• "Voir le bon côté des choses", une habitude ancrée
  • Les effets délétères de la répression des émotions
  • Quand l’actualité nous pousse à embrasser la négativité
  • Comment conjuguer avec toutes ses émotions ?

Déprime, mauvaise humeur, nouvelle qui nous plombe… Si l’on a le malheur d’être vocal par rapport à notre moral en berne, il y toujours quelqu’un pour nous conseiller de « voir la vie du bon côté », ou de relativiser, parce qu’il y « a toujours pire ».

Et désormais, ce ne sont plus “que” les autres qui viennent prêcher la positivité, mais notre psyché, qui, influencée par la pullulation des contenus anti-négativité, se refuse à adresser ses ressentis désagréables

Dans un article pour The Guardian, le journaliste Jamie Waters évoque le livre de la psychothérapeute américaine star d’Instagram, Whitney Goodman. Dans Toxic positivity elle a été l’une des premières à avoir dénoncé la positivité toxique de notre époque. 

Elle raconte s’en être alarmée alors que de plus en plus de ses patients atteints de cancer lui expliquaient “ne pas laisser leurs émotions négatives prendre le dessus”. “Les négliger est fortement encouragé dans ma profession et dans la culture en général”, admet l’américaine dans son ouvrage. 

Pourtant, cette habitude abîmerait notre santé mentale et parfois même, notre santé physique. Anne Clotilde Ziégler, psychothérapeute, nous explique pourquoi il est important d’embrasser nos émotions négatives, au lieu de les réprimer.

« Voir le bon côté des choses », une habitude ancrée

Si on nous incite, depuis petit, à voir le verre à moitié plein, c’est bien qu’on traite d’une habitude malsaine, ancrée dans la société. Ce que confirme Whitney Goodman dans son livre, où elle décrit la culture occidentale comme “programmée pour croire que l’optimisme est toujours le meilleur choix”.

Selon elle, cet enfouissement de nos émotions négatives prendrait son origine dans les années 70, quand les scientifiques ont identifié le bonheur comme un but ultime de vie, incitant les gens à partir à sa recherche, par tous les moyens. La solution star ? Ne pas prêter attention aux choses négatives qui nous entourent, vues comme un bouclier à la félicité. 

La mort doit forcément rendre triste, la grossesse et l’accouchement doivent être vécus comme des choses merveilleuses pour les mères… Mais on est très loin de la réalité.

Évidemment, tout ceci a été exacerbé par le mouvement bien-être et relaxation, apparu avec l’avènement des réseaux sociaux. Pour la psychologue, il s’agit presque d’une « déformation » de notre cerveau. La preuve, quand un proche se sent mal, on tente de le réconforter en partant de ce même postulat : il y a toujours du positif dans le négatif, donc autant ne pas le ressentir. “Être positif est devenu un objectif et une obligation”, écrit-elle.

D’autant plus que, comme le rappelle Anne-Clotilde Ziégler, il y a comme des “prescriptions sociales” au vécu des émotions. “La mort doit forcément rendre triste, la grossesse et l’accouchement doivent être ressentis comme des choses merveilleuses pour les mères… Mais on est très loin de la réalité. Pourtant, on va pousser les gens à enfermer leurs émotions contraires à la société dans des petites boîtes et c’est très mauvais pour la santé”, explique-t-elle.

Les effets délétères de la répression des émotions

Il existe différentes études évoquant les émotions de base. Anne Clotilde Ziégler évoque celles énoncées par le psychologue américain Paul Ekman : la peur, la joie, la tristesse, la colère et le dégoût. 

“Ce sont celles qui nous font tous.tes faire la même tête. Mais il n’est pas inné de les reconnaître, et donc de les adresser. C’est notamment un acquis qui s’apprend via la parole des parents”, précise-t-elle. « Dans une vie bien vécue, vous devriez avoir beaucoup moins d’émotions négatives que positives, mais vous ne devriez pas avoir zéro émotion négative. Les bannir est une mauvaise stratégie », annonce le journaliste et auteur américain Daniel Pink auprès du Guardian

En effet, selon l’experte française, ces émotions n’ont pour négatif que leur appellation. “Ce sont juste des émotions, mais elles sont connotées parce qu’elles se manifestent par des sensations désagréables, qu’on préfère réprimer”, argue-t-elle.  

Pourtant, Anne Clotilde Ziégler est formelle : nous avons un intérêt absolu à les embrasser. “Elles donnent des informations considérables sur ce que nous vivons. Il est indispensable de les accueillir pour ne pas les engluer, sinon, on ne prend pas le message qu’elles nous envoient. Quand l’agitation intérieure est non-accueillie, notre mental est affecté, mais on peut aussi tomber malade et ressentir des symptômes comme des maux de ventre, des diarrhées… », poursuit-elle. 

Mais pour la psychothérapeute, il ne s’agit pas que de nous, en tant qu’individu.e. Selon elle, nous ne sommes pas aidé.es par la société, et notamment par le monde du travail. “On rend la psyché individuelle responsable des problèmes sociaux. Finalement, cette habitude qui consiste à dire ‘soyez heureux’, empêche les gens de ne pas descendre dans la rue. À partir de là, impossible de déculpabiliser et de prendre le temps d’écouter ses émotions négatives”, soupire-t-elle. 

Quand l’actualité nous pousse à embrasser la négativité

Mais il se pourrait bien que l’actualité, aussi grave soit-elle, change la donne. Entre la crise sanitaire entraînée par le Covid-19, la guerre en Ukraine ou encore les tueries de masse, impossible de ne pas exprimer ses émotions négatives. 

“Les émotions négatives fortes – la peur, l’anxiété et la tristesse – sont une réponse naturelle à ce qui se passe dans le monde en ce moment et nous ne devrions pas avoir à les nier”, acquiesce Daniel Pink pour The Guardian.

Ressentir la tristesse, c’est très précisément le chemin pour accepter la perte, c’est ainsi qu’on résout des problèmes.

Et c’est ici que l’on se rend compte de l’utilité de ces émotions réprimées. “Ressentir la tristesse, c’est très précisément le chemin pour accepter la perte, c’est ainsi qu’on résout des problèmes. La colère nous fait comprendre qu’une frontière a été franchie et nous fournit l’énergie de remettre la personne à sa place. Le dégoût nous indique qu’il y a un abus quelque part”, explicite l’experte. 

Et cela est prouvé par la science : des chercheurs de l’Université de Nouvelle-Galles du Sud (Australie), ont observé, en 2017, que la tristesse pouvait « améliorer notre attention aux détails, augmenter la persévérance, promouvoir la générosité et nous rendre plus reconnaissants ». 

« Une mauvaise humeur légère et temporaire peut servir un objectif, en nous aidant à faire face aux défis quotidiens et aux situations difficiles. Lorsque nous semblons tristes ou de mauvaise humeur, les gens sont souvent inquiets et ont tendance à aider”, indique l’Université dans un communiqué. 

Comment conjuguer avec toutes ses émotions ?

Le souci, c’est qu’on ne nous apprend pas comment traiter efficacement ces émotions difficiles. Mais si vous n’avez pas été encouragé.es par votre entourage à les reconnaître et embrasser, il n’est pas trop tard. « Il faut reconnaître les sensations qu’elles vous procurent et les nommer. Mettre un nom sur un sentiment le rend moins effrayant. Et quand quelque chose est connu, nous pouvons déterminer ce que nous voulons en faire”, explique Whitney Goodman dans son livre.

Au-delà de les comprendre, il est aussi important de les mettre en mots, et pas seulement devant son miroir. Face à une personne de confiance ou à un thérapeute, parlez donc de ces émotions qui vous submergent. “Se plaindre, c’est parfaitement naturel. Articuler nos émotions nous aide à identifier ce qui nous dérange, parce que le langage convertit ce ‘nuage menaçant’ en ‘quelque chose de concret’”, poursuit Daniel Pink auprès du Guardian

Ce qui est primordial, c’est de se permettre de ressentir ses émotions pour ne pas qu’elles restent en stock.

Une nouvelle habitude qui devrait aussi changer nos réactions face au désarroi de l’autre. Le journaliste recommande ainsi d’apprendre à écouter et à poser des questions, au lieu de chercher tout de suite des arguments pour remonter le moral de la personne.

“Ce qui est primordial, c’est de se permettre de ressentir ses émotions pour ne pas qu’elles restent en stock. Il faut aussi accepter que la vie ce n’est pas qu’être bronzé.e et avoir les dents blanches. Je ne parle pas de s’apitoyer sur son sort, mais surtout de tirer des enseignements de ces écoutes”, explicite notre experte.

Trouver un sens et une utilité à ces émotions nous permettra ainsi de mieux nous comprendre, mais aussi de mieux décrypter l’autre. Pour autant, cette nouvelle habitude n’est pas la clé du bonheur, juste d’une psyché plus équilibrée – ce qui contribue au bonheur. 

« L’idéal, c’est de pouvoir se dire : ‘c’était vraiment difficile, mais maintenant c’est fini et je ne m’occupe plus de ça. Et surtout, si ça me revient, je saurai m’en occuper », termine Whitney Goodman.

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