiqu’il arrive, on assume car c’est trop difficile de regretter quelque chose d’irréversible.» Pour l’heure, si Lin n’a pas encore sauté le cap de la chirurgie, Sonia et Amélie se disent amplement satisfaites de leur nouvelle apparence. «Je n’en cauchemarde plus la nuit et j’ai même réussi à porter récemment un bikini très échancré sans calculer le moindre de mes mouvements, se félicite Sonia. Même si ce n’est pas encore gagné sur le plan sexuel, cela m’a enlevé un poids.»
(1) Les prénoms ont été modifiés.
(2) Un philosophe à l’hôpital, par Guillaume Durand, publié aux éditions Flammarion, 192 pages, 18€.
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