- "Avant d’être un cancer, j’étais une athlète"
- Reprendre le chemin de l’entraînement avec un nouveau corps
- Tenir la maladie à distance en gardant ses baskets aux pieds
- "J’avais besoin de la compétition pour continuer à vivre"
- Championne de France et médaille aux JO : des prouesses sportives post-cancer
En janvier dernier, l’ex numéro un mondiale et championne pionnière du tennis féminin, Martina Navratilova (18 titres de Grand Chelem en simple), annonçait avoir été diagnostiquée d’un double cancer du sein et de la gorge, via un communiqué transmis à la WTA. Deux mois plus tard, en mars 2023, elle confiait, à l’occasion d’un entretien à TalkTv, être en rémission.
« Qui est atteint de deux cancers différents en même temps ? Je n’ai jamais manqué d’ambition, mais là, ça devenait ridicule. Heureusement, l’abandon n’est pas dans mon ADN. Je n’avais pas d’autre choix que de continuer à me battre », métaphorisait-elle alors.
Si la question ne se pose pas pour l’ancienne star du tennis, quand la maladie frappe alors que la carrière est à son point d’orgue, un double obstacle s’érige face aux athlètes : celui de la guérison, puis de la reprise, qui semble souvent impossible.
Pourtant, si le corps, l’esprit et les aptitudes changent, heurtés par les traitements parfois invasifs, la rage de vaincre et de vivre de certaines championnes va au-delà. Parfois même, elles parviennent à pulvériser les records une fois la guérison amorcée.
« Avant d’être un cancer, j’étais une athlète »
Novlene Williams-Mills a tout juste 30 ans quand on lui annonce qu’elle souffre d’un cancer du sein, en 2012. Mais « avant d’être un cancer [elle était] une athlète », tient-elle à rappeler. Et pas n’importe laquelle. Surdouée de l’athlétisme, la Jamaïcaine s’est imposée comme l’étoile montante du 400 mètres dans les années 2000.
JO, championnats du monde, jeux du Commonwealth… Les médailles s’amoncellent autour du cou de la jeune femme que rien ne semble stopper. Jusqu’à ce que la maladie s’en mêle.
Au moment où je dois monter sur la piste, je sais que tout le monde vise cette médaille. Moi? Je compte les jours jusqu’à mon opération.
« J’ai appris mon cancer de manière banale, si on peut le dire ainsi. J’ai senti une grosseur et j’en ai parlé à mon médecin qui m’a envoyée faire une mammographie ». Quand le diagnostique tombe, à quelques semaines des Jeux Olympiques de Londres, c’est la stupéfaction. « J’étais choquée, en colère, trahie, j’avais l’impression que mon corps m’avait abandonnée », nous confie-t-elle.
Un constat d’autant plus difficile à accepter que son corps est son outil principal de travail. « Le coup de massue est double dans ces situations. Parce que retrouver des capacités de haut niveau, après un cancer, c’est très compliqué. Le corps change, il y a une perte du muscle, de la tonicité… », confirme le Dr Raphaël Jallageas, médecin rééducateur fonctionnel et médecin de l’activité physique.
Mais l’athlète décide de « s’occuper » et maintient sa participation aux JO, ses médecins l’ayant autorisée. « C’était dur d’être à Londres aux Jeux quand le reste du monde ne le savait pas. Au moment où je dois monter sur la piste, je sais que tout le monde vise cette médaille. Moi? Je compte les jours jusqu’à mon opération », partageait-elle à ESPN en 2017. Elle y remportera le bronze au relais 4×400 mètres, trois jours avant de subir une première mastectomie.
Reprendre le chemin de l’entraînement avec un nouveau corps
En convalescence, la compétition n’est plus là pour la « distraire » et Novlene Williams-Mills pense devoir faire un trait sur sa carrière. Mais à force de discussion avec ses proches, elle comprend que l’envie de (con)courir est plus forte que le cancer.
« Mon mari Jameel a été mon soutien quand il a fallu me remettre en selle, en me disant de prendre les choses au jour le jour et de ne pas être trop dure avec moi-même. Oui, je voulais revenir, mais en me fixant une limite. Une fois la maladie vaincue, j’allais me donner un an pour voir si je courais toujours aussi bien et si j’étais toujours aussi compétitive qu’avant, sinon j’arrêtais« , se remémore-t-elle.
En février 2013, le cancer n’est officiellement plus là et la championne reprend donc la route de l’entraînement.
En février 2013, le cancer n’est officiellement plus là et la championne reprend donc la route de l’entraînement.
« J’ai commencé par de la natation et du vélo d’appartement parce que je n’étais pas autorisée à courir, c’était vraiment difficile au début, après avoir été absente pendant si longtemps et de multiples opérations, j’essayais de m’habituer à mon nouveau corps », nous explique-t-elle.
Tenir la maladie à distance en gardant ses baskets aux pieds
Cette phase, Anaïs Quemener, 32 ans la connait bien. Passionnée de course depuis petite, elle excelle sur les longues distances et enchaîne les marathons. « Les ¾ de ma vie, je les ai passés en courant », résume-t-elle.
Mais elle aussi est coupée dans son élan par un cancer du sein, qu’on lui diagnostique à l’âge de 24 ans. « Ça a trainé, on m’a clairement dit que j’étais trop sportive pour être malade et que je n’avais rien. Mais au fil des mois mon sein s’est déformé et en 2015 on m’a confirmé que c’était un cancer de stade 3 avec des métastases ganglionnaires, à même pas 25 ans », se souvient la jeune femme, près de dix ans plus tard.
Mais contrairement à Novlene, Anaïs n’a jamais repris le chemin de l’entraînement. Tout simplement parce qu’elle n’a jamais vraiment arrêté de courir.
C’était un cancer de stade 3 avec des métastases ganglionnaires, à même pas 25 ans.
« Je suis longtemps restée dans le déni, quand je parlais aux gens, je disais que ça allait aller, je ne me sentais pas malade, je continuais à courir, pour tenir mentalement. Mais ce n’était pas rien : des mois de chimio, de radio, une première ablation du sein et celle du second en prévention [son cancer s’est révélé être un cancer génétique, ndlr], les plusieurs opérations pour poser des prothèses que j’ai toujours rejetées après de multiples infections… « , liste-t-elle. Et pour s’échapper de cette nouvelle réalité, Anaïs tient à garder un pied dans sa vie d’avant en continuant de pratiquer la course à pied.
Et le Dr Raphaël Jallageas acquiesce, si les traitements sont lourds, l’activité physique adaptée permet « de mieux tolérer les effets secondaires des traitements » (dans les cas qui le permettent, selon les produits utilisés dans le cadre des traitements), mais également de faire beaucoup de bien au moral. « C’est retrouver de l’énergie et une vie rythmée par autre chose que la maladie« , explicite le spécialiste.
« J’avais besoin de la compétition pour continuer à vivre »
Bien-sûr, les sorties sportives d’Anaïs ont changé avec la maladie. Elle qui aimait l’intensité à dû la mettre de côté quelque temps, pour privilégier les courses plus longues.
« Notamment après l’ablation de mon premier sein et le curage, je ne pouvais plus lever les bras, c’était donc difficile de trouver de l’amplitude. Alors, mon père m’a recommandé de faire du très longue distance, car ça me demandait moins d’effort. Tout ce qu’il me fallait, c’était des objectifs« , raconte la jeune femme.
Et puis, il a aussi fallu s’accommoder de ce nouveau corps, et réécrire une histoire sportive avec lui. « Dans les débuts ça a été compliqué, j’ai pris du poids avec les traitements… Mais il ne faut pas se comparer avec l’avant. L’idée c’est de repartir avec un nouveau corps et sur des bases qu’on avait avant. Par exemple, pendant un an et demi, je n’ai couru qu’avec un seul sein, avec des brassières super serrées, mais rien ne m’arrêtait ».
Pendant un an et demi, je n’ai couru qu’avec un seul sein, mais rien ne m’arrêtait.
Elle parvient même à continuer la compétition, alors qu’elle est sous chimiothérapie. « Les médecins n’étaient pas d’accord, parce qu’à cause des cardiotoxiques, mon rythme cardiaque grimpait plus rapidement. Je ne vais pas mentir, j’ai eu du mal à obtenir les certificats médicaux pour participer à ces compets, mais j’en avais besoin pour continuer à vivre », martèle-t-elle.
Et au Dr Raphaël Jallageas d’illustrer de son expérience : « J’avais un patient qui était prof de sport et fan de trekking et qui voulait faire l’Himalaya. Il était sous chimio, mais il courant quand même, il se préparait. On pouvait lui dire non, il y allait quand même, donc mieux valait l’accompagner et signer les certificats ».
Championne de France et médaille aux JO : des prouesses sportives post-cancer
À la fin de son traitement, en février de l’année suivante, Anaïs Quemener n’a qu’une seule envie : prouver qu’elle peut récupérer ses chronos d’avant cancer.
Alors, elle se prépare pour le championnat de France de marathon, organisé en septembre 2016. Elle y bat son meilleur temps, mais pas seulement. Elle remporte la première place et devient championne de France, quelques mois après avoir vaincu la maladie. « Ce n’était pas mon objectif premier, donc c’était encore plus beau. J’ai pu me dire ‘ok, je suis tombée malade mais ça ne me définit plus, car j’ai réussi à faire mieux qu’avant' », raconte émue celle qui est aujourd’hui la marraine de l’association Cassiopea, le sport pour vaincre.
Et Novlene Williams-Mills n’est pas en reste. Presqu’un an jour pour jour après son diagnostic, elle remporte son septième titre national sur le 400m. Puis elle brille aux Relais mondiaux de l’IAAF et aux Jeux du Commonwealth. Trois ans après avoir vaincu son cancer, elle gagne une médaille d’argent aux Jeux Olympiques de Rio (4x400m). Mais cette consécration n’est pas la plus symbolique pour elle.
Ok, je suis tombée malade mais ça ne me définit plus, car j’ai réussi à faire mieux qu’avant.
« Ma plus grande fierté sur la piste, ce sont les Championnats du monde de 2015, où j’ai mené l’équipe jamaïcaine de 4x400m à la victoire », avoue-t-elle, fière. Parce que ce titre tant rêvé, elle avoue n’avoir jamais osé l’imaginer après la maladie.
« Cela signifie tellement de savoir tout ce que mon corps, qui a fait tout le contraire que de m’abandonner, a enduré et de savoir que mentalement je peux revenir et faire ces performances et montrer aux gens qu’il ne faut pas abandonner. Être une source d’inspiration pour les autres, c’est tellement gratifiant », poursuit-elle.
Aujourd’hui, quand Novlene regarde en arrière, elle ne voit pas la maladie comme quelque chose qui a eu un impact sur sa carrière, « mais plutôt comme quelque chose qui m’a permis de l’apprécier davantage ». Et à Anaïs de renchérir : « ces titres, c’est bien plus qu’une médaille ou un chrono, c’est ma plus belle revanche sur la vie ».
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