Entre le 1er janvier 2011 et le 1er juillet 2019, les États américains ont promulgué 483 nouvelles restrictions sur l’avortement, selon les chiffres de l’Institut Guttmacher, spécialisé dans la recherche statistique sur les droits reproductifs aux USA et dans le monde. Ces frondes contre les droits des femmes à disposer de leur corps étaient également une façon de préparer un terrain législatif anti-IVG.

Vendredi 24 juin 2022, alors que la décision de la Cour suprême a été rendue, annulant l’arrêt qui protégeait le droit à l’avortement dans tout le pays, au moins huit États ont interdit la procédure le jour même, selon le Washington Post.

D’autres suivent le pas rapidement, malgré les tentatives des militants pro-choix pour garantir ce droit fondamental. Au total, s’inquiète l’Institut Guttmacher, 26 États pourraient rapidement interdire l’accès à l’avortement dans le pays.

Dans certaines régions des États-Unis, notamment au Sud du pays, principalement conservateur, l’avortement est déjà sanctionné. Le point sur la situation.

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Des « trigger laws » qui bannissent automatiquement l’avortement

Avant même la révocation de Roe v. Wade, plusieurs états avaient déjà entrepris de voter des lois restreignant ou interdisant l’avortement. Ces trigger laws ou lois « à déclencheurs » en français, se mettent en place quasi-automatiquement, dès lors que la jurisprudence garantissant l’IVG, qui jugeait ces lois anticonstitutionnelles et les bloquait pendant des années, a été annulée.

Certaines doivent être validées par un fonctionnaire qui certifie la décision de la Cour suprême, tandis que d’autres entreront en vigueur dans les 30 jours après celle-ci. Au moins une quinzaine d’états avaient préparé le terrain :  

  • Missouri

Moins de quelques heures après le vote de la Cour suprême, vendredi 24 juin, l’État du Missouri est devenu le premier à interdire l’avortement sur son territoire. Le procureur général Eric Schmitt et le gouverneur Mike Parson, ont signé, et donc entériné, un projet de loi adopté en 2019 par l’Assemblée générale locale.

À noter que l’État ne disposait que d’une unique clinique permettant de pratiquer l’IVG.

  • Dakota du Sud

Ici la trigger law a pris effet immédiatement, sans besoin d’une certification. Dans cet État, seuls les avortements en cas de mise en danger de la mère sont autorisés, avec « un jugement médical approprié et raisonnable ». Il n’y a pas d’exceptions en cas de viol ou d’inceste.

Dimanche 26 juin, la gouverneur républicaine Kristi Noem a prévenu, les médecins pratiquant un avortement seront poursuivis. Les femmes, elles, ne seront pas inquiétées par la justice, a assuré la gouverneure dans l’émission de CBS, Face the Nation. 

  • Texas

C’est l’un des États qui a effectué le plus de frondes anti-IVG ces dernières années, et qui en a même été l’avant-garde.

La trigger law rendant l’avortement totalement illégale entrera automatiquement en vigueur 30 jours après l’annulation de Roe v. Wade. Pour le moment, cet État dans lequel se déroulent chaque années plusieurs dizaines de milliers d’IVG dispose d’une interdiction au-delà de six semaines de grossesse. Cette loi dite, « du battement de coeur », considère que la grossesse ne peut être interrompue après la première activité cardiaque du foetus

Comme le note le Texas Tribune, les femmes voulant pratiquer l’avortement devront faire au moins dix heures de route, jusqu’à la clinique la plus proche, au Nouveau-Mexique, où la pratique n’est pas illégale. La loi ne permet pas de poursuivre la femme ayant avorté, mais les docteurs qui l’enfreignent risquent la prison à vie et des amendes pouvant aller jusqu’à 100 000 dollars.

Pour le sénateur américain Ted Cruz, l’annulation de Roe v. Wade n’est « rien de moins qu’une victoire massive pour la vie, et cela sauvera la vie de millions de bébés innocents ».

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  • Tennessee

 Sur le même modèle que la loi texane du « battement de coeur », le Tennessee avait adopté un projet législatif interdisant l’avortement à partir de six semaines de grossesse en 2020. Celle-ci était bloquée par un tribunal du Tennessee, mais mardi 28 juin 2022, la Cour d’appel fédérale a annulé cette injonction, permettant la mise en place effective de la loi.

La loi ne sera en vigueur quelques semaines uniquement puisqu’elle sera bientôt remplacée par une interdiction quasi totale de l’avortement. En effet, le lundi 22 avril 2019, les législateurs locaux avaient déjà voté une loi à déclencheur interdisant l’avortement en cas d’annulation ou de modification de l’arrêt Roe v. Wade. Celle-ci devrait entrer en vigueur à la mi-juillet 2022.

  • Oklahoma

L’avortement est complètement banni et ce, dès la fécondation, dans l’Oklahoma. Sauf, pour le moment, en cas de mise en danger de la vie de la mère, de viol ou d’inceste. Le procureur général John O’Connor a entériné la loi qui condamne la personne qui le pratique, et non les femmes enceintes, à une peine allant de deux à cinq ans de prison.

Depuis mai 2022, et le vote de la loi HB 4327, les citoyens peuvent attaquer en justice quiconque pratiquerait un avortement, « aiderait » ou encouragerait » quelqu’un à se faire avorter.

Cette interdiction devrait être renforcée par la mise en place, le 26 août 2022, de la loi 612. Proclamée par le Sénat en 2021 et modifiée en avril 2022, celle-ci prévoit jusqu’à 100 000 dollars d’amende et une peine d’emprisonnement ne pouvant excéder dix ans pour toute personne « reconnue coupable d’avoir pratiqué ou tenté de pratiquer un avortement ». Cette version ne contient pas d’exceptions en cas de viol ou d’inceste.

  • Arkansas

La révocation de Roe v. Wade a déclenché la mise en place d’une loi votée par le gouverneur républicain Asa Hutchinson en 2019. Celle-ci interdit l’avortement dans tous les cas sauf celui d’une urgence médicale. Ainsi, l’IVG est punie même en cas de viol ou d’inceste.

Si l’élu conservateur a assuré qu’il regrettait d’avoir voté cette loi sans exceptions, pour autant, il a décidé de ne pas demander à revoir la législation et l’a certifiée en ces termes.

  • Alabama

Toute personne qui pratique un avortement dans l’État d’Alabama encourt désormais jusqu’à 99 années de prison. En 2019, le gouverneur Kay Ivey a promulgué un projet de loi interdisant les avortements dans l’État, à moins que la vie de la personne enceinte et du bébé ne soient en danger, ou qu’il y ait un risque d’anomalie congénitale mortelle. La législation ne fait pas d’exception pour les viols et l’inceste.

Conséquence concrète de l’annulation de Roe v. Wade, un centre de l’Ouest de l’État, situé à Tuscaloosa, a déjà annulé une centaine de rendez-vous pris par des femmes qui devaient avorter dans les prochains jours, apprend la chaîne télévisée CNBC. Le personnel renvoie les patientes vers la ville d’Atlanta, à trois heures de route, en Géorgie, où l’avortement est encore temporairement légal.

  • Kentucky

L’interdiction de l’avortement du Kentucky est entrée en vigueur immédiatement après la décision de la Cou suprême, selon une loi votée en 2019. La seule exception faite est dans le cas d’une grossesse qui menace la vie de la mère.

Les deux seules cliniques d’avortement de l’État ont interrompu leurs procédures et fermé leurs portes dès le vendredi 24 juin après-midi. Toute personne pratiquant ou tentant de pratiquer l’IVG sera accusée d’un crime passible d’une peine d’un à cinq ans de prison.

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Faux départs dûs à la résistance démocrate

Pour gagner du temps et contester cette décision catastrophique de la Cour suprême, des procédures judiciaires ont été enclenchées dans le but de retarder, voire annuler, la mise en place de l’interdiction de l’avortement dans certains États pourtant dirigés par des conservateurs.

  • Louisiane

Robin Giarrusso, une juge progressiste de la Nouvelle-Orléans, a réussi à bloquer l’interdiction de l’avortement temporairement dans l’État. Du moins jusqu’à la tenue d’une audience le 8 juillet 2022. Les lois interdisant l’IVG ont été jugées trop vagues et contradictoires par des cliniques, des militants pro-choix et des étudiants en médecine, qui ont donc engagé une procédure auprès d’un tribunal local. Un sursis temporaire qui a permis aux avortements de reprendre dans les établissements spécialisés.

Lundi 27 juin 2022, Jeff Landry, procureur général de la Louisiane, avait signé un projet de loi réécrivant la trigger law datant de 2006 qui était censée entrer en vigueur automatiquement le vendredi de l’annonce de la Cour suprême, dans le but de la renforcer. Mais il a en fait donné des arguments aux militants pour les droits des femmes qui en ont contesté la clarté, notamment à cause de l’enchevêtrement des trois lois aux termes différents.

Au-delà d’interdire l’avortement « dès la fécondation et l’implantation de l’ovule », sauf en cas de grossesses extra-utérines et pour sauver la vie de la personne enceinte, cette nouvelle législation prévoit d’augmenter les peines auxquelles sont confrontées les personnes pratiquant l’IVG, les condamnant à 15 ans de prison et à des amendes comprises entre 10 000 et 200 000 dollars. 

  • Utah

Même scénario dans l’Utah, où la loi SB174 n’autorise l’avortement que dans certaines situations comme le viol, l’inceste, la prévention de la mort de la mère ou encore les malformations fœtales mortelles – seulement si elles sont détectées par deux médecins spécialisés. Lundi 27 juin, sous l’impulsion du Planning familial local, le juge Andrew Stone a rendu une ordonnance empêchant la nouvelle législation d’entrer en vigueur pendant 14 jours.

Un procès déterminera si la loi viole la Constitution de l’Utah, et pourrait être renvoyé devant la Cour d’appel ou la Cour suprême locale, reculant encore plus l’interdiction de l’IVG sur le territoire. « Une semaine peut faire une différence substantielle dans la probabilité qu’une personne soit en mesure d’obtenir un avortement », a estimé Me Julie Murray, avocate représentant Planned Parenthood, auprès du média local Deseret News.

La situation va empirer par endroits

Dans certains États, et malgré le vote de trigger laws en amont, l’entrée en vigueur de certains textes bannissant l’avortement sera interdit dans les 30 jours suivant la décision historique de la Cour suprême américaine. La procédure est la suivante : le Procureur général d’un État revoie la décision Roe v. Wade, puis signe et présente une loi qui doit être certifiée par le gouverneur de ce même État.

Sur ces territoires, pour les femmes qui ne veulent pas aller au terme de leur grossesse, les militantes féministes, et les cliniques pratiquant l’avortement, l’heure est donc à la course contre la montre pour prodiguer le maximum de soins possible ou préparer la suite.

  • Ohio

Dans les mois qui ont précédé la révocation de la Cour suprême, les élus de l’Ohio n’ont pas eu le temps de mettre en place des trigger laws. Mais déjà, du fait que la législation pré-jurisprudence de 1973 a été réactivée, l’avortement y est une infraction pénale après six semaines de grosses, même en cas d’anomalie génétique du bébé. Là encore ce sont les personnes pratiquant l’avortement qui risquent des poursuites, en l’occurence un an de prison, dans cet État situé à l’Est du pays.

Dès 2019, les élus locaux avaient voté une loi similaire au Texas, interdisant l’IVG à partir du premier battement de coeur du foetus. Désormais, la plupart des patientes subiront un examen, notamment une échographie, pour que le corps médical puisse vérifier cette condition.

Par ailleurs, les IVG ne sont prises en charge financièrement qu’en cas de mise en danger de la vie de la mère, de viol ou d’inceste.  

Deux projets de loi, HB 598 et SB 123, ne contenant aucune exception pour le viol et l’inceste, devraient être déclenchées d’ici la fin 2022. En avril, le représentant Jean Schmidt avait déclaré que les victimes de viol bénéficiaient d’une « opportunité » si elles tombaient enceintes de leur agresseur.

  • Dakota du Nord

Les lois NDCC 12.1-31-12 et NDCC 14-02.1-04.2, certifiées par le procureur général Drew Wrigley le mardi 28 juin 2022, entrent en vigueur le 28 juillet. Celles-ci considéreront l’IVG comme un crime passible d’une peine maximale de cinq ans de prison et d’une amende de 10 000 dollars. 

À cette date, l’avortement sera donc illégal, avec des exceptions pour le viol, l’inceste et dans le but de préserver la vie de la mère, ou en cas d’urgence médicale.

Tammi Kromenaker, fondatrice et directrice de la seule clinique d’avortements du Dakota du Nord, la Red River Women’s Clinic, déménagera de la ville de Fargo à destination de celle de Moorhead, située dans l’État voisin du Minnesota, souligne la radio locale Knox.

  • Wyoming

Les législateurs de l’État ont adopté la trigger law HB 0092, le 15 mars 2022, interdisant tous les avortements, sauf pour « préserver la femme d’un risque grave de décès ou de blessure ou si la grossesse est le résultat d’un inceste ou d’une agression sexuelle ». Sous peine d’une condamnation à 14 années de prison.

Cette loi doit entrer en vigueur cinq jours après que le gouverneur, sur l’avis du Procureur général, certifie que Roe v. Wade a bien été annulé.

  • Idaho

La loi à déclencheur anti-IVG, votée en 2020 sous le nom de SB 1385, ne fait des exceptions que pour le viol, l’inceste et pour sauver la vie de la personne enceinte. Une victime de viol ou d’inceste devrait fournir une copie d’un rapport de police au médecin pour justifier son avortement. 

Selon le texte du projet de loi, une personne reconnue coupable d’avoir pratiqué un IVG illégal risque jusqu’à cinq ans de prison. Celle-ci doit être certifiée d’ici le mois de septembre 2022.

Mercredi 23 mars 2022, l’Idaho avait voté une loi autorisant les poursuites civiles contre les professionnels de santé ayant pratiqué des IVG. Celle-ci permet également aux familles des géniteurs d’entamer des poursuites judiciaires contre les établissements médicaux et le personnel soignant qui ont procédé à l’acte. Ce projet, intitulé SB 1309, accorde 20 000 dollars à la mère, au père, aux grands-parents, aux frères et sœurs, à la tante ou à l’oncle du fœtus ou de l’embryon, dans le cadre d’un procès réussi, précise le média Idaho Capital Sun.

Inspirée de la loi du « battement de coeur » qui interdit l’IVG à la moindre activité cardiaque du foetus, la loi a été contestée par le Planning familial qui a remis en cause sa constitutionnalité. La Cour suprême de l’Idaho a suspendu sa mise en œuvre et une audience est fixée au 3 août 2022 pour statuer sur sa viabilité.

  • Mississipi

Lundi 27 juin 2022, le procureur général du Mississippi, Lynn Fitch, a certifié la trigger law interdisant l’avortement. Elle entre en vigueur dix jours après cette date et reconnait toute personne qui pratique ou tente de pratiquer un avortement dans le Mississippi, coupable d’un crime passible de dix ans de prison. 

Seules exceptions acceptées : sauver la vie de la mère et en cas de viol, mais à condition que celle-ci a signalé son agression aux forces de l’ordre.

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