En salle le 5 février, "Birds of Prey : la fantabuleuse histoire de Harley Quinn" est un spin-off de "Suicide Squad" centré sur le personnage de tueuse déguisée en arlequin, toujours jouée par la géniale Margot Robbie. Mais cela ne suffit pas à rattraper un film bancal, qui se voulait inspirant.
Alors que la représentation des femmes commence tout juste à s’améliorer à Hollywood, un pan du 7e art essaie de surfer sur cette vague ces dernières années : celui des comics. Après le fort et symbolique Wonder Woman (2016), premier long-métrage jamais consacré à une héroïne de comics, et le très classique Captain Marvel (2018), Birds of Prey (la fantabuleuse histoire de Harley Quinn) est le premier long-métrage à se concentrer sur plusieurs héroïnes de comics, avec une « méchante » en centre d’intérêt, si on omet le film Catwoman (2004) avec Halle Berry, qui a mal vieilli.
En salle le 5 février, Birds of Prey est très attendu des fans de DC Comics, vu comme un spin-off à Suicide Squad (2016), film regroupant des méchants de DC Comics, qui a divisé les critiques et le public. Harley Quinn était en tout cas le personnage le plus intéressant de ce marasme sexiste, lourd et clinquant. La perspective d’un film consacré à l’une des plus grandes ennemies de Batman semblait plus que prometteuse. D’autant que la géniale Margot Robbie a rempilé pour le rôle, et est même productrice.
Le pitch : Harley Quinn vient de se séparer du Joker, et a le coeur brisé. Dès lors, les autres méchants de Gotham estiment qu’elle n’est plus protégée par son aura, et tous ceux à qui elle a fait du tort veulent prendre leur revanche. À côté, le sadique Roman Sionis (Ewan McGregor), qui adore découper le visage de ses victimes, essaie de mettre la main sur un diamant subtilisé par une adolescente apprentie pickpocket effrontée (Ella Jay Basco).
L’émancipation difficile d’Harley Quinn
Disons-le d’emblée : Birds of Prey ne vole pas bien haut. On passe quelques bons moments, mais on se dit que beaucoup d’occasions d’en faire un film aussi fort que décalé sont manquées.
Le long-métrage part du principe qu’Harley Quinn est folle, capable de tuer, mais a aussi une âme très enfantine face aux dangers qui l’entourent. Dévastée depuis sa rupture avec le Joker, qu’elle surnomme « Monsieur J. », la tueuse à la batte de base-ball retrace son histoire : une enfance marquée par le désintérêt de son père, qui la place chez les nonnes. Après un doctorat, elle devient psychiatre à l’asile d’Arkham, et là, tombe amoureuse du Joker, qu’elle surnomme « Monsieur J. » Celui-ci la fait plonger dans sa vie de criminel, et dans une bassine de produits chimiques dont elle ressort métamorphosée.
« Je me suis perdue, je ne savais plus qui j’étais », relate Harley Quinn au tout début de Birds of Prey, où elle explique même que le Joker s’appropriait des actes criminels dont elle avait eu l’idée. Le film a ainsi le mérite d’essayer de l’émanciper du Joker. Joué par Jared Leto dans Suicide Squad, l’ennemi juré de Batman s’y montrait en compagnon possessif, abusif et violent. Rien qui fasse rêver, mais le couple formé par le Joker et Harley Quinn reste un fantasme tenace dans la pop-culture, ressurgi avec Suicide Squad.
Dans Birds of Prey, son émancipation passe aussi par le fait qu’elle n’est plus du tout sexualisée, contrairement à Suicide Squad. Ici, Harley Quinn soigne son chagrin d’amour à coup de cocktails et de sacs à paillettes. Le fait que le film soit réalisé par une femme, Cathy Yan (Dead Pigs), y est pour beaucoup. Aucune des héroïnes n’est filmée de manière objectifiante, même si les looks sont soignés, et parfois sexy.
Mais Harley Quinn est aussi vidée de sa substance de méchante : sans cruauté dans ce film, elle paraît l’ombre d’elle-même, une version hystérique qui ne fait plus peur, risible.
Harley Quinn, la mal-aimée
Car la prise de conscience d’Harley Quinn de sa condition de « petite chose du Joker » disparaît sous des trombes de mise en scène et de narration lourdes qui se veulent hystériques, colorées, décalées. C’est un constat terrible, mais Harley Quinn n’est pas prise au sérieux, même si elle dit en avoir conscience à plusieurs reprises. Ce constat n’apporte aucun changement, puisque les autres personnages n’ont aucun respect pour elle pendant la majorité du film. Ce qui est déroutant, dommage, car beaucoup de messages d’empuissancement délivrés n’ont pas la place qu’ils mériteraient.
Le féminisme de Birds of Prey est plus à chercher dans la moquerie. Notamment dans l’une des scènes les plus drôles, où Harley Quinn interrompt Roman Sionis pendant une diatribe expliquant comment il veut la tuer, et lui dit qu’elle sait très bien où il veut en venir. Il y a là un double niveau de critique : contre ces monologues d’hommes puissants qui se gargarisent d’eux-mêmes, et contre ce tropisme lourd de tous les films d’action, y compris ceux tirés de comics.
Tout au long du film, Harley Quinn se bat contre des dizaines d’hommes, certes, mais elle fait preuve d’une passivité déconcertante, qui empêche Birds of Prey d’avoir tout propos engagé. Là où on espérait de la colère, on trouve surtout une désillusion stérile face au sexisme qu’elle a rencontré toute sa vie, même au sein de son couple formé avec le Joker. Sa vie ne change que quand elle troque son statut de « femme de » à « maman de », en prenant sous son aile la petite pickpocket, sans parents, recherchée par tous les mercenaires de la ville. Un stéréotype sexiste et réducteur contre un autre.
De la sororité noyée sous les artifices
En voyant sa bande-annonce et son pitch, on s’attend à ce que Birds of Prey montre un gang de femmes « badass » qui s’unissent pour protéger une adolescente. Mais on n’arrive à ce point que très tard dans le film, qui n’est pas ce qu’on nous avait promis.
À côté d’Harley Quinn, on fait la connaissance de Renee Montoya (Rosie Perez), une brillante détective quadragénaire, lassée de se faire voler la vedette par son capitaine. Lancée aux trousses de la tueuse blonde décolorée, c’est le personnage le plus drôle et authentique, hargneuse et à la fois lasse du climat sexiste de la police de Gotham.
On rencontre également Black Canary (Jurnee Smollett-Bell), chanteuse dans le club de Roman Sionis, qui vient en aide à Harley Quinn lorsqu’un homme tente de profiter d’elle alors qu’elle est ivre, dans une scène de combat voulue drôle malgré la gravité de la situation. C’est le seul moment évident de solidarité féminine de Birds of Prey, dont les protagonistes se réunissent plus par la force des circonstances que par conviction féministe.
Même après cette tentative d’enlèvement, Black Canary n’a aucune empathie pour Harley Quinn, et la traite « de connasse que tout le monde déteste ». Faille du scénario, on ne comprend pas d’où vient ce mépris, qui s’avère d’autant plus incompréhensible vu la situation dangereuse dont elle l’a sauvée, et le fait que Black Canary est montrée comme une femme de conviction bienveillante. Son approbation paraissait primordiale. Incohérence qui la montre faible et toujours dominée : Harley Quinn ne se défend pas. Voir cette tueuse de sang-froid n’avoir aucune réaction quand elle n’est pas respectée est frustrant.
Quant à Huntress (Mary Elizabeth Winstead), « chasseuse » en français, elle est la quatrième personnage féminin principal : « le tueur à l’arbalète » prise pour une homme, qui abat les mafieux les uns après les autres, d’une flèche dans la gorge. Le scénario la tourne allègrement à la dérision, sous prétexte de singer les clichés liés à ce genre de personnage sombre, alors qu’Huntress aurait pu incarner la colère légitime d’une femme meurtrie, habitée par la vengeance.
Si Birds of Prey est une coquille presque vide, et prévisible, on sent que Margot Robbie aime profondément jouer Harley Quinn. L’Australienne jubile, ses tenues et son maquillage sont incroyables, mais cela ne suffit pas à sauver ce film qui offre à peine un divertissement potable.
Birds of Prey, de Cathy Yan, avec Margot Robbie, Mary Elizabeth Winstead, Jurnee Smollett-Bell, en salle
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