Au milieu du XX ème siècle, quelques « pionniers de l’or blanc » perçoivent dans les hautes vallées de l’Hexagone une terre providentielle pour répondre aux désirs de l’air du temps. L’époque est à l’avènement de la société des loisirs et aux grands projets architecturaux. Comme les bords de mer, les montagnes attirent architectes avant-gardistes et promoteurs visionnaires. Ces initiatives d’investir des coins isolés et difficiles d’accès, en voie de désertification massive, sont soutenues par l’état français alors engagé dans un vaste plan d’aménagement des territoires. L’aube des années 60 voit ainsi naître le fameux Plan Neige et son objectif de création de 350 000 lits ! Une dizaine d’années plus tard, le bilan de l’opération coûteuse s’affichera en demi teinte avec la moitié seulement des lits créés et quelques architectures décriées.

Pourtant soucieux de correspondre aux attentes de français désireux de profiter pleinement de leurs congés payés et des plaisirs de la glisse, promoteurs et architectes ont bâti ensemble des stations de ski intégrées adaptées aux spécificités (et contraintes) locales souvent respectueuses de la nature environnante. Des sites réalisés de A à Z, et ce parfois même jusqu’à la petite cuillère comme le soulignait Charlotte Perriand pour le projet des Arcs en Haute-Savoie. Si certains de ces villages haut perchés cousus de fil blanc prenaient des libertés extrêmes en copiant l’architecture moderne des grands ensembles qui émergeaient à la périphérie des grandes villes, d’autres préféraient inventer une architecture vernaculaire revisitée. Admirées ou critiquées, ces stations de ski signées par des grands noms de l’architecture du XX ème siècle appartiennent désormais au patrimoine français et illustrent la créativité d’une époque charnière.

La preuve en 5 récits.

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La Plagne : le symbole de la société des loisirs à la montagne

Titanesque et audacieuse, La Plagne appartient à cette série de projets architecturaux ambitieux que connut l’Hexagone durant les Trente Glorieuses. A l’origine de ce chantier pharaonique pour l’époque et l’altitude (2 050 m !), un maire en phase avec son temps : Pierre Borrione. A la tête de la commune d’Aime, il a pour idée d’enrayer le déclin de l’agriculture et de l’industrie qui sévit dans la vallée en profitant de l’avènement de la société des loisirs. Sensible à l’air du temps – et à la physionomie hors norme des lieux avec des pentes qui s’étalent à plus de 3 200 mètres sur le glacier de la Chiaupe – il imagine un grand pôle touristique dédié aux sports d’hiver. 

Sortie des neiges à l’aube des années 60, La Plagne reprend les codes architecturaux emblématiques de l’époque qui ne craint nullement de voir les choses en grand. Béton, verre et bois dessinent son incroyable silhouette au coeur de ce paysage immaculé. Aux manettes de ce projet : Michel Bezançon. L’architecte spécialisé en urbanisme exporte la controverse qui sévit à la périphérie des grandes villes de France à la montagne. La Plagne emprunte l’esthétique urbaine alors en vogue (et au centre de tous les débats) pour créer une succession d’immeubles hauts et imposants surnommés « le paquebot des neiges ». Un paquebot titanesque, comme échoué dans les montagnes, que les français vont plébisciter malgré quelques critiques contre cet affront fait au paysage. Le temps récompensera les visionnaires à l’initiative de cette station de ski dite intégrée, l’une des premières. En 2008, le paquebot des neiges d’Aime 2000 obtient le label Patrimoine du XX ème siècle.

Les Menuires et son "paquebot des neiges" : décriés puis sacrés

Située en Savoie, la station de ski Les Menuires présente sur le papier la même genèse que la Plagne. Ici encore à l’aube des années 60, il était question de sauver une économie en perte de vitesse. La planche de salut de la commune de Saint-Martin-de-Belleville sera – comme pour beaucoup d’autres alors – les sports d’hiver ! A cette époque, l’Etat met tout en place pour aménager « touristiquement » les montagnes françaises avec le Plan Neige.

Oubliez les chalets savoyards et toute la ribambelle d’images d’Epinal propres au « désert blanc » de cette partie de l’Hexagone. Les Menuires affichent les prétentions d’une décennie moderne et inventive. Son exemple le plus parlant demeure l’immeuble Brelin. Une longue barre imposante, adossée à la montagne. Sorti de terre à l’aube des années 70, cet immeuble aux allures éternelles de paquebot compte aujourd’hui plus de 560 appartements, deux hôtels et des commerces ! Sa forme massive et ses façades ultra structurées, soulignées par des ardoises angevines, lui ont valu de nombreuses critiques. Mais c’est une fois encore les années qui ont donné raison à ce mastodonte architectural puisqu’il a été labellisé Patrimoine architectural du XX ème siècle en 2012.

Les Arcs : la déclaration d’amour de Charlotte Perriand à la montagne

Toujours en avance sur son temps, Charlotte Perriand n’a pas attendu le grand sacre de la société des loisirs pour s’intéresser à ce paysage colossal qu’est la montagne. Dès son plus jeune âge, elle développe un goût prononcé pour la liberté offerte par ce grand désert blanc et haut perché. A l’aube des années 60, elle se lance même dans la construction d’un chalet rien que pour elle à Méribel. C’est à quelques kilomètres de là, dans la vallée de la Tarentaise, que l’attend le plus grand chantier de sa vie.

De 1967 à 1989, elle s’est consacrée pleinement à la création de la station de ski savoyarde Les Arcs en collaboration avec le promoteur immobilier Roger Godino. Ensemble, ils imaginent une station de sports d’hiver résolument intégrée au décor. Amoureuse absolue de la montagne, l’architecte a profité de ce projet pharamineux pour y greffer ses obsessions humanistes et pour le moins avant-gardistes pour la grande époque de la société des loisirs et de la consommation, peu encline à se tourmenter avec des questions d’ordre écologique. Les Arcs est l’une des premières stations de ski sans voiture où l’habitat est respectueux de l’environnement. L’architecture des lieux reprend ainsi la forme conique des montagnes, les toitures celle des pistes de ski, et le tout s’intègre littéralement au paysage. De l’urbanisme à la petite cuillère, ici, Perriand dessinera tout dans une quête permanente d’inventivité, de bien-être et de tolérance vis-à-vis du paysage exceptionnel environnant.

Flaine : l’esthétique Marcel Breuer à grande échelle

Dans le récit des grandes stations de ski françaises pensées par de grands architectes, Flaine fait figure d’ovni pour son époque. Situé en Haute-Savoie, le site de Flaine a été découvert en 1959 par le géophysicien Éric Boissonnas et l’architecte suisse Gérard Chervaz. Ensemble, ils font le pari d’y créer un exemple d’urbanisme, d’architecture contemporaine et de design. Choix esthétiques et respect de l’environnement seront au coeur de leur projet. Pour conduire cette entreprise de taille, Éric et Sylvie Boissonnas, grands mécènes du XX ème siècle, ont fait appel à Marcel Breuer. Elève puis professeur au Bauhaus, ce maître de l’architecture moderne va mettre son architecture radicale et son esthétique fonctionnelle et durable au service de cet impressionnant décor.

A Flaine, Breuer a carte blanche. Comme Perriand aux Arcs, il concevra la station dans ses moindres détails. Bâtiments, lampadaires, téléphériques, il dessine tout dans une ultime optique (ou une fidélité à ses principes de jeunesse) : les édifices ici présents ne doivent pas être soumis aux aléas de la mode architecturale mais refléter une qualité générale de vie pour l’homme comme pour la nature. Radicale à première vue par son utilisation du béton brut et son caractère résolument différent des stations de ski qui pullulent aux quatre coins de France à cette époque, la Flaine de Breuer épouse avec sagesse les lignes des reliefs environnants. La station s’adapte à la sérénité de ce cadre naturel par la grâce de sa série de bâtiments cubes bien loin des massifs « paquebots des neiges ». Ces bâtiment rectilignes et ce solarium impressionnant, qui s’avance en surplomb dans le vide, ont reçu le label Patrimoine Architectural du XX ème siècle en 2008. 

Avoriaz : l’architecture mimétique mythique

Aventure collective et d’avant-garde, Avoriaz suscite encore la fascination plus d’un demi-siècle après sa création. Situé dans la commune de Morzine en Haute-Savoie, ce site exceptionnel a été repéré par un enfant du pays : Jean Vuarnet, champion de ski, médaille d’or aux JO de 1960 et inventeur de la position dite « de l’œuf ». Il avait repéré depuis longtemps le potentiel de pistes de ce territoire d’alpage. Il finance d’abord le téléphérique des Prodains avant de rencontrer le promoteur Gérard Brémond qui s’enthousiasme à l’idée de bâtir une grande station de ski. Pour ce projet d’envergure, ce jeune homme a en tête le nom de trois garçons dans le vent : Jacques Labro, Jean-Jacques Orzoni et Jean-Marc Roques. Ensemble, ils créent l’Atelier d’Architecture d’Avoriaz (AAA). La page blanche de ce projet est aussi belle que complexe : 209 000 mètres carrés à construire en respectant le principe d’une station sans voiture.

C’est le temps de tous les possibles, et surtout en matière de tourisme. La bande ne souhaite pourtant pas faire comme tout le monde. Pas question de déporter ces « immeubles valises » propres aux périphéries des grandes villes à la montagne comme le pratiquent nombres de sites concurrents. Pour ces avant-gardistes, il faut à tout prix dépayser les touristes. Leur station idéale présentera une architecture vernaculaire. Très inventive pour ce recoin de France, elle reposera sur les principes émis par des architectes emblématiques du XX ème siècle comme Frank Lloyd Wright. Organiques, les immeubles et chalets créés s’inscriront dans les courbes et volumes du relief naturel. Ecoresponsable sur la forme comme sur le fond, Avoriaz le fut dès ses débuts en privilégiant une exposition plein sud pour les pièces à vivre et une exposition plein nord pour les pièces secondaires. Un choix d’agencement qui permet d’importantes économies d’énergies. Enfin, Avoriaz accorde la part belle au bois. Les façades sont recouvertes de tavaillons, des tuiles en bois de cèdre rouge qui constituaient la plupart des toits savoyards et jouent un intéressant rappel aux décors environnants, des arbres à la roche voisine. Cette architecture mimétique exemplaire a fait de la station un lieu emblématique du patrimoine français.

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