C’est une affaire à rebondissements qui a passionné la France durant des mois. À tel point qu’il est aujourd’hui question de tourner une série télévisée inspirée de ce sordide crime conjugal…

A priori, il s’agit d’un couple modèle et sans histoire. En 2004, Jonathan Daval a 21 ans quand il fait la connaissance d’Alexia Fouillot, une lycéenne de 16 ans. C’est l’amour au premier regard, la preuve en est qu’ils se marient onze ans plus tard, le 18 juillet 2015. Orphelin de père, Jonathan s’entend à merveille avec ses beaux-parents qui le considèrent comme leur propre fils. La carrière professionnelle du jeune couple est elle aussi sans accroc : il fait de la maintenance informatique, elle est employée au Crédit mutuel, à la satisfaction de leurs clients respectifs. Tous les deux partagent la même passion du sport. Ils habitent une maison coquette de Gray-la-Ville (Haute-Saône). Un bonheur sans nuage, à ce petit détail près : ils ne parviennent pas à avoir d’enfant. Nous y reviendrons, sachant qu’il s’agit peut-être d’une des clefs permettant de mieux comprendre le drame en train de se nouer dans l’ombre…

Une mystérieuse disparition…

La tragédie démarre le 28 octobre 2017 au matin, quand Jonathan Daval affirme avoir entendu sa femme sortir faire son jogging, vers 9 heures. À 10 h 45, il passe à son travail, comme si de rien n’était.

N’ayant toujours pas de nouvelles sur les coups de midi, il tente de retrouver son épouse en compagnie de son beau-frère, Grégory Gay. Sans succès. Une demi-heure après, ils se résignent à signaler la disparition de la jeune femme à la gendarmerie. Des recherches sont aussitôt diligentées. Deux jours plus tard, les forces de l’ordre découvrent le cadavre d’Alexia dans le bois d’Esmoulins, à quelques kilomètres de Gray-la-Ville. Le corps est à moitié calciné, le visage est recouvert d’ecchymoses et les marques striant son cou ne sauraient tromper : elle a été étranglée. Immédiatement, ce crime infâme soulève une vague d’émotion nationale.

©Bruno Grandjean

Le 5 novembre, une marche blanche est organisée dans le village de la défunte, rassemblant près de 10 000 personnes. Au premier rang, Jonathan Daval, en larmes, le visage déformé de souffrance, entouré de ses beaux-parents. Les discours sont poignants. Stéphanie Fouillot, évoquant sa petite sœur, parle d’une « jolie jeune femme indépendante et brillante, au caractère affirmé ». Le père n’est pas en reste, qui remercie à la fois réseaux sociaux et foule ayant fait le déplacement : « Cette véritable vague de compassion et d’empathie va droit au cœur de nos deux familles. » Et son épouse d’adresser « un message de liberté à tous et toutes. Face à de tels événements, nous devons continuer à vivre et à vivre le plus normalement possible ».

Une famille qui semblait tellement unie : Jean-Pierre et Isabelle Fouillot avaient logé chez eux le jeune couple avant que leur fille et leur gendre n’investissent leur propre maison à proximité de la leur.

La palme du lyrisme revient évidemment au jeune veuf : « Mon épouse et moi partagions la même soif de liberté à travers nos activités sportives. Elle était ma première supportrice, mon oxygène, la force qui me poussait à me surpasser lors de mes challenges physiques… » Mieux encore : « La force de notre couple nous faisait nous dépasser dans nos sorties et notre vie commune. Cette plénitude me manquera terriblement. »

5 DATES

  • 18 juillet 2015 Jonathan Daval et Alexia Fouillot se marient. Ils veulent des enfants, mais n’y parviennent pas. Prémices d’un drame à venir ?
  • 28 octobre 2017 Alexia Daval disparaît mystérieusement. Deux jours plus tard, sa dépouille est retrouvée, à moitié calcinée, dans la forêt d’Esmoulins, en Franche-Comté.
  • 5 novembre 2017 Une marche blanche est organisée à Gray-la-Ville, près de 10 000 personnes y participent. Jonathan Daval est au premier rang, en pleurs.
  • 29 janvier 2018 Jonathan Daval est placé en garde à vue. Le lendemain, il avoue avoir tué sa femme. Il tente ensuite d’évoquer un « complot familial », piste qui tourne court.
  • 21 novembre 2020 Jonathan Daval est condamné à vingt-cinq ans de prison, sans peine de sûreté. Il pourrait retrouver la liberté à l’horizon 2030.

Les médias s’en mêlent

©Bruno Grandjean

Des images et des hommages qui tournent en boucle sur les chaînes d’information continue. Mais pendant ce temps, les gendarmes, eux, ne se tournent pas les pouces… Dès le début, ils ont des doutes sur le comportement de Jonathan Daval, peut-être parce qu’il en fait trop et semble surjouer sa peine. Toujours est-il qu’après trois mois d’investigations méticuleuses, leur ayant notamment permis d’apprendre que des voisins du couple ont clairement identifié sa voiture de fonction durant la nuit précédant la disparition, ils placent le veuf éploré en garde à vue le 29 janvier 2018. Et là, les questions fusent, parfois anodines, d’autres fois non, mais toujours de plus en plus précises. Une technique qui a fait ses preuves : pousser le prévenu à parler, parler et parler encore, pour ensuite mieux l’obliger à se recouper et finir par se contredire. Le jeu dure une bonne trentaine d’heures. Comme tant d’autres avant lui, Jonathan Daval craque le lendemain et avoue le meurtre de son épouse, tout en précisant que ce dernier a été perpétré par « accident ».

“Tu es une merde !”

Dans l’opinion publique, ce rebondissement prend des allures de tsunami : comment donc, l’époux dévasté était le meurtrier ? Même les scénaristes de séries télé ou de cinéma y réfléchiraient à deux fois avant d’imaginer pareille pirouette narrative ! Mais Jonathan Daval n’a pas encore dit son dernier mot. Certes, il a tué sa femme. Mais, à l’en croire, c’est elle qui était en train d’en faire de même, à petit feu, rivalisant d’humiliations quotidiennes et de violences tant physiques que psychologiques. En matière juridique, voilà ce qui s’appelle une « défense de rupture », vocable forgé par un maître dans ce domaine, l’avocat Jacques Vergès, qui s’était fait la spécialité de défendre l’indéfendable. Il est vrai que l’analyse du téléphone de la victime tendrait à donner quelques arguments à cette thèse. Faille dans laquelle le défenseur de Jonathan, Me Randall Schwerdorffer, ne tarde pas à s’engouffrer, rendant publics des SMS tels que celui-ci : « T’es impuissant, tu bandes pas, t’es une merde. » Et le même Schwerdorffer de poursuivre : « La réalité du dossier, c’est que Jonathan subissait des violences. C’est un sujet tabou, les violences physiques et morales faites aux hommes. On a toujours l’impression que ce n’est pas possible et que c’est un artifice de la défense. Les jurés apprécieront. »

La victime aurait ainsi été un peu coupable et il ne s’agirait que d’une banale querelle conjugale ayant mal tourné. Bien joué. Ce système de défense tient la route, mais nous sommes aussi en pleine période MeToo, cette initiative féministe venant de Hollywood, suscitée par le harcèlement sexuel érigé en système de management, entre autres par le funeste producteur Harvey Weinstein. Les violences faites aux femmes sont devenues un sujet majeur, même si la nuance n’est pas toujours de mise, telles qu’en témoignent les déclarations de Marlène Schiappa, alors secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations : « En disant ça, on légitime les féminicides, on légitime le fait que, tous les trois jours, il y a une femme qui soit tuée sous les coups de son conjoint. […] Ce n’est pas une dispute, ce n’est pas un drame passionnel, c’est un assassinat. »

Théorie du complot

Ceci explique pourquoi la demande de remise en liberté de l’accusé, déposée en octobre 2018, est rejetée, d’autant que Jonathan a encore changé de version : il nie désormais avoir tué son épouse et évoque une sorte de « complot familial », allant jusqu’à mettre en cause son beau-frère, Grégory Gay, qu’il accuse d’avoir étranglé Alexia lors d’une « crise d’hystérie » de celle-ci, qui serait survenue chez ses parents. D’où l’invention de ce même « complot » destiné à dissimuler le drame et à ensuite lui faire porter le chapeau…

Une version à laquelle les gendarmes ne croient pas et qui s’effondre le 7 décembre suivant lorsque, confronté une nouvelle fois à sa belle-famille, il craque encore et avoue être le seul meurtrier de son épouse.

Entre-temps, une autre question se pose : après autopsie du corps de la défunte, ont été identifiées plusieurs molécules toxiques aux noms savants – zolpidem, tétrazépam, tramadol –, connues pour leurs effets secondaires. Jonathan les aurait-il fait avaler en douce à Alexia, ou était-ce elle qui absorbait ces cachets en cachette, histoire de dissimuler son mal de vivre ? En d’autres termes, qui était le plus malade des deux ? À ce jour, malgré les relevés bancaires, la justice ne sait toujours pas qui achetait ces poisons en pharmacie. Un mystère de plus dans ce ménage décidément hors norme…

Cette ténébreuse affaire atteint un nouveau sommet d’abjection lorsque la maison du couple est cambriolée, en mars 2019. Accompagné de ses avocats Jonathan constate la disparition de plusieurs objets, dont les « sex-toys » et les « boules de geisha » de son épouse, accessoires dont il affirme qu’elle se servait, une fois la porte de la chambre conjugale fermée, pour assouvir des besoins qu’il ne pouvait contenter. Histoire d’en rajouter dans l’ignominie, une autre question se pose : l’aurait-il violée post-mortem ? Si les limiers de la gendarmerie estiment tout d’abord que oui, ils finissent par conclure, après expertises médicales, que non…

Même si tout ceci baigne dans la fange, les petits secrets intimes de tel ou telle étant livrés sur la place publique, il n’est pas non plus interdit de se poser des questions sur ce couple pas tout à fait comme les autres. À en croire les avis des psychiatres réquisitionnés, la personnalité d’Alexia est celle d’une femme dominatrice, alors que celle de Jonathan présenterait les tristes atours du manipulateur pervers narcissique. Bref, l’une semblait dominer l’un, tandis que l’autre ourdissait sa vengeance en silence, mâchoires serrées, quitte à commettre l’irréparable.

“Personnalité immature” ?

Interrogée par Le Parisien, le 31 janvier 2018, la psychiatre Geneviève Reichert-Pagnard affirme ainsi, à propos de Jonathan : « Les images de la marche blanche sont frappantes, car on y voit le beau-père soutenir son gendre, et non deux personnes se soutenir l’une l’autre. On y lit aussi un contraste entre l’attitude des parents, tellement dignes qu’ils en sont presque froids, et celle de leur gendre, qui pleure sans s’arrêter. Cela donne l’impression d’une personnalité plutôt immature. » Et la même, encore plus fine mouche, de révéler, à propos du possible mode opératoire du crime : « Je formule l’hypothèse que le suspect a voulu dire qu’il ne souhaitait pas au départ tuer son épouse. L’étranglement, on l’a déjà vu dans nombre d’affaires criminelles, peut être lié avec la volonté de faire taire, de ne plus entendre lorsqu’on est totalement dépassé par une situation. Apparemment, la dispute entre mari et femme a été très violente et des mots ont sans doute été échangés. L’expérience me démontre qu’il est difficile de savoir ce qui existe dans un couple. » Difficile de mieux dire.

De son côté, la justice a, elle, dit ce qu’elle avait à dire en condamnant, le 21 novembre 2020, Jonathan Daval à vingt-cinq ans de prison, sans toutefois alourdir ce verdict d’une peine de sûreté. Ce qui signifie qu’il pourrait respirer à nouveau l’air libre dès 2030…

Mais au-delà de la culpabilité manifeste de l’assassin, d’autres points posent toujours question. Tout d’abord, la façon hystérique avec laquelle les médias ont traité cette tragédie. Hystérie que Jonathan a bien su, au début de l’affaire, mettre à profit en pleurant encore plus fort que la foule prise de contagion lacrymale. Puis, il y a eu les viols répétés du secret de l’instruction, bien souvent, malheureusement, secret de Polichinelle. Et pour finir, une victime devenue une figure emblématique – à son corps martyrisé défendant – de luttes féministes, sans que le lien soit pleinement établi avec celles-ci.

On préférera se souvenir de l’exemplarité de l’enquête, menée de main de maître par des gendarmes auxquels il ne faut plus la faire, sur un couple à la dérive, pétri de haine et de ressentiment, dévasté par leur difficulté à concevoir des enfants et dont la dernière querelle fut fatale…

Toujours est-il que Jonathan Daval, actuellement derrière les barreaux, a récemment consenti à céder sa part du pavillon, théâtre du drame, aux parents d’Alexia. L’entière disposition du lieu facilitera-t-elle à ceux-ci le douloureux travail du deuil ? À voir…

Bientôt en série à la télévision ?

Tout s’achète et tout se vend. Les drames, principalement. Pour mettre celui-ci en images, ils sont plusieurs sur les rangs.

En octobre dernier, Isabelle et Jean-Pierre Fouillot, les parents de la défunte, publient Alexia, notre fille, un livre coécrit avec Thomas Chagnaud (Robert Laffont). Aussitôt, les sociétés de production Gaumont et Nac Films en achètent les droits pour en faire une série en six épisodes de cinquante-deux minutes chacun. De son côté, TF1 s’associe avec Elephant Story pour développer sa propre fiction, cette fois adaptée de L’Affaire Alexia Daval, la vraie histoire, de Laurent Briot et Christophe Dubois, à paraître cet automne (Michel Lafon). Pour la distribution, la chaîne a puisé dans son vivier personnel de talents, notamment au sein de sa série Demain nous appartient, puisque ce sont Liam Baty et Maud Baecker qui vont incarner le couple, face à Michèle Bernier en mère d’Alexia. Après un tournage en décembre dernier aux alentours de Lyon (Rhône), on attend la date de diffusion. Traditionnellement passionnés par les faits divers, les Français devraient assurer de confortables audiences à ce téléfilm dont on promet qu’il collera au plus près de la réalité ! Quant à la série de la Gaumont, dont on ne sait rien pour l’instant, elle a déjà fait vivement réagir la mère de Jonathan, Martine Henry, qui s’est indignée dans L’Est républicain : « Jonathan a été jugé, il va faire sa peine, qu’on le laisse en paix. C’est honteux, c’est indécent ! Vraiment, il faut laisser les gens en paix. Et les morts, aussi… » On comprend évidemment la colère et le chagrin d’une mère, sûrement inquiète que ces fictions sombrent dans les sempiternels écueils du voyeurisme. Mais cela suffira-t-il à bloquer ce type de projets ? Il est permis d’en douter.

LP

Source: Lire L’Article Complet