Pour sa cinquième campagne, la journaliste politique recevra sur le plateau de C dans l’air sur France 5, à partir du 23 janvier, les huit principaux candidats à l’élection présidentielle. Rencontre avec une femme directe et exigeante.

Madame Figaro. – À l’orée de cette campagne présidentielle, qui en réalité a déjà bien commencé, quel mot définirait le mieux votre état d’esprit ?
Caroline Roux. – Je dirais : concentrée. Cette campagne est singulière, car elle porte en elle des enjeux d’unité de la Nation, d’humeur d’un pays heurté par la crise des «gilets jaunes», la pandémie… L’écho donné à tout événement par les réseaux sociaux fait aussi que, plus que jamais dans mon métier, le moindre faux pas peut être fatal. Ça peut être un regard, un plan de coupe, un mot employé à la place d’un autre, un petit rictus qui sera interprété comme une forme d’arrogance… Il n’y a plus de tolérance à l’endroit des journalistes. Je ne sais pas si c’est bien ou non, en tout cas c’est comme ça.

Comment vous en protégez-vous ?
Justement en étant extrêmement concentrée. Quand je rentre à l’antenne, je sais que tout ce que je dis pourra être retenu contre moi. J’ai aussi l’obsession d’être bien comprise. De ne pas heurter. Car je ressens vraiment une fatigue morale chez les gens. Je ne veux pas être à côté de ce qu’ils vivent ni donner le sentiment que je délivre du prêt-à-penser.

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C’est difficile d’être une journaliste parisienne menant une vie assez privilégiée sans paraître hors sol. Or, vous restez très accessible et populaire…
Cela passe beaucoup, je pense, par le choix des mots. Évidemment, il ne faut pas tomber dans le politiquement correct, le trop policé – à trop faire attention à ce que l’on dit, on ne dit plus rien. Mais voilà, je rallonge mes phrases, j’explicite, pour être sûre d’être bien comprise. Le pire pour moi serait de donner à entendre ce que je n’ai pas voulu dire.

C’est votre cinquième campagne en tant que journaliste politique ?
Oui. La première fois, c’était en 2002, je suivais à l’époque Jacques Chirac. J’ai l’impression d’être un dinosaure en disant cela, mais l’expérience me donne un peu de recul par rapport aux sondages, à la pression qui monte dès novembre et décembre.

Si l’on remonte à l’origine, pourquoi êtes-vous devenue journaliste politique ? Y avait-il dans votre éducation, dans les valeurs qui vous ont été transmises, quelque chose qui vous y appelait ?
J’aimerais vous dire que j’en rêvais depuis toute petite, mais ce n’est pas du tout le cas. En revanche, j’étais curieuse, j’aimais énormément l’histoire et la vie politique, oui. C’était une époque où le pays se rassemblait. Je pense au match de foot France/Allemagne de 1982, mais aussi aux grandes soirées électorales. J’étais fascinée par ces moments-là, ce souffle collectif. Sortie de l’IEP Grenoble, je me suis naturellement dirigée vers les enseignements politiques, et le journalisme s’est imposé assez rapidement.

Y a-t-il eu des rencontres, des figures qui vous y ont menée ?
J’ai grandi en province, à Grenoble, mes parents étaient coiffeurs, j’ai fait mes études de journalisme à Marseille. Je ne connaissais pas de grands journalistes. Il n’y a jamais eu de ministres à notre table ni d’éditorialistes. En revanche, je le dis souvent, la figure d’Anne Sinclair était très présente. Je la regardais avec une admiration de midinette. Elle m’inspire encore aujourd’hui. Cette élégance qu’elle a…

Et plus tard ?
Devenue journaliste, j’ai rencontré de grands interviewers, des éditorialistes qui m’ont aidée à me trouver, comme Catherine Nay, à Europe 1. J’allais m’installer dans son bureau, elle posait ses immenses jambes sur la table et lançait : «Alors ma chérie…» Et c’était parti ! Elle me racontait la politique, celle des grands fauves, et je la regardais avec des yeux absolument admiratifs en me disant : 1. Elle les connaît par cœur, elle les a tous apprivoisés. 2. Elle sait lire le double langage. Se jouer d’eux pour obtenir les informations qu’elle cherche. Donc elle m’a beaucoup guidée et je l’aime profondément.

J’ai aussi beaucoup travaillé avec Arlette Chabot, une des femmes les plus drôles que j’aie jamais rencontrées. Elle a été très généreuse avec moi. Elle m’a tendu la main, aidée à me construire en tant que femme dans ce milieu–là, à ne pas me faire avoir. Elle me disait : «Quand un homme politique t’appelle pour te donner une information, il faut se poser deux questions. Qui parle vraiment ? Et : À qui veut-il nuire ?» J’ai adoré cette façon de concevoir la politique, comme un jeu de billard à quinze bandes. Cela me sert encore aujourd’hui. Tout le temps.

Catherine Nay publiait l’an dernier le second tome de ses souvenirs (1). Quelle différence entre être journaliste politique à son époque et maintenant ?
Je pense qu’il y avait une proximité assumée entre ces deux univers, la politique et le journalisme, qui de nos jours n’est plus possible. Aujourd’hui, être à la table des puissants, c’est suspect, c’est une preuve de connivence, ça nourrit le soupçon de conflit d’intérêts. Il y a toujours évidemment le rituel des déjeuners de journalistes. Ça se fait toujours, mais ça s’assume moins. Moi, de toute façon, je n’ai pas le temps. C’est ce qui a profondément changé par rapport à cette époque-là : l’accélération du temps médiatique et politique, principalement du fait des réseaux sociaux. Avant, on était dans le temps institutionnel, le temps du château, celui de l’Élysée. Un temps lent dicté par l’exécutif. Aujourd’hui, il y a trois polémiques par jour, et cela rend l’exercice de la fonction politique présidentielle très difficile. Tout comme l’analyse à froid pour les journalistes.

Comment gardez-vous, justement, ce temps de l’analyse ?
Je passe un temps fou à trier, à essayer de distinguer ce qui est de l’ordre de la polémique artificielle de ce qui intéresse vraiment les gens, ce qui a une prise directe sur leur vie, sur le débat politique. Le temps de préparation d’une interview s’est multiplié par cinq depuis que j’ai commencé ce métier.

Comment envisagez-vous le rôle de journaliste politique à une époque où la démocratie est assez menacée par les réseaux sociaux, la violence des débats ?
Je suis entrée en résistance. Dans C dans l’air, tout est fait pour échapper à ce diagnostic que vous posez. Traiter d’un seul sujet sur 1 h 15 avec quatre personnes, avec le souci qu’ils puissent se parler, s’écouter, se comprendre et partager leurs connaissances, parfois sur des sujets ardus de politique internationale, c’est l’inverse de ce qui se fait en général pour générer de l’audience. Quand je vois nos chiffres arriver, je me dis «tout va bien». Il y a encore plus de 1,5 million de personnes chaque soir que ce type de débat intéresse. Pareil avec Les 4 Vérités (2), qui battent des records d’audience le matin, alors que je ne fais aucune ou très peu de polémiques. Si je reçois Olivier Véran, je me fiche d’avoir son avis sur Anne Hidalgo. S’il veut faire une petite phrase, il va sur Twitter. Je refuse de placer les politiques dans un rôle d’observateur ou de commentateur de la vie publique, je le leur dis, et d’ailleurs ils ne mouftent pas. (Rires.) On n’a pas besoin d’acteurs. Vous remarquerez que jusqu’ici, Éric Zemmour n’était pas venu dans mes émissions.

Comment restaurer l’écoute de l’autre, la possibilité, dans un débat, de se laisser convaincre ?
Je ne cherche ni la confrontation ni l’opinion. Cela correspond à mon caractère. Mon souci dans l’existence est de comprendre – et comprendre prend un temps infini. C’est le temps de la complexité, de la rigueur, de la nuance. J’arrive souvent à C dans l’air avec des convictions, et j’en ressors avec des doutes. Et c’est formidable. Ça veut dire que j’avance.

Le « Petit Nicolas » est à peine âgé de 28 ans lorsqu’il enfile le costume de maire de Neuilly-sur-Seine. (29 avril 1983)

Non, il ne s’agit pas des premiers essais acoustiques de David Guetta, mais du portrait de Nicolas Hulot, lors de l’enregistrement d’une émission diffusée sur France Inter. (1982, Paris)

La secrétaire d’État chargée de l’Enseignement, Michèle Alliot-Marie, tient son rôle, même quand elle trempe sa tartine dans son café. (1986, Paris)

Harry Potter à Poudlard ? Que nenni ! François Baroin, alors député du RPR, dans la cour du Palais Bourbon. (31 mars 1993)

Comment tenez-vous avec deux directs par jour (dont l’un de plus d’une heure), du lundi au jeudi ?
C’est physiquement éprouvant. J’ai une vie extrêmement organisée : je me lève à 5 h 30, j’avale un café, je fonce chez France TV. Ensuite, je lis la presse, je peaufine mon interview écrite la veille. Après Les 4 Vérités, je retravaille, je déjeune, puis je sombre. Sieste de 45 minutes. Je suis réglée comme une horloge, j’en ai vraiment besoin. Puis nouveau réveil, je recommence une journée. Je me redouche, j’arrive à 14 h 30 dans les locaux de C dans l’air. Un gros dossier très bien préparé m’attend sur mon bureau. Je travaille jusqu’à l’antenne, mes questions ne sont vraiment prêtes qu’au moment de prononcer : «Bonjour, monsieur Véran». À 19 heures, je rentre m’occuper de mes enfants, je regarde les journaux de 20 heures, et puis je retravaille de 21 h 30 à 22 h 45/23 heures pour préparer mon interview du lendemain. C’est un work in progress et les deux exercices de la journée se nourrissent.

C’est un vrai rythme de sportive !
Oui, je suis entraînée ! Si vous m’invitez à un dîner un jeudi soir, je risque de piquer du nez à 22 h 30. Si je passe ce cap, vous pouvez m’emmener jusqu’à 5 heures du matin, mais en général… on sait que je pars avant le dessert.

Où puisez-vous cette énergie ?
Dès que je peux, une ou deux fois par semaine, je fais un peu de cardio, du yoga, du tennis. En bonne montagnarde, l’hiver arrivant, j’entends l’appel des cimes. Quand je suis off, le vendredi et le samedi, je décroche vraiment. Je suis mollement l’actu sans m’y plonger – je m’y remets le dimanche matin. Mon énergie vient aussi d’une éducation qui m’a appris à ne pas me plaindre. De la conscience de l’extrême chance que j’ai de faire mon métier, de vivre là où je vis, entourée de la famille qui est la mienne. Mes parents ont toujours eu ce don de voir le verre à moitié plein, de mettre de la joie, de la fantaisie même dans les choses lourdes, ce qui m’a beaucoup structurée. C’est même, je crois, mon plus bel héritage.
Durant quatre dimanches de suite, à 20 h 55, les principaux candidats affronteront chacun pendant une heure le feu des questions des experts de l’émission.
(1) «Tu le sais bien, le temps passe. Souvenirs, souvenirs 2», Éditions Bouquins, 2021.
(2) « Les 4 Vérités », sur France 2, au sein de «Télématin».

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