Dans la société sévère et corsetée de la reine Victoria, des jeunes gens ont inventé les ancêtres des textos, et voire même de Tinder. L’art du collage, essentiellement pratiqué par les femmes, permettait de contourner les règles de la bienséance. Et de faire passer des messages doux (et codés).

Aujourd’hui, il suffit aujourd’hui d’un swipe sur Tinder : alors que dans nos sociétés actuelles, la drague se joue la plupart du temps par photos sur écrans interposés, la BBC relève, dans un article du 17 janvier, une méthode de flirt bien plus ancienne, datant de l’époque victorienne. Une époque où les ancêtres des textos étaient en fait des jeux de collages créatifs, entre audace et impertinence.

Cette technique remonte aux années 1860, lorsque les cartes de visite étaient très en vogue parmi les familles de la haute société victorienne. Synonymes de pouvoir et de prestige, elles prenaient la forme de petits portraits photographiques qu’il était de coutume de s’échanger comme on le fait, aujourd’hui, des numéros de téléphone. Mais les placards débordant vite de dizaines de clichés, que faire de toutes ces cartes ? Selon plusieurs experts interrogés par la BBC, les femmes, surtout, avaient pris pour habitude de les conserver dans des albums photos dédiés.

Au fil du temps, les portraits figurant sur les cartes furent découpés et utilisés dans des dessins et autres collages fantaisistes voire surréalistes. Patrizia Di Bello, professeure d’histoire et de théorie de la photographie à l’université de Birkbeck, à Londres, explique que ce passe-temps était perçu, par ses pratiquantes, comme une source de divertissement, sans but d’être exposé dans les galeries. Les « artistes » apportaient simplement leurs œuvres lors de dîners afin que celles-ci puissent y être admirées.

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Messages codés

Lors de la suppression des bals et de la danse par la reine Victoria, qui souhaitait donner une image plus grave et respectable de son règne, «les jeunes femmes détenant des albums de collages sont devenues populaires car elles apportaient une nouvelle distraction à la cour. Cela leur donnait une valeur sociale», explique l’experte à la BBC.

De cet art de salon avant-gardiste sont nés des jeux de malice et d’espièglerie entre prétendants. Apporter son album photo lors de rassemblements permettait d’abord de tisser des liens et de flirter, fournissant aux hommes et aux femmes «une excuse pour s’asseoir côte à côte». Les collages étaient ainsi devenus un moyen de communiquer, d’exposer son niveau social et son degré de «désirabilité». Mais aussi de s’échanger des messages codés, entre private jokes et jeux de mots, contournant les règles de la bienséance.

Le mari et l’amant

C’est l’usage qu’en fit Lady Filmer, épouse effrontée du député Sir Edmund Filmer, dont les montages s’avéraient tant audacieux que surprenants. Dans l’un d’entre eux (ci-dessous), cette «dame des cœurs» s’y mettait en scène avec son mari, ses enfants, d’autres membres de la famille et… son supposé amant Edward, prince de Galles et fils aîné de la reine Victoria, qui lui envoyait ses portraits quasi quotidiennement. Le bruit courait même que l’une des filles de Lady Filmer, surnommée Queenie, était de lui. «Les simples connaissances de Lady Filmer étaient impressionnées par le fait que le prince de Galles faisait partie de son cercle, explique Patrizia Di Bello. Mais ceux qui étaient dans la confidence éprouvaient du plaisir au commérage, voire de la jalousie envers le fait qu’elle exposait cette relation.»

Un autre montage, toujours signé Lady Filmer, représente une scène de chasse au renard. Elle incarne le renard. Eux, ses amants, la meute de chiens. Son mari au loin, à pied, essayant désespérément de contrôler ces animaux. Lady Filmer, une femme libre avant tout ? «Il y a un côté ouvertement féministe chez Lady Filmer, tranche Patrizia Di Bello. Elle montre que les hommes viennent la poursuivre, mais que s’ils l’attrapent, ils peuvent la dévorer. C’est d’abord ludique, puis cela devient dérangeant. Elle prenait un gros risque.» Bien plus timorés (ou peut-être timides?), les hommes préféraient, quant à eux, réserver leurs collages à la documentation de leur quotidien, voyages, rencontres, expériences professionnelles. La subtilité d’un flirt qui ne disait pas son nom restant l’apanage des femmes. Faisant preuve d’humour, d’audace et de créativité, au-delà des carcans qui leur étaient imposés.

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